Uwe Boll
On peut penser ce que l’on veut de la qualité des films d’Uwe Boll, mais ce n’est pas un hasard s’il réalise des films. Au cours de cet entretien réalisé lors de l’Etrange Festival, la passion du réalisateur allemand pour le septième art se sentait dans ses propos et dans sa façon de s’exprimer. Uwe Boll n’a pas la langue dans sa poche et elle n’est pas en bois. Il est revenu avec nous sur sa carrière.
Sancho : Comment êtes-vous devenu réalisateur après avoir fait des études de littérature ?
Uwe Boll : Je voulais faire du cinéma dès l’âge de 10 ans. Mais je n’ai pas été admis dans l’une des deux seules écoles de cinéma qui existaient à l’époque en Allemagne, à Berlin et à Munich. J’ai assisté à des cours pendant quelques mois en tant qu’étudiant invité avant de rejoindre celle de Vienne en Autriche que j’ai détestée. J’ai ensuite étudié la littérature à Cologne tout en continuant à vouloir réaliser des films. J’ai préféré lire des romans et de la philosophie plutôt que de fréquenter une école de cinéma où l’on n’apprenait que de la théorie.
Pourquoi vous êtes vous spécialisé dans l’adaptation de jeux vidéo au cinéma ? Parce que vous êtes un joueur ?
Je joue aux jeux vidéos, mais je ne suis pas un hardcore gamer. Marc Altman à Hollywood m’a contacté pour le projet House of the dead, dont il détenait les droits d’adaptation. J’ai toujours aimé les films de zombies alors j’ai dit « OK », faisons un vrai film de zombies même s’il est adapté d’un jeu. Je ne suis pas vraiment content du film, en particulier du script. Toutefois, j’aime bien que l’action soit pratiquement non stop, presque en overdrive. Ce film a cependant rapporté beaucoup d’argent car il n’a pas coûté cher à fabriquer. Je me suis alors dit que si faire des films adaptés de jeux était financièrement intéressant, alors autant acheter les droits des jeux que j’apprécie, comme Alone in the Dark. Pour BloodRayne, j’aime le personnage, mais pas vraiment le jeu.
Pourquoi votre autre spécialisation dans les films d’horreur ?
Parce que j’ai grandi avec les films de genre et que j’aime les films d’horreur et d’action. J’avais environ 15 ans quand le premier Halloween est sorti sur les écrans. Il y a eu toute cette vague de films, désormais des classiques du cinéma d’horreur dont on fait des remakes, que j’allais voir dans les cinémas. J’ai été infiltré par John Carpenter et compagnie. De ce point de vue, je ne fais pas ces films alors que j’aurais préféré mettre en scène des drames.
Vos films ont reçu beaucoup de mauvaises critiques. Ne pensez-vous pas que, d’une certaine façon, elles ont contribué à faire de vous une sorte de « légende vivante » ?
Ces mauvaises critiques ont constitué un vrai problème. En tant que réalisateur, vous souhaitez obtenir de meilleures critiques. De ce point de vue, cela a été difficile. En plus, j’ai été obligé de me défendre car j’ai beaucoup d’investisseurs dans mes films. Et bien sûr, ils tapent mon nom sur Google et relèvent les mauvaises critiques, le prix du plus mauvais film de l’année... Et ils veulent récupérer leur argent. J’ai été contraint de passer beaucoup de temps à m’expliquer à ce sujet.
Quand on voit vos films les plus récents, on s’aperçoit que vos budgets sont plus importants. Il semblerait donc que vous trouviez de l’argent sans trop de problèmes ?
Jusqu’à la fin 2005, il était facile de trouver des investisseurs grâce à d’importantes déductions fiscales en Allemagne. Ensuite, nous avons dû faire comme tout le monde, nous avons ouvert une société pour vendre nos films dans le monde et nous vendons aussi les films d’autres producteurs. J’ai également introduit ma société en Bourse en Allemagne. J’ai ainsi pu m’éloigner un peu des « pauvres » adaptations de jeux vidéo. Mon dernier film par exemple, Rampage, ne l’est pas, car c’était ma décision. Je n’ai pas eu à convaincre des investisseurs. Ce sont des budgets plus petits que ceux de BloodRayne ou d’In the Name of the King, mais j’ai disposé de plus de liberté.
Avant de tourner un film, en avez-vous déjà vendu les droits et ceux de l’édition en DVD ?
Oui, tout à fait. J’ai des accords de distribution de DVD pratiquement partout dans le monde. La France reste cependant un grand problème parce qu’ils sont très sélectifs. Prenez l’exemple de Postal, qui est mon film préféré : je n’ai pas pu vendre les droits car ils ont peur de la réaction des musulmans à l’égard de mon film. Je l’ai pourtant vendu au Royaume-Uni et en Allemagne et il ne s’est rien passé. Tout le monde voit Postal comme une comédie. Je ne comprends pas cet échec, d’autant plus que le public français qui a vu le film l’a apprécié dès le début. En ce qui concerne une sortie au cinéma, vous avez besoin de noms plus connus. C’est tellement cher avec les coûts de marketing que j’aurais besoin d’une autre organisation.
Comment définissez vous votre cinéma ?
J’adore filmer avec une caméra, réaliser un film. Je n’ai aucun problème à faire un pauvre film d’horreur comme House of the Dead ou Alone in the Dark, où il n’y aucune philosophie derrière. Je raconte une histoire et je veux du sang, du sexe... Toute ce que j’aime. J’ai beaucoup aimé travailler sur Dungeon Siege, où j’avais un gros budget de 60 millions de dollars, quatre mois de tournage... Cela a été absolument fantastique de le tourner. Mais ce n’est pas du tout un film avec lequel j’ai voulu dire quelque chose au monde. Il est simplement divertissant. Et de temps en temps, je fais des films comme Postal ou Rampage qui sont un peu plus que cela. Bien sûr, ces films me sont plus chers.
Vous avez réalisé Postal, mais aussi un film sur la situation au Darfour. Pourquoi vos films sont maintenant plus ouvertement politiques ?
Je n’ai jamais été un réalisateur apolitique. Regardez Amoklauf ou le thriller politique que j’ai réalisé en Suisse. Beaucoup de personnes n’ont pas voulu voir que j’avais fait sept films avant de réaliser House of the Dead. Mais si vous regardez la presse, en particulier aux Etats-Unis, je suis le maître du trash, Ed Wood... Mais elle considère que ma carrière commence à House of the Dead, en ignorant mes films précédents. Elle ne parle pas de mes films comme Seed ou de celui sur la situation au Darfour. J’espère que les gens vont prêter un peu plus d’attention à ce que je fais.
A partir de quel moment jugez-vous qu’un film est bon ?
Un film ne peut pas être bon s’il est ennuyeux. Il doit comporter un aspect divertissant, mais ce critère est subjectif. Par exemple, j’estime que ce n’est pas le cas du quatrième Indiana Jones, même s’il l’est peut-être pour beaucoup de gens. Pour moi c’est un film de merde. En revanche, ils vont trouver que There Will Be Blood est trop long et trop déprimant, mais moi je l’ai aimé. C’était mon film préféré de l’année dernière et je l’ai trouvé divertissant. Il a une histoire formidable et de bons acteurs. Il possède un ton qui me plait : j’aime l’humour noir, les fins malheureuses... J’adore les films des frères Coen. Je considère aussi Crank comme un très bon film : il comporte une bonne idée, même si elle est complètement absurde. J’ai adoré le voir. Alors qu’un film comme Le Transporteur, où les cascades sont trop exagérées, a commencé à plus m’énerver que de me divertir. Je ne dirai pas qu’il s’agit d’un mauvais film, il est simplement correct. Quant aux blockbusters comme Transformers 2, il y a beaucoup de reproches à faire quand vous pensez qu’ils disposent d’un budget de 150 ou 200 millions de dollars. Ce que vous livrez est décevant.
Vous êtes-vous donné une limite quant à ce que vous êtes prêt à montrer dans un film ?
Non. J’ai mis en scène un film sur le génocide au Darfour, à propos duquel l’ONU ne fait rien. Dans ce cas-là, vous devez montrer ce qui se passe parce que c’est la raison d’être du film. Si vous faites un film philosophique sur le Darfour, c’est bien, mais tout le monde s’en fout. Pour ce film, j’ai engagé des soudanais qui ont été violés et qui doivent jouer ces scènes. Ce tournage a été le plus intense de ma carrière. Mais je l’ai fait pour dire que nous devons arrêter le génocide. Je suis d’ailleurs furieux contre le Festival du Film de Toronto, qui ne l’a pas accepté car il était trop brutal. Mais je leur ai dit que c’était la réalité. S’ils ne peuvent pas montrer cela, ce n’est qu’un festival de mon cul présentant des films déjà vus à Cannes. C’est une décision ridicule car après Toronto il n’y a plus de festival. Je vais devoir attendre 5 mois jusqu’à Sundance ou le Festival de Berlin. Or il s’agit d’un film sur un génocide, il ne peut pas rester sur une étagère pendant un an. Les gens doivent le voir. Maintenant, nous essayons de le montrer dans les écoles et les universités.
Parfois, la violence graphique est importante pour comprendre. Stoic par exemple raconte une histoire qui s’est réellement passée dans une prison allemande en 2006. Un prisonnier s’est fait torturer et violer par ses trois co-détenus, qui l’ont ensuite aidé à se pendre. Normalement, je n’aurais pas fait un film sur un tel sujet. Mais ce qui est dérangeant, c’est le fait que ces quatre prisonniers étaient incarcérés pour des délits mineurs. Aucun d’eux n’avait commis un crime violent avant. Cela montre l’effet de la prison. C’est incroyable, on a l’impression d’être au Rwanda. Ils ont eu besoin d’une heure trente pour le pendre. C’était déjà horrible de voir les acteurs rejouer ce qui s’était réellement passé. Mais si vous cachez toujours ces scènes, alors pourquoi faites-vous ce film ?
D’où vient cette rage que l’on voit dans vos films ?
Je suis quelqu’un de plus cynique que les autres en raison de mon passé. J’ai toujours aimé la littérature nihiliste. J’ai lu Camus, Sartre, Nietzsche, Schopenhauer... Je suis un admirateur des existentialistes. Ces lectures m’ont marqué et je n’ai pas eu une existence super joyeuse entre 15 et 25 ans. J’ai pratiqué la boxe pendant 10 ans, travaillé un an et demi dans une usine chimique, et j’ai conduit ensuite une ambulance pendant 18 mois au lieu de faire mon service militaire. Ce qui n’est pas le travail le plus agréable sur terre. En plus, je voyais mon rêve s’envoler. Ces expériences restent dans votre sang.
A Hollywood, les gens sont assez surpris de ma vision de la vie. A Los Angeles, tout le monde est très optimiste. La serveuse à Hollywood veut devenir actrice et pense qu’elle va y parvenir. Et moi je dis qu’elle va rester serveuse, qu’elle n’a pas de sécurité sociale et qu’elle va mourir pauvre. C’est mon attitude. Mais j’espère qu’avec des films comme Rampage où je montre le côté négatif des choses, je vais créer chez les spectateurs le désir de réagir. Après avoir vu le film sur le Darfour, vous devez être furieux. Et vous dire : Comment j’ai pu laisser ça se dérouler ? Je dois faire quelque chose pour l’arrêter.
Pourquoi avez-vous fait de Postal un film aussi satirique ?
Ce film est ma revanche. Postal est le premier film que j’ai écrit depuis House of the Dead. Des films comme BloodRayne ou Alone in the Dark me sont étrangers, même si j’ai aimé les faire. En plus, j’ai eu mauvaise critique sur mauvaise critique. Avec Postal, J’ai pensé qu’il fallait revenir à ce que je faisais au début de ma carrière. J’ai écrit le scénario et comme j’étais furieux j’ai sorti l’artillerie lourde. Je m’en suis pris à tout le monde et même à moi. Si vous faites un film comme celui-là, il est important de ne pas s’épargner.
Remerciements à Xavier Fayet et à l’équipe de l’Etrange Festival.
Interview réalisée par Kizushii et savonfou de Joystick. Photos d’Uwe Boll : Kizushii.










