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Taiwan

Yi Yi

aka Yī yī | Taïwan | 2000 | Un film d’Edward Yang | Avec​ Wu Nien-jen, Elaine Jin, Issei Ogata, Kelly Lee, Jonathan Chang, Su-Yun Ko, Hsi-Sheng Chen, Pang Chang Yu, hu-shen Hsiao, Adriene Lin, Ru-Yun Tang

Les choses de la vie.

Âgé d’une quarantaine d’années, marié, père d’une fille et d’un garçon, et propriétaire d’un grand appartement, NJ semble être à la tête d’une famille modèle. Tout bascule lors du mariage de son beau-frère à la fin duquel il rencontre par hasard son amour de jeunesse. Au même moment, sa belle-mère tombe dans le coma et la famille se lézarde. Son fils de 8 ans, Yang-Yang et sa fille adolescente Ting-Ting, se trouvent à des périodes charnières de leur existence et font également face à d’importants questionnements. La société d’informatique, dans laquelle NJ est ingénieur, connait par ailleurs des difficultés. NJ se remet en question : est-il possible de tout quitter et de repartir à zéro ?

Yi Yi s’ouvre sur un mariage, avec une mariée à la grossesse bien avancée, et se clôt sur des funérailles, encadrant une narration qui, conçue comme un cycle, interroge la vie dans ce qu’elle a de plus banal et de plus universel. L’ultime œuvre d’Edward Yang fait écho à Voyage à Tokyo de Yasujirō Ozu.

Le réalisateur taïwanais s’inscrit dans la filiation de son grand aîné japonais, dont l’un des thèmes principaux est celui des familles soumises à des forces centrifuges dans un contexte de transformations sociales. Comme Ozu, Edward Yang privilégie les plans fixes et brille par son art de sublimer l’ordinaire. Le cinéaste taïwanais prend son temps : il étire les scènes, juste le temps pour le spectateur de communier avec ses personnages, sans toutefois le lasser.

Toutefois, Edward Yang se distingue en l’adaptant à une société taïwanaise en mutation. La crise existentielle de NJ n’est pas seulement familiale, elle est aussi professionnelle. Le manque de moralité du monde des affaires, fut-il celui de ses camarades d’université avec qui il a fondé une société, l’écœure. Edward Yang aurait pu se trouver dans la situation de son personnage s’il n’avait pas bifurqué dans le cinéma après avoir travaillé dans l’informatique aux États-Unis.

Son épouse Min-Min s’éloigne de sa famille pour une retraite spirituelle dans un temple, désespérée par le vide ressenti à la suite de la chute dans le coma de sa mère. Lors des scènes émotionnellement les plus fortes, le metteur en scène taïwanais garde le spectateur à une certaine distance. Dans un film interrogeant les grandes questions de l’existence (le sens de la vie, l’amour, la mort...), il se dégage de celui-ci une pudeur, une sincérité, qui rend le film d’autant plus touchant.

Edward Yang passe par le petit ami éphémère de Ting-Ting pour faire passer certains messages. "La vie est un ensemble de choses tristes et gaies. Et plus les films sont vrais, mieux c’est", lui explique-t-il après un rencard, forcément au cinéma.

Électron libre du film, Yang-Yang mène sa petite vie et fait ses propres expériences. Il est à l’âge où l’on se pose des questions et, parfois, elles prennent des tournures philosophiques, dont les réponses ne sont pas évidentes, même pour son père. Il se prend d’intérêt pour la photographie et prend des photos de dos des gens pour leur "révéler ce qu’ils ne peuvent pas voir". Ne serait-ce pas là la définition même d’un artiste ?

Chaque membre de la famille traverse sa propre crise. Sa sœur, Ting-Ting découvre les affres de la culpabilité et de l’amour. Au moment où elle fait l’expérience de son premier rendez-vous galant, son père et son ancienne amoureuse se remémorent leurs premiers émois. Cette résonance entre deux temporalités montre que la vie est un éternel recommencement et que les générations partagent les mêmes émotions universelles.

Yi Yi nous offre d’autres magnifiques séquences de cinéma, sans jamais faire preuve d’ostentation. Fasciné par la silhouette d’une fillette sur fond d’images de la foudre lors d’une séance audiovisuelle, Yang-Yang a un coup de foudre. Magie du cinéma. Concomitamment, la voix off du documentaire explique au même moment que la foudre est à l’origine de la vie sur Terre...

L’une des signatures les plus personnelles de sa mise en scène réside dans son usage des reflets et des transparences. Ces procédés visuels ne se contentent pas d’embellir l’image : ils montrent le lien organique entre la ville et les personnages et tissent un réseau de sens. La mère, Min-Min, en pleine tourmente intérieure, est filmée en ombre chinoise à travers une vitre où se superpose le paysage nocturne de Taipei. Sa fille Ting-Ting, en sortant de son immeuble, croise sans la remarquer sa voisine — dont la silhouette n’apparaît que furtivement, captée en reflet sur une porte vitrée. La ville devient alors le miroir des troubles des âmes de ses habitants.

Yi Yi est disponible chez Carlotta Films en Blu-ray, 4K-UHD et dans une Édition Prestige Limitée UHD + Blu-ray + Memorabilia.

- Article paru le lundi 24 novembre 2025

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