Virgin Stripped Bare By Her Bachelors
And now for something completely different...
La Corée joue décidément sur tous les tableaux cinématographiques. Revisitant tous les genres auxquels nous sommes habitués sous l’influence de la culture du pays (aussi bien le film d’action que le policier, le film historique ou le mélo, comme vous avez pu le constater jusqu’ici dans les pages de SdA), le cinéma coréen est à la fois directement familier et profondément dépaysant. Cette richesse est un peu semblable à celle amenée par les nouveaux réalisateurs espagnols (de la Iglesia, Amenabar, Medem, Bajo Ulloa), mais elle se manifeste à une échelle quasiment globale - contrairement à l’Espagne où la tendance demeure marginalisée. Ainsi, Oh ! Su-Jeong représente d’une certaine façon pour le pays du Matin Calme, ce que Chungking Express représentait en son temps pour le cinéma Hong-Kongais : une véritable "digestion" des principes de la Nouvelle Vague, débouchant sur une œuvre beaucoup plus intéressante que la majorité de celles produites en France à la fin des années 60.
Oh ! Su-Jeong s’organise autour d’une série de clichés - concept poussé à l’extrême par l’utilisation d’un découpage en chapitres titrés, et même en sous-chapitres numérotés. Cependant, la narration parvient à rester fluide en dépit d’un découpage déroutant. Jugez plutôt...
Le premier sketch du film, qui correspond au présent de la narration, s’intitule "Day’s Wait". On y découvre l’un des trois protagonistes principaux, Jae-Hoon, qui attend Su-Jeong dans un hôtel. Cet instantané, qui représente la conclusion de l’histoire, trouvera suite et fin respectivement au point central et dans les dernières images du film.
Le second segment, découpé en six sous-parties, s’intitule "Perhaps Accident" et offre un retour en arrière à partir du jour de la rencontre entre Jae-Hoon et Su-Jeong, en continuant à prendre le premier point de vue du film, à savoir celui de Jae-Hoon. Su-Jeong travaille avec Yeong-Su, un réalisateur de films indépendants, ami de longue date de Jae-Hoon (qui dirige quant à lui une galerie d’art). C’est au cours d’un repas un peu trop arrosé que Jae-Hoon va tenter de se rapprocher de Su-Jeong. Les tableaux suivant montreront, en s’attardant sur des moments plus au moins anodins, l’évolution de leur relation, freinée par la virginité de la jeune femme (d’où le titre anglais du film).
Intervient ensuite le troisième segment, "Suspended Cable Car", qui offre un changement de point de vue tout en restant dans la continuité narrative, en se concentrant désormais sur le personnage féminin du film.
Le film retourne à nouveau en arrière pour démarrer le quatrième segment, "Perhaps Intention", qui reprend la même structure que le second en réinterprétant les six sous-parties du point de vue de Su-Jeong, de ses sentiments partagés entre Jae-Hoon et Yeong-Su et de ses doutes.
Le film trouvera ensuite sa conclusion dans son cinquième et dernier tableau, "Naught Shall Go Ill When You Find Your Mare".
Pendant ses trois premiers segments, le film dépeint sans se presser la naissance d’une intimité entre deux personnes, avec une économie narrative surprenante. Mais c’est le quatrième segment qui donne tout son intérêt au film : en revisitant l’apparition d’une affection du point de vue de la jeune femme, le réalisateur se permet de modifier complètement le déroulement de certaines scènes que nous avons pourtant déjà vécues, tout en gardant une cohérence formelle et sémantique inhabituelle dans ce type de démarche.
Ainsi, le réalisateur ne se contente pas de livrer de nouveaux éléments pour éclairer l’histoire (à la manière de Jakarta), mais offre une véritable réinterprétation des sentiments des deux personnages, simplement par un jeu de perception et de ressenti.
La force de Oh ! Su-Jeong, tourné dans un noir et blanc éclatant qui met fortement en avant les deux états opposés de la lumière (blanc - virginité, innocence / noir - trouble, culpabilité) est justement de savoir jouer avec toutes les notions scénaristiques élémentaires pour offrir une complétude au couple Su-Jeong/Jae-Hoon. Observé au travers d’une distance (à la fois visuelle et temporelle) pudique et pourtant trompeuse, ce couple ne prend vie et sens que dans les derniers instants du film, grâce à l’ensemble du découpage qui les précède.
Ainsi, Hong Sang-Su offre à son "entité" protagoniste une unité qui lui permet de prendre une vie au-delà du métrage lui-même. Cette vie propre n’est possible que grâce au truchement de détails anodins qui symbolisent un véritable amour des personnages créés et mis en scène.
Un bien beau film, qui mériterait une sortie de par chez nous... mais n’est-ce pas le cas de beaucoup de films que nous présentons dans ces pages ?
Le film est disponible en DVD chez Spectrum.
La copie rend justice à la magnifique photo du film, même si, à plusieurs reprises, un déluge de tâches blanches et de rayures font leur apparition. Le 5.1 n’a rien d’exceptionnel, mais est bienvenu quand même. En supplément, un making-of assez long et la bande annonce du film. Les sous-titres anglais sont de bonne qualité.


