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Japon

Tsumugi

aka Sora Aoi is Tsumugi - Seifuku bisyojo sensei atashi wo daite | Japon | 2004 | Un film de Hidekazu Takahara | Avec Sora Aoi, Satoshi Kobayashi, Takashi Naha, Shigeru Nakano, Chiyoko Sakamachi

C’est tout ce que j’ai.

Tsumugi est une écolière frivole et rêveuse, qui séduit sans effort Katagari, son professeur dont la femme absente est sur le point d’accoucher, ainsi que l’un de ses camarades, un garçon timide qui rêve de remporter un triathlon. Pour le professeur quadra en mal de jeunesse, elle incarne la feuille blanche d’une expression sexuelle sans contraintes, offerte et sans conséquence. Pourtant, une certaine forme de maturité conduit Katagiri à questionner la nature de cette relation, dont Tsumugi aimerait qu’elle reste, pourtant, comme toute chose, vague ; existant simplement dans la conscience d’être mal, seule certitude pérenne de cet homme par ailleurs convoité par une de ses collègues.

C’est au terme de 18 ans d’absence dans le domaine du pinku que le réalisateur Hidekazu Takahara s’en est revenu au rose nippon, pour le premier rôle non pornographique de l’actrice Sora Aoi. Parabole sur l’errance de la jeunesse et son écho dans la crise de la quarantaine, faisant preuve d’une certaine pudeur dans l’exposition/contemplation de sa sexualité, Tsumugi aurait pu n’être qu’un pinku de plus, catalogue adultère ayant pour seul objectif de profiter de la présence « censurée » de son idole AV, incarnation parfaite du fantasme de l’écolière. Pourtant l’expérience du réalisateur dans d’autres types de cinéma transcende la cahier des charges syndical du genre, pour livrer un portrait touchant et paradoxal de candeur, sexuelle et émotionnelle.

L’attrait de Tsumugi, donc, réside dans la présence de Sora Aoi qui, dans les premières images du film, au cours desquelles elle perçoit la fragilité de la fidélité de Katagiri, semble s’affirmer comme la caricature de l’adolescente japonaise, surjouant sourire et émotion avec démesure. Cependant, lorsque l’actrice se retrouve nue, devant la caméra de Takahara et le regard de Katagiri, c’est une toute autre Tsumugi / Sora Aoi que l’on découvre ; une jeune fille aux yeux grand ouverts, qui questionne tout sans se soucier d’aucune réponse. Nue, Tsumugi n’existe que dans l’instant, immobile et magnifique, ne désirant qu’être regardée et guidant la satisfaction érotique de l’autre en silence, simple image sans véritable consistance en dépit de son attrait sexuel. Cette candeur naturellement provocante, Sora Aoi la joue, justement, comme si elle ne la jouait pas. Plus adulte que son partenaire, incapable de lui résister, elle s’efface complètement pour laisser la curiosité de Katagiri s’exprimer pleinement.

C’est ce dont le professeur a besoin pour exister lui-même, oublier ses doutes et s’affirmer en tant qu’homme. S’il est forcément troublant de le voir céder à une fille qui pourrait être la sienne alors qu’il est sur le point de devenir père, il l’est tout autant de le voir s’effacer littéralement, caché par la composition du cadre, lorsque sa collègue parvient à le convaincre de lui faire l’amour. L’affirmation de l’autre, pour Katagiri, est une négation de soi.

La relation charnelle de Tsumugi avec un adolescent du même âge qu’elle, la perd elle-même dans le doute, puisque c’est alors elle qui possède une conscience supérieure, d’un désir qu’elle est obligé de préciser. Tsumugi est une espèce d’enfant punk de la sexualité, qui souhaite que rien ne soit défini ou régulé ; une attitude qui se reflète dans l’ami de Katagiri, interprété par l’authentique figure punk Shigeru Nakano, qui souhaite lui aussi que sa vie reste indéfinie, simplement portée par l’agressivité de sa voix sur scène. Pourtant, pour lui comme pour notre héroïne, l’insouciance et le flou de l’émotion auront de bien tristes conséquences.

Si Tsumugi, en à peine plus de soixante minutes, parvient à émouvoir au delà du simple désir érotique, c’est aussi grâce à la réalisation ultra-symbolique et cohérente de Hidekazu Takahara. D’aucuns la trouveront certainement grossière, pourtant il y a beaucoup de délicatesse dans ses évidences ; comme lorsque, alors que Tsumugi a les yeux bandés le temps d’une dernière étreinte, son amant torturé lui dit qu’il ne peut plus la voir, ou quand Takahara cadre Sora Aoi toute nue et de plain pied, et qu’elle demande à Katagiri - ainsi qu’au spectateur - de la regarder. Tout le film résonne de l’expression cinématographique de ces doutes et émotions simples mais justes, synthétisés dans le motif répété sans cesse par sa jeune séductrice : « c’est tout ce que j’ai ». Pour certains, la phrase est un constat d’appréciation, de contentement simple, voire de protection. Pour d’autres, d’insuffisance. Pour tous, c’est certainement un peu des deux, incertitude motrice des relations, d’apparence innocentes et pourtant destructrices, qui portent ce magnifique tableau d’interdits.

Tsumugi - et non "Tsugumi" comme se trompe l’actrice elle-même - est disponible en DVD chez l’éditeur américain Pinku Eiga. Si le transfert du film est de piètre qualité, l’édition dite "spéciale" est riche en suppléments d’intérêts, qu’ils soient textuels (biographies, carnet de tournage du réalisateur) ou vidéo (entretien avec Sora Aoi, making of du film). A mon sens donc, un essentiel.

- Article paru le jeudi 17 décembre 2009

signé Akatomy

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