True Legend
Le kung fu de l’homme ivre tient définitivement une place à part dans l’imaginaire chinois et son cinéma d’arts martiaux. Après Jackie Chan, Stephen Chow, Jet Li et une ribambelle d’autres plus ou moins connus, c’est Yuen Woo Ping, illustre chorégraphe hongkongais (Il était une fois en Chine, Tigre et Dragon, Matrix, etc.), qui nous livre sa version de la naissance de cette forme singulière de combat. Malgré toute l’affection que l’on peut porter au bonhomme, il aurait mieux fait de s’abstenir. L’œuvre (oh que c’est dur à dire...) souffre d’un tel nombre de défauts qu’elle en devient pénible à regarder et embarrassante pour le réalisateur. A l’image de son héros, le film souffre des 5 venins mortels : visuellement affreux, personnages inconsistants, absence totale de script, chorégraphies illisibles et sans imagination et enfin, le venin particulièrement puissant de la mouche qui a visiblement piqué le réalisateur, par ailleurs cinéaste respecté. Toxicité garantie.
Su Can, ancien général de l’armée impériale, se retire des combats pour couler des jours paisibles avec sa femme et son fils, et créer sa propre école d’arts martiaux. Mais un drame familial surgi du passé vient troubler cette vie idyllique et le jette à la rue, tout en l’obligeant à combattre à nouveau.
Si le scénario n’a jamais été le point fort de ce type de productions portées sur l’action, l’inconsistance de l’histoire et la pauvreté des dialogues est ici rédhibitoire. Démissionnaire dès les toutes premières minutes du film après avoir pompé la trame de Gladiator, la scénariste enfile les clichés sans réel fil conducteur, à tel point qu’on a l’impression de changer de film – malheureusement toujours aussi mauvais - deux ou trois fois en cours de route. La crise de nationalisme face à l’impérialisme étranger, le demi-frère du côté obscur de la force, le fidèle disciple retrouvé, la retraite dans la montagne : tout y est pèle-mêle, jusqu’à l’insupportable gamin qui réveille son père que tout le monde (vraiment ?) croit mort. Ajoutez à cela une dose de fantastique version Frankenstein (le méchant se coud une carapace de tortue sur le ventre) ainsi qu’un zeste d’aventure façon Fort Boyard (le même se ressource les mains dans un bac de scorpions et de tarentules, probablement à la recherche d’un indice pour se barrer du film), et vous obtenez la recette la plus indigeste qui soit. Les dialogues insipides (« notre famille doit rester ensemble », « nous devons sauver notre fils », pas si banals au final, tant le mioche est horripilant) ajoutent encore au ridicule de l’entreprise.
C’est d’autant plus dommageable que l’un des gros points faibles du film est son manque total d’auto-dérision. Le sérieux affiché jusque dans l’ambiguïté du titre (véritable légende ou légende vraie ?) rend impossible toute réaction au second degré. Les quelques moments délibérément drôles (ou du moins on l’imagine) tombent à plat tellement ils se perdent au milieu de tous ceux qui le deviennent involontairement. Si les personnages imaginaires du vieux sage et du « Dieu du Wushu » sont une bonne idée, leur côté burlesque, par ailleurs non assumé tout au long du film, est lourd et ne fonctionne pas vraiment, en dépit des efforts ricanants d’un Gordon Liu cabotin. Autour de ces cameos inutiles (David Carradine et Michelle Yeoh en plus de Liu), les acteurs gravitent sans énergie, sans émotion, sans épaisseur, un comble pour un film originellement en 3D. Si dans ces Wu Xia Pian le casting n’est pas censé briller par son interprétation, le manque d’expression de ces acteurs amorphes n’est en rien rattrapé par leurs prouesses martiales. Pourtant marque de fabrique du réalisateur, les combats sont au pire illisibles (dans les « un contre tous »), au mieux sans imagination. A l’exception du combat entre les deux hommes ivres, les scènes d’action sont particulièrement décevantes, en particulier le final, contre les catcheurs recalés de la WWE. Chiu Man Cheuk n’est donc pas aussi mauvais combattant qu’il est mauvais acteur, mais il n’a pas ici la possibilité de le démontrer complètement.
Pour toutes ces raisons, le film sonne un peu comme le chant du cygne d’un chorégraphe et cinéaste fatigué, ayant voulu s’essayer aux nouvelles technologies quatorze ans après sa dernière réalisation. Truffé d’images de synthèse d’une laideur absolue et d’un niveau plus que sommaire, les acteurs évoluent dans des décors de jeu vidéo dont les gigantesques statues semblent sorties d’un vieux Rick Dangerous. S’affranchissant de plus en plus des câbles ayant fait les beaux jours des films d’arts martiaux, Yuen Woo-Ping nous offre un kung fu de PC dans lequel les personnages perdent toute texture ou définition dès qu’ils bougent. Pour finir, Yuen Woo-Ping, sûrement influencé par ses expériences américaines, use et abuse d’effets de ralentis/accélérations inutiles et tape-à-l’œil.
Œuvre désorganisée dans son scénario et brouillonne dans ses combats, True Legend est, à l’image de son héros, la réalisation d’un homme ivre. Si l’objectif du kung fu éponyme est bien de conserver son équilibre malgré le tangage, force est de constater que Yuen Woo-Ping a bien trop bu et qu’il est tombé. Au fond du True.
True Legend a été présenté dans la sélection Action Asia de la treizième édition du Festival du film asiatique de Deauville (2011)...
... où il a remporté, contre toute attente et face à de bien meilleurs films (et pourquoi la résurrection de Tsui Hark, Detective Dee, ne faisait-elle pas partie de cette sélection ?), le Lotus Action Asia (NDAkatomy).





