Vexille
Fragments d’humanité.
Alors que les recherches en robotique devienne une préoccupation pour l’ensemble du globe au 21ème siècle, le Japon prend une avance considérable en la matière. Applications militaires et domestiques fleurissent à tout va ; aussi les Nations Unies, qui voient dans cette croissance technologique incontrôlée une menace potentielle, décident-elles de réglementer la cybernétique et d’interdire la création d’androïdes. Plutôt que de contester la décision, le Japon s’en extrait, quittant l’ONU pour plonger dans l’isolationisme le plus complet. Un réseau électromagnétique baptisé RACE est dressé autour de l’archipel qui ferme ses frontières, bloquant toute possibilité de communication, bilatérale, avec le reste du monde. Pendant plus de 10 ans, la totalité de l’humanité ignore ce qui se trame derrière ce black out. Mais l’agent Leon du SWORD, reçoit un avertissement sous la forme d’un androïde, qui encourage les forces spéciales à tenter de pénétrer la Forteresse Japon. Leon, Vexille - sa compagne - et une poignée d’agents du SWORD se rendent à l’autre bout du globe pour résoudre le mystère des Industries Daiwa, complexe colossal qui dicte la politique japonaise. Leur premier objectif : faire tomber l’écran de RACE. Qui sait ce que le monde découvrira alors...
Seconde réalisation de Fumihiko Sori, cinq ans après le merveilleux Ping Pong, Vexille semble s’incrire simplement dans la mouvance CyberPunk nourrie par l’imaginaire de Masamune Shirow. Alors qu’Appleseed est remis à l’honneur une seconde fois avec Ex-Machina, l’approche 3D "cel-shadée" de l’animation du duo est reprise pour cet iconoclaste film de science fiction. Vexille est une oeuvre extrèmement technique, mais pas forcément foisonnante ; si l’on devait le comparer à du Shirow donc, ce ne serait pas à Ghost in the Shell en dépit de centres d’intérêts similaires, mais plutôt à Avalon. Ce que le film de Sori a en commun avec le chef-d’oeuvre sepia du maître de la SF politique et armée, c’est sa cohérence, et son approche intimiste d’un phénomène global.
Vexille conte l’histoire d’une humanité fragmentée, sacrifiée sur l’autel de la technologie. Allant à l’encontre d’un certain renouveau nationaliste du cinéma nippon - plus ou moins péjoratif selon que l’on traite de Lorelei ou For Those We Love - Sori n’hésite pas à faire du Japon son propre ennemi, les héros du film étant américains. Toute l’habileté de son approche politico-sociale tient en ce que, ce faisant, Vexille ne s’écarte jamais des traditions japonaises ; au contraire même, il fait place nette pour mieux transcender certaines caractéristiques historiques du pays, notamment en matière de sacrifice humain en temps de guerre. Anti-japonais donc, en ce que, oeuvrant dans l’anticipation, Sori met le Japon en garde contre sa propre évolution technologique et exacerbe son manque d’ouverture vers l’extérieur ; tout en étant pro-japonais, à la fois du point de vue des relations humaines et des valeurs exprimées. Si ses héros sont des américains, Sori n’hésite pas, par des références subtiles, à critiquer l’attitude des yankees vis à vis des problèmes politiques extérieurs, leur facheuse propension à s’imposer dans ce qui ne les concerne pas. Et l’on ressent dans le discours de Vexille, le personnage, le constat d’une déshumanisation différente - mais tout aussi nocive - des sociétés occidentales.
Détails dans un détail.
L’équilibre presque contradictoire de ces constats se retrouve dans l’ensemble du paradoxe Vexille. Si les personnages et leur contexte direct - armures et armes notamment - sont très détaillés, les décors et le background de l’histoire sont, quant à eux, presque spartiates. A mille lieux d’une production du Studio IG, donc, Vexille se pose en héritier des jeux de "mecha" façon Zone of the Enders, concentrant sa narration et son travail sur des protagonistes dont découle un univers, plutôt que de détailler leur environnement. Le contexte de Vexille est induit ; une décision qui tient certainement partiellement de l’économie, mais renforce l’attrait du film pour les fragments, métonymies fantastiques d’une humanité vivante. C’est dans un soucis de logique que Vexille est aussi partiel dans sa réalisation que dans son objet, allant jusqu’à laisser sa véritable héroïne - la résistante Maria - au second plan.
Car rien ne manque pour autant à la narration, concise et riche en morceaux de bravoure d’une intensité rare. Visuellement, les scènes d’actions sont sublimes, et la mise en scène joue au mieux d’une modélisation parfaitement dosée, entre évocation et figuration : Vexille donne à voir l’essentiel, et laisse notre imaginaire construire le reste. Cette parcimonie donne lieu aux plus beaux moments du film, comme lors du rétablissement de la liaison satellite avec le Japon, où l’on découvre que Vexille est peut-être la seule véritable humaine de l’archipel : une évocation effrayante du global par un détail.
Certains trouveront certainement qu’il manque à Vexille une densité, une luxuriance justement. Pourtant, à la manière du coréen Wonderful Days, c’est une oeuvre qui puise justement sa beauté dans la mise en scène, exigeante, de la fin d’une histoire, de quelques individualités qui évoquent un monde, une époque, une évolution probable, un sacrifice. C’est certainement, en raison de ce dépouillement narratif et de sa seule attention à l’humain au coeur de la technologie - dont il est pourtant un fabuleux fer de lance - l’un des plus grands films de science fiction japonais de ces dernières années. Une pure merveille.
Vexille est disponible en DVD et VCD HK, sous-titré, pour une fois, dans un anglais impeccable.



