Violent Cop
Alors que mes complices de SdA couvrent l’édition 2009 du Festival du Film Asiatique de Deauville, j’ai décidé de me lancer dans une petite rétrospective Kitano, tranquillement installé @home. Me voici donc (à nouveau) face à sa première réalisation cinématographique : Violent Cop. Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Violent Cop était initialement prévue sous la direction de Kinji Fukasaku, Kitano devant seulement en interpréter le rôle principal, mais des divergences entre Fukasaku et la Shôchiku ont finalement écarté le réalisateur japonais. Du coup, le fauteuil fut proposé à Kitano, ce dernier ayant supervisé la réalisation de ses propres émissions télévisées pendant plusieurs années. Quelques remaniements de scénario plus tard, histoire de noircir un peu le personnage, le touche-à-tout nippon se place donc devant/derrière la caméra pour une oeuvre indéniablement violente et atypique.
Certes, la violence est très présente, tant à l’image que dans le portrait des deux principaux protagonistes : Azuma (interprété par Kitano), flic taciturne aux méthodes musclées, et Kiyohiro (interprété par Haku Ryu), yakuza impassible aux penchants sadiques. Mais celle-ci n’est en réalité que la manifestation, dans leurs contextes professionnels respectifs, de l’inadaptation dont ils sont les victimes ; inadaptation à la norme sociale imposée, inadaptation aux échanges humains, inadaptation aux codes des corps contraires auxquels ils appartiennent... Pour autant, les raisons de cette inadaptation ne seront pas développées ; Azuma s’occupe de sa jeune sœur, atteinte de troubles mentaux, Kiyohiro est homosexuel... Ce sont les seuls éléments personnels extérieurs à leur conflit qui nous sont ouvertement révélés. Mais, comme souvent chez Kitano, le non-dit travaille au service du récit, à la manière de l’art abstrait, et c’est donc au spectateur d’imaginer le background de ces personnages riches en substance.
Sur le plan de la réalisation, même si Kitano avoue lui-même ses lacunes sur cette première expérience, on peut pourtant déjà noter certaines éléments/gimmicks qui deviendront sa signature : de longs plans fixes silencieux, face caméra, des cadrages de 3/4, en légère contre-plongée, sur deux personnes en contemplation (cf. Hana-Bi, Dolls et Takeshi’s)... Et si Kitano préfère poser sa caméra, jouer sur la composition du cadre plutôt que d’user du travelling, il n’en filme pas moins souvent des personnages en mouvement, comme ces longs plans sur Azuma qui marche, évoquant la dynamique d’une violence contenue qui explose lorsque son hôte se fige.
Alors Violent Cop, apologie de la violence personnelle, façon Japanese Death Wish, ou bien pamphlet contre celle-ci ? Quelques indices dans les dernières minutes du film nous orientent vers la seconde option. En effet, lorsque le bras droit de Nito (le boss yakuza) pénètre sur les lieux de la tuerie finale, c’est une mise en scène de la violence qui s’offre à lui ; l’esthétique est travaillée, l’ombre et la lumière composent un cadre cinématographique dans lequel la violence est mise en valeur. Mais lorsqu’il allume la lumière, il nous expose la vraie nature de celle-ci, réduisant alors sa beauté à la seule utilisation d’artifices visuels dans un hangar. D’une réplique, "Le monde est fou", il appuie son propos, afin d’ouvrir les yeux du public sur le caractère artificiel de la violence qui lui a été présentée avec excès pendant toute la durée du film.
De plus, dans sa conclusion, Kitano établit par le biais d’un plan jumeau un parallèle entre Azuma et Kikuichi (le jeune coéquipier d’Azuma), plaçant ainsi ce dernier comme le successeur d’Azuma, le nouveau représentant du corps policier. Mais lorsque Kikuichi se trouve dans le bureau du nouveau boss yakuza, il préfère la voie de la collaboration (via la corruption) à celle de l’affrontement, déclarant qu’il n’est pas stupide ; après quelques secondes d’étonnement, la secrétaire en prend note dans le dernier plan du film, concluant sur la thèse qu’un terrain d’entente restera toujours préférable à un champ de bataille. Indics ou flics corrompus sont donc les compromis nécessaires à l’équilibre du système police/mafia, sans quoi les tensions entre les deux corps s’expriment dans la violence...
See you now at Boiling Point.




