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Thaïlande

Tropical Malady

aka Sud Pralad | Un film de Apichatpong Weerasethakul | Thaïlande / France | 2004 | Avec Sakda Kaewbuadee, Banlop Lomnoi, Sirivech Jareonchon

Poursuivant son parcours entamé deux ans plus tôt avec le déroutant Blissfully Yours, le Thailandais Apichatpong Weerasethakul filme l’introspection des liens intangibles de l’amour, au contact d’une nature mystérieuse. La beauté masculine et sa part d’ombre y sont célébrées au travers d’un conte où mythologie et imaginaires se rejoignent au coeur de la jungle Thaï. Lenteur éprouvante et atmosphère suffocante sont la rançon d’une oeuvre exprimant l’imperceptible profondeur du règne animal et de ses mystères.

Un jeune soldat, Keng, passe ses jours avec Tong, un garçon de la campagne qui vit modestement de petits travaux. Tong ne s’aventure que rarement en ville de peur d’être ridicule, préférant la douceur de sa campagne familiale. Keng le convainc de l’accompagner, et les deux hommes passent leurs journées entre sorties, matchs de foot, jeux vidéos et soirées nocturnes en famille. Un amour tendre et sincère naît entre eux... Un soir, quittant son amant, Tong disparaît dans la nuit.... Une légende parle d’un Shaman qui peut se transformer en bête sauvage. Keng pénètre alors au coeur de la jungle...

Alors que Blissfully Yours traitait de l’idée de bonheur à travers la beauté féminine, filmée au coeur de la jungle apaisante et luxuriante de la Thaïlande, Tropical Malady nous dévoile le côté obscur et mystérieux de cette nature, attaché à l’idée de beauté masculine. Oeuvre tout aussi poétique, elle est bien le digne prolongement d’un travail qui s’attache à la représentation de l’impalpable. Dans une démarche indépendante et foncièrement radicale, tranchant avec le cinéma Thaï contemporain, Weerasethakul refuse toute dramaturgie, filmant aux frontières du documentaire. Les rares passages musicaux ne sont que deux séquences musicales diégétiques, à l’humour et au regard plein de tendresse pour ses contemporains. Une séquence de Karaoké évoquant les vieux films Thaï des années 50/60, alors qu’un cours d’aérobic en plein air affiche une modernité consommée pour la culture américaine.

Weerasethakul filme la Thaïlande de ses souvenirs, cherchant a restituer, à travers le sourire d’un militaire, l’amour d’une mère, ou encore un match de foot, les moindres sensations de vie d’êtres qui semblent vivre l’instant avec plénitude. Abordant avec un naturel touchant (peu habituel dans un pays où la censure est inflexible) l’homosexualité masculine à travers l’amour naissant entre Tong et Keng, il filme pudiquement leur bonheur fugitif. La caméra traque les expressions et visages de ses deux protagonistes, suggérant une beauté masculine plus gracieuse que brutale. Pour autant, l’intensité d’une passion naissante n’en est pas absente, comme le suggère une scène dans un vieux cinéma de quartier, qui fait écho à la salle nocturne de Goodbye Dragon Inn du taiwanais Tsai Ming-Liang.

Autre thème fort - et récurrent du cinéma thailandais -, la superstition et les croyances locales qui dans la seconde partie nous plongent dans un fantastique mythologique. Pays profondément bouddhiste, la Thaïlande de Weerasethakul exprime son attachement aux rites, au travers d’un phallus en ébène ; autant que sa crainte des esprits, qui s’exprime dans le refus de Keng de poursuivre sa promenade dans les galeries souterraines obscures de la grotte. Admirablement mis en scène, on retrouve des séquences de longs travellings filmés en caméra embarquée ; telles que lors d’une balade nocturne, où les éclairages artificiels se transforment en une nuée de lucioles ; ou encore en pleine nature, lorsque les traces de poussière laissées par l’arrière d’une jeep, se confondent avec un nuage laiteux turgescent.

Le film au récit linéaire, s’articule autour de deux parties bien distinctes, comme deux mondes qui s’opposent en apparence. Ces deux mondes, qui s’apparentent à deux films différents, sont aussi entrelacés que les rêves et les souvenirs qui semblent hanter le réalisateur. Indissociables car se faisant écho, ces deux faces forment un tout dont la passerelle serait le souvenir, rêvé ou vécu.

Dans la première partie, ancrée dans la réalité quotidienne et urbaine, la vie s’écoule autour des relations entre Tong et Keng. Les personnages y sont palpables et réels, entre virées en ville et retour au cercle familial. Au fur et à mesure que la relation entre Tong et Keng évolue, le réalisateur nous prépare à entrer dans ce deuxième monde, dont l’appréhension, plus exigeante et ésotérique, dévoile tout le talent du réalisateur. Expérimental et poétique, le film bascule dans le rêve à travers cette étourdissante et non moins oppressante incursion dans la jungle.

Si Blissfully Yours lançait son générique au bout de trois quart d’heures, Tropical Malady commence, ou devrait-on dire re-commence au bout d’une heure. Véritable tour de force photographique, les séquences dans la jungle nocturne démontrent un soin extrême pour les nuances et la couleur, à travers l’utilisation d’un éclairage minimal. Les branches filandreuses décrivent des motifs entrelacés, l’éclairage artificiel d’une torche produit un hallucinant ballet d’ombres vertes. Fantastique et onirique, ce voyage suffocant tourne à l’oppression pour le militaire qui se voit peu à peu confronté aux fantômes de ses souvenirs, venant troubler sa propre perception de la réalité.

Abolissant tout langage, la jungle deviens inhumaine et aliénante. Seuls les inter-titres et une voix-off nous rappelle qu’il s’agit bien d’un conte, et nous guide dans les tréfonds de cette nature opaque, miroir de l’inconscient. La progression, d’une longueur frisant parfois l’engourdissement (même pour les plus cinéphiles), décrit habilement la transformation mentale et physique du personnage qui peu à peu perd ses repères (son radio-transmetteur est détruit, ses affaires saccagées, la fin de ses rations de nourritures...) et doit s’adapter à l’inconnu.

Expérimental, ésotérique, troublant, mais aussi profondément humain, Tropical Malady est, pour ceux qui feront l’effort d’y pénétrer, une jungle abstraite et fascinante ; conte mythologique redonnant sa part d’animalité à l’homme, hors de toute rationnalité.

Sortie en salles le 24 Novembre 2004

Un grand merci à Agnès Chabot.

- Article paru le mardi 9 novembre 2004

signé Dimitri Ianni

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