Yesterday Once More
Attrape quelque chose si tu peux...
Quelque part entre Throw Down et l’édifice Election, Johnnie To trouvait le moyen en 2004 de réunir l’un de ses duos fétiches pour une escapade romantico-cérébrale : trois ans après le succès public de Love on a Diet, Andy Lau et Sammi Cheng se retrouvent donc pour la troisième fois de leur carrière devant la caméra de l’autre stakhanoviste asiatique, à l’occasion de Yesterday Once More. Ils y incarnent avec plaisir et un talent certain Monsieur et Madame Do, kleptomanes de luxe qui, lorsque le film s’ouvre sur une nonchalance consciente qui n’est pas sans rappeler un certain Soderbergh, viennent de réussir un vol de diamants particulièrement lucratif. Plutôt que de célébrer pourtant, le couple se dispute, Madame étant gourmande et ne se satisfaisant pas d’un simple moitié-moitié. Lui s’en amuse en apparence, mais au terme de plusieurs tentatives de partage avortées, pose une question simple à sa femme : le choisit-elle lui, ou préfère-t-elle les diamants ? Puisque son dévolu se jette sans hésitation sur les pierres, Andy Lau se retire et déclare qu’il va demander à leur avocat de faire le nécessaire pour le divorce. End of story - ou pas.
Deux ans plus tard... L’ex-Madame Do est sur le point de se remarier avec Steve (Carl Ng), riche avorton d’une Jenny Hu toute proche de ses bijoux de famille (sans mauvais jeux de mots), ceux là-même que Sammi convoite sans feindre la moindre affection. Devant la résistance de la maman, qui lui refuse la propriété d’un collier inestimable, Sammi décide d’en organiser le vol. Sans se douter que son ex-Hubby prépare le même coup, au même moment. Commence alors un jeu de miroirs et de motifs, circonvolutions amoureuses teintées d’appât du gain et d’abnégation sentimentale...
Difficile de succéder au merveilleux hommage à Kurosawa qu’est Throw Down avec une comédie romantique ; pourtant lorsque Yesterday Once More nous présente son couple protagoniste, il semblerait que Johnnie To ait une fois de plus trouvé cet équilibre si particulier de cinéma, entre l’incongru et le merveilleux, le simpliste et le complexe, qui fait ses plus étonnantes réussites. Très libre d’apparence, Yesterday Once More s’apparente très rapidement à sa bande son jazzy : derrière l’improvisation se cache une rigueur d’une densité impénétrable. Cette rigueur, ce sera celle mise en œuvre par Andy Lau pour expliquer à sa compagne de coeur - à défaut de l’être aux yeux de cette loi qu’ils préfèrent éviter de regarder en face - combien il l’aime, sans artifices, sans les valeurs ajoutées de leurs ca(m)brioles. Exprimant d’abord implicitement la connaissance parfaite des affections et travers de son ex-femme, il l’entraîne dans une course-poursuite qui n’est physique que très peu de temps, puisque le couple se reforme autour de la quête de Sammi pour le collier, que son homme se plaît à maintenir hors de portée, juste pour l’avoir, elle, à proximité. Une démarche relativement romantique, qui ne dépareille pas avec la classe de l’acteur mais à laquelle le choix de Sammi Cheng - tour à tour superbe et un peu grossière - ne fait pas toujours honneur, creusant la dualité de ce film qui se veut à la fois léger, dans la forme qu’il emprunte à la chanson nostalgique et éponyme des Carpenters, et profondément cérébral.
Le fait est que, dans ces circonvolutions, Johnnie To nous endort quelque peu. L’incompréhension de Madame, incapable de saisir que c’est d’amour qu’il est ici question, finit par avoir raison de notre patience et de notre affection pour les parallèles mis en place par le réalisateur et ses acteurs. On sent bien que Yesterday Once More est un film intelligent, presque trop malin pour son bien comme on dit, seulement l’humanité du personnage d’Andy Lau est trop effacée par la froideur de son équivalent féminin, et le face à face, têtu, lasse. Et que dire de ce dénouement mélodramatique, si ce n’est qu’il offre à Andy Lau l’opportunité de prouver une fois de plus l’étendue de son talent dans un simple mouvement de tête, confirmation d’une condition qui justifie (un peu) l’énergie déployée pour faire passer son message désespéré... Un geste qui laisse entrevoir ce qu’aurait pu être le film s’il avait été plus chaleureux, du niveau des autres possibles esquissés par To au fil du film. Ainsi la merveilleuse scène de recrutement de braqueurs, forcément nocturne, et ses cadrages à tomber par terre. Ou encore le duo oublié de détectives inséparables, dont la dispute silencieuse, moment insolite d’une beauté remarquable, rappelle à elle seule la capacité improbable de Johnnie To à construire un chef-d’œuvre autour de peu de choses. But not this time...
Yesterday Once More est disponible en DVD et VCD HK dans toutes les bonnes boucheries, avec sous-titres anglais optionnels, mais aussi chez nous grâce à Asian Star, par conséquent avec sous-titres français.



