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Corée du Sud | Festival du film asiatique de Deauville 2008

With a Girl of Black Soil

aka 검은땅의 소녀와 - Une fille de terre noire – Geomen Tangyi Sonyeo Oi | Corée du Sud | 2007 | Un film de Jeon Soo-il | Avec Yu Yun-mi, Jo Yung-jin, Park Hyun-woo

Hyegon travaille dans les profondeurs d’une mine pour subsister aux besoins de sa famille restreinte ; sans femme, il s’occupe de ses deux enfants, Young-lim, neuf ans, et son grand-frère Tong-gu de onze ans, dont le cerveau est celui d’un enfant de trois ans. Hyegon est malheureusement atteint d’une pneumonie et perd son travail ; son déclin est précipité par rapport à celui de ce village minier, la mine étant condamnée à fermer et les habitants sur le point d’être expulsés. Victime d’une arnaque qui engloutit ses indemnités, Hyegon sombre peu à peu dans l’alcool et délaisse ses enfants. Young-lim endosse alors le rôle de la mère, aussi bien pour son frère que pour son père...

Triste tableau que celui dépeint par le réalisateur Jeon Soo-il. Dans ce substrat d’industrialisation dépassée, la jeune Young-lim, point focal du film, incarne son seul point lumineux. Le paysage, opposant la blancheur de la neige au noir des terrils, est le lieu d’un contraste brutal qui ne trouve aucun écho dans la monotonie de la vie de cette enfant, dont le peu de points de repères ne cesse de s’effacer. Mère précoce, elle remplit le rôle de celle dont l’absence n’est jamais justifiée ou même mentionnée dans With a Girl of Black Soil. A l’image de cette évidence qui est celle d’une réalisation posée, réfléchie, Young-lim assume ses fonctions avec un naturel touchant, surtout dans ses rapports avec son grand/petit frère.

La mère absente n’est pas la seule figure en creux du film de Jeon Soo-il. Les interlocuteurs du père tout au long du métrage, sont soit des voix sans visages, soit des visages sans voix. Ainsi les diagnostics sont ils énoncés en off, anonymes, et les conflits réglés de loin, dans le silence. Ce choix de mise en scène renforce l’isolement d’une cellule familiale déjà handicapée par l’absence de la mère, et souligne aussi l’état d’esprit de Hyegon, qui accélère sa dissolution. Il laisse aussi planer l’aura d’institutions et administrations peu soucieuses des individualités.

Film rare dans la production coréenne contemporaine, With a Girl of Black Soil est un parent proche des films chinois qui traitent du même sujet. Ce qui le rend si particulier, c’est la pluricité de ses points de vue. Si le regard de l’enfant l’emporte sur l’ensemble, le réalisateur livre au travers de sa mise en scène, l’interprétation de spectateurs intérieurs à l’histoire, tour à tour incarnés et omniscients. Sans s’y substituer, la caméra de Jeon Soo-il adopte ainsi, par exemple, le point de vue d’une femme qui s’apprête à prendre le bus - sa compassion discrète, un peu gênée - lorsque, au début du film, les enfants attendent que leur père revienne des profondeurs du village. Une technique de narration implicite, qui permet au film de ne jamais sombrer dans un pathos simple, qui serait celui d’un parti pris mélodramatique.

C’est d’ailleurs ce que l’on pourrait, finalement, reprocher à ce sombre tableau. En évitant les extrêmes tout comme les interventions extérieures à ce triangle familial, de plus en plus dysfonctionnel, With a Girl of Black Soil est peut-être trop uniformément triste, écrasant. Comme lorsque le réalisateur cadre Young-lim au travers du carreau étroit d’une porte dans un des nombreux bâtiment abandonnés du village, la contraignant non pas dans un espace en trois dimensions, mais dans l’image. Comme si sa réalité n’était pas assez terne... Dépassée par l’attitude de son père, Young-lin cesse de rire et fait le choix de se séparer de son frère, avant que la chute de la famille augmente encore son handicap. Un sacrifice qui aura raison d’elle et, de fait, de Hyegon (dans une conclusion implicitement sévère), alors que, hors du temps, le village subit sa transformation impersonnelle.

Jeon Soo-il fait ici le constat d’une Corée oubliée, déshumanisée de force. Un constat d’autant plus douloureux qu’il est vécu au travers d’enfances détruites – l’une bloquée dans son évolution, l’autre avortée par un contexte qui a forcé sa transition à l’âge adulte. Yu Yun-mi et Jo Yun-jing, interprètes de ces enfants qui ne peuvent jouir de leur innocence ou y sont contraints, y sont tous les deux remarquables.

With a Girl of Black Soil a été diffusé au cours de la dixième édition du Festival du film asiatique de Deauville (2008), en compétition officielle, où il a remporté le Lotus du meilleur film, ainsi que le Lotus Air France (prix de la critique).

- Article paru le mardi 18 mars 2008

signé Akatomy

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