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Hors-Asie | Russie

Un nouveau Russe

aka Oligarkh - Tycoon | France / Russie | 2001 | Un film de Pavel Lounguine | Avec Vladimir Mashkov, Maria Mironova, Andreï Krasko, Levani Outchaneïchvili, Mikhaïl Wasserbaum

Lounguine est un peintre et un témoin de son temps. De ses temps, pourrait-on dire, tant les changements qu’a connus son pays l’ont bouleversé en profondeur. La Russie d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle d’il y a cinquante ans, celle où il est né. D’ailleurs, elle n’a plus rien à voir avec celle d’il y a vingt ans. Ni celle d’il y a dix ans ou même cinq. La Russie, terre plusieurs fois millénaire, empreinte de traditions que n’ont pas réussi à éteindre les décennies communistes, est en train de s’écrouler.

Le capitalisme triomphant, imposé brutalement sous l’ère Eltsine, fait des ravages (comme il en fait, sous l’égide du FMI, dans nombre de pays en "développement") et voit s’imposer les "oligarques", ces hommes qui ont su, les premiers, tirer parti des nouvelles possibilités offertes par l’évolution du régime (évolution économique s’entend, puisque l’abrogation de l’article 6 de la constitution russe, qui instituait le parti communiste comme parti unique, date de 1989).

Après s’être attaché, avec La Noce, à décrire l’évolution des mentalités dans les campagnes russes, Lounguine s’attaque donc à plus forte partie en frappant au coeur même du pouvoir. Et le constat est édifiant : collusion avec la pègre, corruption à grande échelle, opérations maffieuses, tout y est, comme au meilleur temps des grandes dictatures africaines. Dans ce paysage dévasté, suivons le destin de Platon Makowski : étudiant plein de bagou (allez démontrer, vous, qu’un crocodile est plus long que vert !), il perçoit très vite les horizons qu’ouvre la nouvelle loi sur les entreprises privées, promulguée en 1988 par Gorbatchev. Il décide donc d’abandonner le monde universitaire dans lequel il évolue, pour se lancer dans les affaires, entraînant avec lui ses amis Victor, Mark, Larry et Moussa. Des petites combines du début à la politique, en passant par des montages financiers ingénieux, destinés à contourner les douanes, Makowski devient, en quelque dix ans, l’un des hommes les plus puissants du pays, propriétaire notamment d’une importante chaîne de télévision. Mais autant de pouvoir dérange et Platon est assassiné... (Rassurez-vous, ce n’est pas un spoiler, le premier plan du film est sous-titré "Le jour de la mort de Platon", alors...).

La force du film est d’ailleurs là : en nous mettant devant un fait accompli ( ?), Lounguine fait d’un film politique un véritable thriller qui se déroule sur trois époques. Celle des débuts, où de jeunes hommes saisissent une opportunité : Gorbatchev est au pouvoir, et le pays commence à s’ouvrir au fonctionnement de marché. Les années 1990 constituent le coeur du récit : c’est la période durant laquelle Makowski bâtit l’empire Infocar (construit, comme son nom l’indique, sur les voitures et la télévision d’informations à la CNN). Tout d’abord aidé, encouragé par le pouvoir, Infocar finit par devenir dangereux... et l’on se retrouve ainsi dans le présent.

Jalousie, vengeances, coups de force et hommes de mains : ça vous fait penser à quelque chose ? Si la maffia n’est jamais ni montrée ni citée, c’est bien l’ambiance dans laquelle baigne l’ensemble du récit. Appareils politiques parallèles et lourdeur de rouleau compresseur de l’Etat, contribuent à faire de ce Nouveau Russe un thriller lent (comme pouvait l’être le Révélations de Michael Mann) immergé dans l’esprit russe qui, même dévoyé (cf. le personnage du sénateur sibérien), transparaît encore.

C’est curieux comme l’esprit fait des rapprochements étonnants : je n’ai cessé, au cours du film, de songer à certains romans de Milan Kundera, sans parler de Kafka ni de l’Ubu de Jarry. Une certaine âpreté dans le récit, pas de fioritures, un certain reste, peut-être, d’académisme soviétique, que sais-je, qui fait des films russes (par opposition aux films tadjiks ou géorgiens de Khudojnazarov et Iosseliani) des oeuvres immédiatement reconnaissables.

Un petit bémol cependant : la réalisation n’est pas parfaite et tantôt laisse une impression de vide, de manque, tantôt donne le sentiment que le réalisateur lui-même est un peu perdu dans l’ampleur de son sujet. Le scénario est adapté d’un roman de Youli Doubov qui raconte l’histoire de l’un de ces oligarques surpuissants, et apparente Un nouveau Russe à un véritable documentaire sur l’état de la Russie.

Pour terminer sur un point positif : les acteurs sont leurs personnages. On a du mal à les imaginer jouer quoi que ce soit d’autre. Et ça, c’est une véritable réussite.

En salles à partir du 23 avril 2003. Un nouveau Russe est par ailleurs disponible en DVD, en Russie !

- Article paru le jeudi 17 avril 2003

signé Lester D. Shapp

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