Thriller - a cruel picture
Madeleine est muette depuis un traumatisme d’enfance, violée par un vieillard lors d’une promenade champêtre. Alors qu’elle souhaite se rendre en ville un jour, elle rate le bus et accepte l’invitation d’un homme, Tony, au volant d’une voiture de luxe. Celui-ci l’amène au restaurant puis chez lui, où il force la jeune femme à boire, la drogue à son insu. Madeleine s’endort et, pendant plusieurs jours, Tony lui injecte de l’héroïne pour développer une accoutumance. Lorsqu’elle se réveille, le vil businessman l’introduit à sa « nouvelle vie » : si elle veut obtenir les deux doses quotidiennes de drogue désormais nécessaires à sa survie, Madeleine devra se plier aux exigences sexuelles des clients de Tony. Il parvient même à lui faire signer une série de lettres dactylographiées à destination de ses parents, particulièrement insultantes, qui pousseront ces derniers au suicide. Lorsque Madeleine reçoit son premier client, elle lui griffe violemment le visage ; ce qui lui vaut d’avoir un œil percé par la lame de Tony. Désormais affublée du sobriquet de « pirate », la jeune femme se soumet à son destin forcé de prostituée. Mais, dès qu’elle a du temps libre, elle se perfectionne dans des disciplines aussi variées que la conduite automobile, le tir et les arts martiaux, dans le but de se venger de l’homme qui a détruit son visage, sa vie, et celle de ses parents...
« The movie that has no limits of evil ! »
Interdit en Suède lors de sa sortie en 1974, Thriller est une oeuvre emblématique du cinema d’exploitation, et plus particulièrement de ce sous-genre prolifique qu’est le “rape revenge”. A l’image de certains de ses successeurs comme Last House on the Left, le film de Bo Arne Vibenius se distingue par son intelligence, sa poésie obscène, et ses véléités de cinéma adulte.
Car oui, n’en déplaise aux détracteurs du cinéma de genre « extrème », Thriller est un film intelligent. Son utilisation du personnage de Madeleine et de son mutisme, en fait d’emblée une œuvre à part, perverse et magnifique, propre à satisfaire les fantasmes de ses spectateurs autant qu’à bousculer leur confort voyeuriste. Puisque Madeleine n’émet aucun son, il convient de reporter son attention sur son expression corporelle. Vibenius force ainsi l’intimité avec la magnifique Christina Lindberg, femme-enfant plus offerte encore que pouvait l’être mon égérie bis, la sublime Soledad Miranda. Cette intimité forcée fait naître un premier malaise chez le spectateur : d’un plan à l’autre, l’actrice change, à la force de son inteprétation pourtant rigide, l’appréhension que l’on a de son âge, de sa maturité, de sa vulnérabilité. Tour à tour enfant blessée, adolescente paumée et femme abusée autant que désirée, Christina Lindberg est l’essence même de la dualité, ô combien pernicieuse, du véritable cinéma d’exploitation.
La lecture obligée de l’expression corporelle, donne un sens à l’utilisation maintes fois décriée de séquences pornographiques. Construisant un motif entêtant d’action/réaction au centre de son film, avec une gradation d’un acte sexuel toujours plus insidieux, de l’attouchement à la sodomie, Vibenius pousse ce rapport d’attention au corps à l’extrême : le spectateur ne se concentre alors plus uniquement sur le visage si gracieux de l’actrice, mais guette aussi les réactions de sa chair, guette ses tressaillements et ses soubresauts pour tenter de mettre à nu l’état d’esprit de la captive. Le viol est ainsi double : fictif par le biais des clients de Tony, réel par celui de l’intrusion du spectateur au plus profond de l’intimité du personnage et de son interprète. Ces instants, qu’ils résultent d’un choix « commercial » ou artistique, construisent donc la plus explicite définition qui soit du cinéma d’exploitation.
C’est dans son illustration de la violence, que Thriller manifeste à nouveau son intelligence cinématographique. Jusqu’alors voué à la contemplation malsaine de l’exploitation de Madeleine, le spectateur en éprouverait presque une difficulté à s’écarter de son idolatrie perverse. Certainement conscient de la fascination exercée par Christina Lindberg, Vibenius ne pouvait mettre en scène sa vengeance autrement qu’en « slow-mo » extrème. Au cours de ces scènes, l’actrice apparaît plus vétue que jamais, et ouvre la porte sur une pornographie qui est celle des corps outragés et des fluides exposés. Les filets de sang qui s’échappent des plaies ouvertes sur les victimes du fusil de Madeleine, possèdent ainsi un caractère filandreux particulièrement obscène, qui renforce la pornographie de scènes qui, si elles sont datées, n’en restent pas moins parfaitement pertinentes dans leur approche de l’imagerie gore. Il en va de même pour la "pénétration" symbolique du globe occulaire de Madeleine par la lame de Tony au début du film ; scène choc qui, si l’on en croit la légende - tout film interdit se devant d’en faire naître une - aurait été tournée sur un véritable cadavre.
Thriller se conclut sur une exécution dont l’imagerie est celle du western désabusé, complaisant et contemplatif. Le visage de Christina Lindberg nous y apparaît dans toute sa beauté, et conclut ce film qui n’est rien de moins qu’un chef-d’œuvre du cinéma, adulte et pour adultes. Il me tarde désormais de fouiller un peu plus la filmographie oubliée de ce tandem incroyable, et plus particulièrement celle de cette actrice sublime qui est même allée au Japon s’exposer devant les caméras de Norifumi Suzuki (Sex and Fury /1973) et Sadao Nakajima (Journey to Japan /1973), autres maîtres du cinéma d’exploitation avec un C et un E majuscules.
Thriller est disponible en DVD NTSC zone all aux USA chez Synapse films. La copie n’est pas restaurée mais possède le grain indispensable à l’identité de tout film d’exploitation de l’époque. Les suppléments sont peu nombreux mais intéressants, s’articulant principalement autour de galeries de photos et d’une scène massacrée par un laboratoire peu familier du développement d’images tournées au ralenti.





