Un merveilleux dimanche
Le dimanche est l’unique jour de la semaine que Yuzo et Masako peuvent passer ensemble. Mais en réunissant leur argent, le jeune couple ne dispose en tout et pour tout que de 35 yens. Un montant bien trop faible pour faire quoi ce soit dans le Tokyo de l’après-guerre où les prix ont horriblement progressé. Le manque d’argent les oblige à rester séparé le reste de la semaine, ne gagnant pas suffisamment pour se marier et se loger convenablement. Il partage une chambre avec un ami et elle vit chez sa sœur. Cette situation plonge Yuzo dans le désespoir, honteux de ne pas être capable d’offrir un avenir à sa petite amie.
Dans son sujet et sa facture, Un merveilleux dimanche ressemble aux films néoréalistes italiens des années 40 et 50. Les deux principaux protagonistes sont des gens du peuple et une partie non négligeable du film a été tournée en extérieur. Certaines scènes ont été filmées en caméra cachée, les acteurs se mêlant à la foule des anonymes, par exemple dans le quartier de Shinjuku, raconte le réalisateur japonais dans son autobiographie, Comme une autobiographie. Le travelling filmé d’une voiture qui accompagne le couple dans sa course vers la gare est l’une des scènes techniquement et visuellement magnifiques qui illuminent ce film. Ou parmi d’autres scènes, celle de la danseuse saoule brisant une vitre en perdant l’équilibre. Kurosawa est déjà Kurosawa.
Un merveilleux dimanche est un film très musical ; pas seulement en raison de la scène finale de l’auditorium, mais aussi par l’utilisation habile du bruitage – la goutte d’eau tombant du toit dans la cuvette rend encore plus inconfortable le silence entre Yuzo et Masako.
Le film faiblit dans son dernier tiers quand il se focalise sur le couple, dans les longues scènes de la chambre de l’homme et de l’auditorium, et qu’ils ne sont plus montrés dans le contexte de l’époque. La tension née de leur exclusion de la vie continuant autour d’eux, laisse la place à un sentimentalisme trop prononcé.
La guerre a détruit nos rêves, comment les reconstruire ? Cette phrase, empruntée pour partie à Yuzo, résume les interrogations que souhaitent susciter les auteurs du film, co-scénarisé par Akira Kurosawa et son ami d’enfance, Keinosuke Uekusa.
La ballade dominicale du couple nous plonge au sein de la société japonaise de l’après-guerre. Un monde décrit comme très inégalitaire, fracturé entre les privilégiés, bien souvent des profiteurs, yakuza ou participants au marché noir, et tous les autres. Les petits plaisirs sont un luxe bien sûr, mais au même titre que les besoins essentiels, comme le logement.
De passage dans le dancing propriété d’un copain de régiment, Yuzo est frappé - Kurosawa le présente littéralement stoppé sur place - par l’apparence miteuse que lui renvoie le miroir, même s’il porte ses « vêtements du dimanche », comparée à la luxueuse mise d’un client. Son image le renvoie à son impuissance : chaque projet qu’ils élaborent pendant cette journée est bloqué par un obstacle et ces échecs le ramène à son incapacité à offrir la vie qu’elle mérite à Masako.
Son horizon lui semble irrémédiablement bouché. Yuzo a tellement honte, est tellement en colère, au point qu’il a envie de tout envoyer paître au risque de perdre ce qu’il possède de plus cher : l’amour de Masako.
Si Yuzo est rongé par son pessimisme, sa petite amie croit toujours à un monde meilleur. Assis ensemble sur un banc, elle prend systématiquement le contrepied de sa vision négative de leur vie : le trou dans sa chaussure facilite ainsi la sortie de l’eau... Masako veut encore croire à la possibilité de réaliser ses rêves et incarne à ce titre la confiance en l’homme d’Akira Kurosawa, que l’on trouve dans nombre de ses films.
Edité par Wild Side, Un merveilleux dimanche sortira le 28 octobre, accompagné d’un autre film d’Akira Kurosawa, Le plus dignement. Les deux films sont proposés en Blu-ray et DVD. Ils sont accompagnés d’un livret de 34 pages, écrit par Michael Lucken, spécialiste du Japon à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, qui apporte un éclairage intéressant sur les films. A la même date, un autre double programme présentant les mêmes caractéristiques, comprenant les films Je ne regrette rien de ma jeunesse et Qui marche sur la queue du tigre, sera aussi commercialisé. Au total, 17 films du cinéaste japonais recevront le même traitement d’ici février 2017.
Remerciements à l’équipe de Wild Side.






