Warriors of the Rainbow : Seediq Bale
C’est par le biais de l’intronisation de Mona Rudao en tant que véritable guerrier, obtenue après qu’il ait tué un membre d’un clan Seediq adverse et dérobé le fruit de sa chasse, que nous entrons dans l’univers de Seediq Bale. Cette fresque épique de Wei Te-Sheng s’applique à mettre en scène l’incident de Wushe (1930), ultime insurrection des indigènes taiwanais contre la présence coloniale japonaise. Si l’introduction de film se déroule à la fin du dix-neuvième siècle, alors que le traité de Shimonoseki scelle la cession de Taïwan au Japon et que Mona Rudao, adolescent, voit les siens décimés par les forces nippones, le film effectue rapidement un bond de trente ans en avant. Les Seediq - privés de leurs terrains de chasse, dépossédés de leurs trophées de guerre, leurs tatouages identitaires interdits - sont regroupés dans des camps ; réduits, pour la plupart, à l’esclavage par le gouvernement colonial, seuls quelques indigènes acceptant de délaisser leurs traditions et de « devenir » japonais. Si Mona Rudao est toujours chef de son clan - dont l’antagonisme avec celui de Temu Walis, initié en début de métrage, persiste -, il passe son temps, en retrait, à boire et à fumer, se contentant au regret des plus jeunes de tempérer la haine de ses troupes pour l’autorité nippone. Un incident de trop, au cours du mariage de l’un des siens, finira par briser la cruche de la tolérance de Mona Rudao, qui rumine en réalité sa rébellion depuis longtemps, et il se lance dans l’unification, délicate, des clans Seediq contre l’envahisseur. Un combat sans merci, de 300 hommes contre plusieurs milliers de soldats japonais, s’engage alors…
Le moins que l’on puisse dire est que Seediq Bale est un projet qui tient à cœur son réalisateur : il a consacré plusieurs années à son écriture documentée, encore plus à tenter de convaincre des producteurs de le financer, ayant même tourné en 2003 cinq minutes de bande démo, sonorisées par Tu Duu-chih, pour montrer le potentiel du projet. C’est le succès de Cape No. 7 en 2008, projet plus restreint destiné à prouver l’intérêt du public pour un film sans acteurs connus et s’ancrant dans l’histoire coloniale de Taiwan, qui lui permet enfin d’obtenir les fonds nécessaires à sa réalisation ; et, sous la houlette d’un John Woo producteur, le film sort en 2011, quatorze ans après les premières lignes de Wei Te-Sheng. La fresque se compose alors de deux films pour une durée de quatre heures et demie ; et comme trop souvent, Seediq Bale est remonté pour le public occidental, dans une version amputée de deux heures.
C’est pourquoi je trouve délicat de juger Seediq Bale en l’état, même si cette version internationale est probablement la seule que la plupart d’entre vous auront l’occasion de voir, puisque c’est celle qui sera distribuée en vidéo chez nous au deuxième semestre 2012 par Dark Star. Merveilleusement filmé, traversé d’un souffle guerrier souvent renversant, Seediq Bale nous apparaît comme une œuvre superficielle, qui évince trop de causalité et de relationnel au profit de confrontations exclusives, dont la radicalité paraît du coup redondante, vaine, insaisissable. Au fur et à mesure que les vagues d’insurrection se succèdent, que les femmes et enfants Seediq se suicident pour économiser la nourriture, que les têtes tombent, les balles fusent, les lames tranchent et les bombes explosent, on finit par rejoindre l’impatience de ce jeune guerrier, qui s’enquiert sans cesse « c’est demain l’ultime assaut ? ». A force de faire de chaque combat une apogée, de s’abandonner à la mort honorable, d’évincer les silences, l’attentisme et l’inaction, Seediq Bale finit par s’essouffler, paraître trop long – un comble pour un film tronqué.
Certes, rien ne me dit que le montage original n’est pas plus indigeste encore, plus déséquilibré et violent, mais j’en doute. Peut-être en dit-il plus sur le personnage incarné par Masanobu Ando, seul japonais tentant de sympathiser avec les Seediq, et sur son évolution radicale. Peut-être Mona Rudao – incarné avec un charisme terrassant par Lin Ching-Tai, fils illégitime de Toshirô Mifune et Alain Delon probablement conçu sur le tournage de Soleil Rouge, si l’on en croît notre bon Takeuchi – paraît-il moins monolithique. Peut-être les femmes Seediq, leur terrifiant sacrifice, sont-ils mieux mis en valeurs, plutôt que d’incarner de sordides parenthèses à l’action non-stop. Ne vous y trompez pas : même en l’état, il y a beaucoup de choses à apprécier et complimenter dans Seediq Bale. Mais il se peut qu’il y ait plus à l’édifice qu’un penchant historique taïwanais, spectaculaire et éreintant, à la mise en scène impeccable, au quatrième Rambo de Stallone. J’essaierai en tout cas d’en avoir le cœur net, ne serait-ce que par respect pour l’engagement de Wei Te-Sheng.
Warriors of the Rainbow : Seediq Bale a été présenté dans la sélection Action Asia de la quatorzième édition du Festival du film asiatique de Deauville (2012).






