Wong Kar Wai, première partie
Après des années d’attente, la rencontre a enfin eu lieu. Jeans, chemise et veste noires, les yeux cachés derrière ses désormais légendaires lunettes de soleil, c’est un Wong Kar Wai décontracté qui nous a accordé une interview dans l’un des palaces de la rive droite de la Seine. Le réalisateur hongkongais nous parle de son dernier film, Blueberry Nights et de ses interprètes.
Que vouliez-vous montrer à travers ce film ?
Wong Kar Wai : Blueberry Nights est pour moi un film sur la distance. Elizabeth, le personnage joué par Norah Jones, rencontre des problèmes avec son ami, mais ne pense pas être prête à y faire face. Elle trouve une excuse pour ajourner sa décision et décide de prendre la route la plus longue pour traverser la rue. Lors de ce voyage, elle voit comment se comportent des gens qui sont obsédés par certaines idées ou choses. David par exemple est alcoolique et « accro » à sa femme. Au cours du film, Elizabeth va réaliser qu’il est temps pour elle de tourner une page et commencer une nouvelle vie.
Faire de votre film un road movie, était il une façon de montrer le parcours initiatique d’Elizabeth ?
C’est la différence entre l’anglais et le chinois. En anglais, on parle de développement, ce qui est rarement le cas en chinois. C’est quelque chose que l’on apprend. Fondamentalement, la notion de temps est plus importante. On n’évolue pas en quelque chose d’autre, mais on le possède sans le savoir. Se développer veut dire obtenir quelque chose de nouveau. Or Elizabeth possédait ces capacités, mais elle n’y croyait pas.
Qu’elle est la symbolique de la tarte à la myrtille (Blueberry) ?
Dans le film, cette tarte est la moins populaires auprès des clients. D’une certaine façon, elle est rejetée, de même qu’Elizabeth. Je ne crois pas qu’elle aime réellement cette tarte. C’est une manière de lui rappeler sa rupture.
A la différence de vos précédents films, Blueberry Nights se clôt sur une fin heureuse.
La plupart de mes films se terminent sur une note d’espoir. Je considère un film comme une histoire particulière. Ils doivent dire que, même si un personnage a des problèmes, il doit les résoudre. Il fait des efforts, même si on ne sait pas s’il y parvient. Mais c’est important de s’y intéresser et de pousser l’audience à le faire également.
Comment choisissez-vous vos interprètes ?
Vous devez d’abord trouver le premier rôle, ici Norah Jones. Ensuite, vous vous trouvez dans le rôle d’un chef d’orchestre et devez faire en sorte que les instruments jouent en harmonie. J’ai cherché le comédien pour le rôle du barman, qui devait être en alchimie avec Norah. J’ai fait appel à Jude Law car il se dégage une bonne vibration entre lui et Norah Jones. De la même manière, j’ai engagé Natalie Portman pour le rôle de la joueuse car je pense qu’elle forme une bonne combinaison avec Norah.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans la personnalité de Norah Jones et vous a conduit à lui donner le premier rôle ?
Je la trouve sûre d’elle-même et spontanée, ce qui est une qualité rare. Son visage recèle également de nombreuses possibilités. Selon les angles, elle a des traits espagnols d’un côté et asiatiques de l’autre. Elle rend également cette histoire crédible. Le spectateur peut s’imaginer que ce qui se déroule sur l’écran peut lui arriver.
Est-il plus facile de diriger Norah Jones qui n’avait jamais joué dans un film qu’un acteur professionnel ?
Je ne le pense pas. Norah Jones m’a impressionné par son courage à jouer dans un film sans script, après avoir rencontré beaucoup de succès dans la musique. Jouer dans un film est quelque chose de tout à fait différent.
Dans quelle mesure impliquez-vous les acteurs dans la construction de vos films ?
Dans la plupart des productions, vous partez d’un script et ensuite un casting est organisé pour déterminer qui jouera le rôle. Ma vision des choses est différente. J’ai l’idée d’un rôle et après je cherche l’interprète. Ensuite, c’est comme l’arrivée d’une nouvelle compagne de chambre. Vous passez du temps avec elle, vivez avec elle. Et quand le tournage commence, vous savez dans quelle direction aller. Ensuite, j’adapte ce rôle à la personne : je travaille comme un tailleur sur mesure. Même si nous avions un script, nous avons beaucoup improvisé. Je poussais les acteurs à le faire. Par exemple, la longue scène de Rachel Weisz au cours de laquelle elle revient sur sa relation avec son ancien mari, nous l’avons créée ensemble car nous n’aimions pas le dialogue original.
A propos du baiser final, même s’il apparaît très romantique à l’écran, Norah Jones a déclaré qu’il avait été difficile à tourner...
Ce baiser est leur seul contact physique. Comme je l’ai dit, My Blueberry Nights est un film sur la distance. Il y a toujours une distance entre ces deux personnages. Pendant une partie du film, ils sont séparés par le comptoir. La première fois, Jude essaye de franchir cette frontière. La seconde fois, Elizabeth fait un effort pour le rejoindre, là. C’est pourquoi nous avons filmé cette scène en plongée afin de montrer le comptoir. Les deux acteurs ont dû faire des « acrobaties » pour la réaliser, mais je pense que la scène fonctionne bien.
Qu’avez-vous retenu de votre expérience aux Etats-Unis ?
Je ne peux pas caractériser ce qui sépare en particulier ce film de mes précédents. Même si j’étais dans un autre pays, avec une langue et des règles différentes, pour moi c’est la même chose. L’idée du film vient d’un court métrage que j’ai réalisé il y a quelques années à Hong Kong. Il correspond à la première partie du film : l’histoire d’une jeune femme qui reste dans un diner ouvert toute la nuit. Lorsque j’ai décidé de l’adapter pour que l’histoire se déroule à New York, et donc en anglais, j’ai réalisé que le langage change la manière de se comporter. Dans l’histoire d’origine, beaucoup de choses ne sont pas exprimées par la parole. Mais, ce n’est pas la façon dont les gens se comportent aux Etats-Unis. Ils sont plus directs. J’ai également travaillé avec l’écrivain américain Lawrence Block. C’était un processus intéressant de travailler, enfin, avec un écrivain sur un film.
Voudriez-vous tourner d’autres films aux Etats-Unis ?
Je n’ai pas tourné Blueberry Nights parce que je me suis subitement enamouré des Etats-Unis. Ce qui m’intéresse, c’est filmer une histoire dans un pays ou un langage différent. Chaque langue, d’une certaine façon, a un sous-texte, une musique. Je voudrais faire un film en Russie ou au Japon.
A suivre...
Interview réalisée par Kizushii en compagnie de Delphine Drieu Larochelle (premiere.fr), d’Olivier Pelisson (mcinema.com) et d’une autre charmante journaliste inconnue.
Remerciements à Michel Burstein et à l’équipe de Bossa Nova.



