Une Femme dans la tourmente
Au début des années 1960, veuve de guerre, Reiko gère pour le compte de sa belle famille une épicerie qu’elle a fait prospérer grâce à son labeur. Mais ses affaires et celles des autres petits commerces de la ville souffrent de l’installation à proximité d’un supermarché. Son jeune beau-frère Koji, qui jusqu’à présent menait une vie oisive, propose à l’un de ses beaux-frères de transformer l’épicerie familiale en supermarché. Ils s’opposent cependant sur la place à accorder à Reiko : Koji veut qu’elle en soit la directrice en récompense de son dévouement envers la famille, mais pas son beau-frère. La femme de ce dernier et sa sœur souhaitent éloigner Reiko des affaires familiales. La relation entre Koji et Reiko prend en parallèle une tournure sentimentale.
Une Femme dans la tourmente démarre par la description d’un monde des petits commerces disrupté par l’émergence des premiers supermarchés, qui offrent des prix imbattables. Le commerce traditionnel est perturbé par la distribution moderne, comme le calme de cette petite ville où se déroule le film l’est par la réclame du supermarché propagée par des camions surmontés de haut-parleurs. Cette émergence est le témoignage des changements vécus par le Japon : les restrictions de l’après-guerre appartiennent au passé. Le concours organisé au début du film pour savoir qui engloutira le plus d’œufs est un autre exemple de la transformation du Japon post Seconde guerre mondiale, dont Mikio Naruse se fait le chroniqueur dans cette partie de sa carrière.
A temps différent, mœurs différentes. Mais pas pour tout le monde. Reiko s’est sacrifiée pour assurer la prospérité du magasin – de même que les Japonais pour redresser leur pays - source des revenus de Koji et sa mère, et elle continue de le faire. Un dévouement que ses belles-sœurs, mariées et installées, oublient, faisant même preuve d’un bel égoïsme.
Après une première partie où Mikio Naruse aborde ces changements sociétaux, Une Femme dans la tourmente va progressivement glisser vers le mélodrame et devenir de plus en plus touchant. Le cinéaste recentre son récit sur le couple Reiko/Koji dans leurs environnements familial et de travail avant de se focaliser uniquement sur leur relation intime à la fin du film.
Ils s’en échappent lors de l’épisode du fameux trajet en train, occasion pour Mikio Naruse de mettre en scène leur voyage émotionnel. D’abord assis à distance, ils vont progressivement se rapprocher - Koji changeant de place en fonction des départs des voyageurs - pour finalement se trouver l’un en face de l’autre.
Mais au bout de la voie ferrée, le couple butte sur la difficulté d’être amoureux, autre grand thème du cinéaste japonais. Hideko Takamine est bouleversante dans le rôle de cette femme dissimulant son amour par souci des convenances et dans la manière dont elle va montrer ses sentiments fendiller ce masque. Dans l’univers de Mikio Naruse, l’âge et les situations sociales empêchent les amoureux d’aller jusqu’au bout de leurs sentiments. Le couple Reiko/Koji fait écho avec quelques années d’intervalle à celui de Kikuko et Shingo, les deux personnes les mieux à même de former un couple dans Le Grondement de la montagne.
Une Femme dans la tourmente fait partie d’un box de 5 films en DVD ou Blu-ray de Mikio Naruse édité par Carlotta. S’y trouvent également Au gré du courant, Quand une femme monte l’escalier, Le Grondement de la montagne et Nuages épars.
Remerciement à Elise Borgobello chez Carlotta Films.






