Vibrator
Serait-ce enfin le début de la consécration pour Ryuichi Hiroki ? Réalisateur oeuvrant depuis une bonne vingtaine d’années, rares sont ses films à avoir dépassé les frontières de l’archipel. Ce n’est pourtant pas faute de films intéressants, que ce soit dans ses pinku du début à ses passionnantes variations sur le thème du SM ou des perversités (Muma, The Night Without Angels, Tokyo Garbage Girl). Ayant abandonné l’érotisme à proprement parler depuis quelques films déjà, même si son avant-dernier en date Barber’s Sorrow contenait une bonne dose de charge érotique sous-entendue, il a vu son dernier film Vibrator sélectionné pour le Tokyo International Film Festival 2003 et projeté auparavant à Venise, Toronto et Vancouver. Qu’en est-il donc de ce film au titre qui a de quoi titiller l’esprit et autre chose ?
Mettons tout de suite les points sur les "i", le titre Vibrator fait, évidemment, référence au mode vibreur des téléphones portables. Pourtant, il n’est guère question de ces derniers dans Vibrator si ce n’est dans une unique scène où le portable de Rei vibre comme son cœur au moment où elle rencontre Takatoshi. Vibrator est en réalité un road movie en même temps qu’un superbe et fragile portrait de femme. Adapté d’un roman de Mari Akasaka par Haruhiko Arai, qui a écrit un certain nombre de scripts de films érotiques (du fameux réalisateur érotique Tatsumi Kumashiro notamment) ou celui du récent KT, Vibrator est un film à la fois simple et complexe qui doit beaucoup, et au talent de Ryuichi Hiroki pour filmer les femmes (un bon nombre de ses pinku avaient pour héroïnes des jeunes femmes) et à celui de l’actrice Shinobu Terajima (actrice de théâtre et de télévision, qui n’a jusqu’ici joué que dans un unique autre film, le lamentable Siberia Express 2 de Mike Mizuno), absolument époustouflante et sans conteste l’une des révélations de cette année.
Rei (Shinobu Terajima) est une femme seule d’une trentaine d’années. Elle entend des voix, est alcoolique, boulimique et anorexique à la fois. C’est une femme fragile, qui n’a aucune confiance en elle et est en proie à une terrible détresse affective et des crises d’angoisse à répétition. Un jour, dans le convenient store où elle a l’habitude de venir acheter son alcool, elle rencontre Takatoshi, un jeune camionneur (Nao Oumori, que l’on a pu voir dans Ichi The Killer de Takashi Miike ou encore Dolls de Takeshi Kitano). Elle le suit dans son camion et va l’accompagner pour ses livraisons qui doivent le mener de Tokyo jusqu’à Niigata, dans le nord du Japon.
Le voyage de Rei est autant un film sur la solitude (il est surtout question de Rei et le métier de camionneur est souvent vu comme un métier solitaire par excellence) qu’une histoire d’amour (que l’on pourrait résumer à un couple dans un camion). Mais c’est surtout un magnifique portrait de femme. Un portrait qui échappe par sa sensibilité, sa délicatesse et son réalisme puissant à tous les pièges du genre. La vulgarité est absente des scènes érotiques (l’expérience de Ryuichi Hiroki n’y est pas étrangère) et le personnage du camionneur permet au personnage de Rei de déployer toute sa complexité et sa féminité. Si Rei est au centre du film, Takatoshi n’est cependant pas là pour faire de la simple figuration ni être un simple faire-valoir. Du camionneur surtout intéressé par le sexe du début, il en vient vite à comprendre la personnalité complexe et les désirs de Rei, en lui faisant écho. Cette dernière va vivre le voyage comme une véritable thérapie, à la limite de la psychanalyse. Ainsi les souvenirs qui lui reviennent, la découverte de soi et de son corps grâce à Takatoshi et surtout les fréquents cartons où sont inscrites les pensées de Rei. Si le roman, écrit par une femme donc, fournissait déjà une base solide pour le personnage de Rei, entre la femme et l’enfant (une magnifique scène dans un bain dévoile toute la fragilité et la féminité de Rei), Ryuichi Hiroki trouve les images justes pour le dire et porter la complexité de la personnalité de Rei à l’écran. Le pari était loin d’être gagné mais aidé par l’interprétation sans faute de Shinobu Terajima, on est pris à la gorge par ce petit bijou finement ciselé.
Bien que ne se déroulant quasiment que dans la cabine du camion, Vibrator parvient à maintenir un délicat équilibre grâce à la puissance de son réalisme (une longue scène dans une station service est à couper le souffle) et à la force de ses personnages. Parfois, on peut certes regretter que le film traîne un peu en longueur, mais un peu d’humour vient souvent à la rescousse des séquences les plus monotones (la monotonie faisant plus ou moins partie de tout voyage). De plus, on ne peut que rendre hommage à l’excellent travail effectué sur la bande son et sur la gestion des dialogues (cartons, voix off, voix de la CB...).
Autant road movie que quête intérieure, Vibrator est un film à la féminité exacerbée qui nous dévoile un Ryuichi Hiroki tel que l’on en n’avait pas l’habitude, et confirme son immense talent. Surtout, Vibrator fait éclater celui de Shinobu Terajima.
Note : les amateurs de Ryuichi Hiroki savent que ce dernier fait souvent appel à Tomorô Taguchi. Qu’ils ne soient pas déçus, ce dernier interprète un policier pendant quelques secondes dans Vibrator !
Site officiel : http://vibrator-cinema.com/
BO du film disponible sur CD (ref. IACD-2004).


