Womb Ghosts
Bad Baby Blood.
On ne peut aborder qu’avec suspicion un film qui s’ouvre sur un décès in utero ; relié, via quelques détectives perplexes, à la possibilité de viols commis dans un hôpital psychiatrique, sur une jeune femme qui a avorté, à une année lunaire d’écart, de deux fœtus à l’ADN identique, comme s’il s’agissait du même enfant... Sur cette base de mauvais goût, Dennis Law délaisse d’emblée la couche policière pour se pencher sur les trajectoires maternelles contrariées de deux jeunes femmes. Winnie vit sa grossesse sous la menace de ses deux dernières fausses couches, pendant que Zoe, infirmière, fricote avec le mari de l’infortunée, et déplore qu’il soit si enclin à interrompre sa paternité adultère accidentelle. Comme si le sujet n’était pas assez tangent, Zoe, victime d’hallucinations capillaires chères aux J-Horror, dérobe des placentas dans l’hôpital où elle travaille, pour que son père puisse nourrir l’esprit d’un enfant défunt. Celui ci, qu’il maltraite dans sa captivité éthérée, lui servant à parfaire l’illusion de ses dons de médium, envoyé en reconnaissance dans les domiciles de ses clients. Dois-je préciser que ce fantôme, vilement exploité, vient d’une grossesse elle aussi interrompue, à la main, le temps d’un rituel détestable de séquestration/scarification pré-terme, et que les délires de Zoe donnent à voir une omelette fœtale ? Dennis, quelque chose ne tourne pas tout à fait rond chez toi.
Écartons si vous le voulez bien, le commentaire qui vise à critiquer ma propre santé mentale, spectateur volontaire de Womb Ghosts, dernier méfait en date de l’auteur/réalisateur/auto-producteur de Bad Blood. Difficile de croire que ce businessman accompli dans le domaine de l’immobilier, collaborateur de Johnnie To, ait pu retenir si peu de choses à ses côtés, si ce n’est l’envie de tourner tout ce qui lui passe par la tête. A la tête de sa propre compagnie, Point of View Movie Production Co. Ltd., grâce à laquelle il distribue lui-même les films qu’il écrit, finance et met en boîte, Dennis Law ferait de plus en plus passer l’œuvre de Kenta Fukasaku pour un paradigme de cohérence cinématographique.
Womb Ghosts, bien loin d’échapper à la roue libre dans laquelle sévit sans relâche le bonhomme, la fait tourner encore un peu plus vite. Sa trame, sous couvert rétroactif de plusieurs présents de narration, est insaisissable, (dé)structurée par des images plus ou moins chocs qui sont autant de jalons discutables ; tandis que la substance potentielle du métrage, elle, est sans cesse esquissée avant d’être abandonnée. Les idées, de situation ou de personnages, dans le cinéma de Law ne sont jamais matière première, tout au plus moyen de porter telle ou telle image à l’écran. Ses films se construisent donc sans queue ni tête, 90% du métrage incarnant le prétexte des 10% restants, éparpillés de-ci de-là. Le plus étonnant, c’est qu’au passage Dennis Law accouche – piètre choix de mot dans ce contexte, j’en conviens - de concepts délétères intéressants. Ainsi ce personnage du père de Zoe, incarné par Lam Suet, dissident d’une version dégénérée des Frighteners de Peter Jackson, dont on aurait aimé qu’il soit mieux exploité, plutôt que servir de simple liant entre la maltraitance d’un spectre infantile (une première), le rituel sur fœtus frais et l’évisceration aux mains d’une jeune projection vengeresse.
La matière de Womb Ghosts, louable dans sa provocation gratuite et malsaine, propre à défier les autorités chinoises, échoue ainsi à s’inscrire dans une véritable démarche d’exploitation puisque, justement, Dennis Law n’exploite rien, montre mais ne traite jamais. Il préfère poêler un embryon, défenestrer sans raison un figurant, fouetter un enfant pâlot avec quelques végétaux, renfoncer un autre dans le ventre déchiré de la bombe Chrissie Chau, ou se servir du jus de placenta pressé comme d’un engrais surnaturel, plutôt que rythmer son intrigue, creuser la piste de l’affrontement entre fantômes enfantins, ou même donner corps au triangle amoureux à l’origine de ce sombre micmac. Qu’importe qu’on n’y comprenne rien, ou que tout ceci ne serve qu’à faire tourner en rond une Zoe hystérique, esclave de sa culpabilité et réduite, littéralement, à faire la chienne pour quelques spectres infantiles ; l’essentiel est que les fulgurances étalées ici, substrat vendable de cette aberration typiquement HK (qui est tout de même un signe, certes pervers, de sa vitalité latente), ont certainement mis l’eau à la bouche de mes pairs déviants. Elles sont tout ce que j’en retiens, et certainement tout ce que Womb Ghosts et son réalisateur souhaitent vendre ; cette concordance, plus ou moins opportune selon le point de vue adopté, expliquant certainement le succès financier des diverses entreprises de Mister Law.
Womb Ghosts est dispo en DVD, Blu-ray et VCD HK, sous-titré dans un anglais aussi discutable que son sujet.






