Black Mask 2 : City of Masks
Dire que j’attendais avec impatience de mettre mes mains sur la dernière réalisation en date de Tsui Hark est un doux euphémisme ; pourtant je me doutais un peu que ce Black Mask, deuxième du nom, ne serait pas un grand film au sens traditionnel du terme. Peut-être un grand film dans l’esprit de Sancho, alors ? Pas sûr non plus... Pas que je ne fasse pas confiance à Julien Carbon et Laurent Courtiaud, français exilés à Hong Kong (où ils ont déjà accouché du scénario de Running Out of Time), non... Mais que peut-il ressortir d’un film de Tsui dans lequel le plus illustre invité HK est Terence Yin, cottoyé quasi-exclusivement par des catcheurs et une ancienne hardeuse ? En plus, on ne peut pas dire que les éloges aient fusé depuis que le film est visible ; il avait déjà commencé à pleuvoir des insultes avant qu’il ne soit terminé, alors vous vous doutez bien que depuis la sortie du DVD, c’est carrément le déluge... Peut-être que, quelque part, j’espérais tout de même que City of Masks soit un chef-d’oeuvre incompris. Rassurez-vous tout de suite : il n’en est rien. Mais je n’ai pas dit non plus que Black Mask 2 était mauvais, on est d’accord...
Vous voyez, depuis Time & Tide, mon regard sur Tsui Hark a encore beaucoup évolué, étant donné que cet immense chef-d’oeuvre parvient même à donner un sens aux éxpérimentations à première vue incompréhensibles de Double Team et Knock Off (Piège à Hong Kong). Aussi, quoiqu’il arrive, faut-il sans doute aborder Black Mask 2 comme le début d’une nouvelle série de brouillons aussi excentriques que déconcertants, visant à ajouter un monument supplémentaire au palmarès du Monsieur Plus hongkongais, d’ici un film ou deux...
On oublie le Black Mask de Daniel Lee (Hak Hap /1996) - par ailleurs hautement sous-estimé - et on reprend la mythologie à zéro. Ca tombe bien, le prégénérique de City of Masks est là pour nous mettre dans le bain : une entité indéfinissable, espèce de machine-cerveau gigantesque du nom de Zeus, explique la situation à Moloch (Scott Atkins) en même temps qu’au spectateur...
Au sein d’une armée d’êtres génétiquement modifiés, Moloch et Black Mask (Andy On) sont les plus puissants - Zeus se réfère d’ailleurs à ce dernier comme étant le fils prodige. A ce stade de la narration, les dites modifications sont inexpliquées - d’ailleurs elles le resteront, aussi peut-on supposer qu’elles incluent, comme dans le premier "épisode", la suppression de terminaisons nerveuses. Mais peu importe ; l’essentiel, c’est que Moloch doit retrouver Black Mask, qui utilise - horreur ! - sa force dantesque au pouvoir du bien. Zeus localise le super-héros en devenir au sein de B-City...
B-City, qui n’est ni plus ni moins que la capitale du catch. D’ailleurs, un match a lieu ce soir, qui doit opposer Hellraiser à une horde de catcheurs aux sobriquets animaux : Iguana (Andrew Bryniarski), Claw (Rob Van Dam - à défaut de Jean-Claude...), Snake (Robert Allen Mukes), Chameleon (Traci Elizabeth Lords qui retrouve son nom complet)... Sauf que Iguana ne contrôle plus son métabolisme enrichi en graisses animales, et qu’il se transforme pour de bon en iguane, Mutronics-style ! Black Mask ne parvient pas à empêcher l’animal de blesser Hellraiser, mais sauve tout de même son fils...
L’histoire avance à toute vitesse à partir de là, et Black Mask se retrouve confronté non seulement à Moloch mais à ces catcheurs capables de se transformer en mutants animaux, mais qui ne parviennent plus à redevenir humains. Chameleon ne le tolère pas, et quitte le groupe. A un moment donné, Black Mask se retrouve lui aussi contaminé, se transformant peu à peu en tigre et combattant sur le dos d’éléphants en liberté ; et il semble que Thorn possède le secret de la métamorphose contrôlée. Thorn, j’oubliais, est un mutant au service du Général Troy (l’homme derrière l’expérience infligée aux catcheurs), qui présente la particularité d’être un hybride d’homme et de plante. En plus de tout ça, les catcheurs convoitent de l’iridium pour fabriquer une bombe d’ADN capable de transformer tous les habitants de B-City en bêtes sauvages...
Je sais, ça calme : le scénario de Black Mask 2 est absolument délirant, ça sent le Guyver à qui mieux-mieux, le catch est partout (saurait-on s’en plaindre a priori après son utilisation phénoménale dans Blade 2 ?), et le tout est orchestré à une vitesse hallucinante, capable de faire passer Tsukamoto pour un gentil léthargique mou du bulbe. Jusqu’ici donc, tout va bien : ce n’est pas la première fois que Tsui tape dans le n’importe quoi, et je n’ai jamais trouvé de raisons de m’en plaindre. En fait, je dois même avouer que j’ai pris plus de plaisir à suivre cette aberration qu’à regarder Spiderman (je sais que ça va me valoir des insultes, mais c’est la vraie vérité vraie !). Vous êtes bien obligés d’avouer que Black Mask 2 est sans doute l’un des films les plus imprévisibles de la Terre ! Certains diront qu’il y a de bonnes raisons à cela ; tant pis pour eux...
Le délire, donc, je respecte - parce que fournir un tel travail pour produire un film aussi déjanté, ça force le respect, tout simplement. Les combats sont bien chorégraphiés, assez originaux sans être grandioses - Yuen Woo-Ping parvient tout de même à diriger un combat entre Black Mask et un homme-serpent, non mais ! En plus la réalisation est à mes yeux irréprochable : chaque mouvement de caméra est superbe, magnifiquement programmé, et - pour couronner le tout - Tsui Hark abuse du split-screen. Où est-ce que le bât blesse alors ?
Et bien je vous le donne dans le mille : les dialogues, et surtout les acteurs qui nous les infligent. Enfin je dis acteurs... les catcheurs à la limite on ne leur en veut pas, tout le monde n’est pas The Rock (je rigole, hein...) ; mais pour les autres je suis bien obligé de rejoindre l’avis de tout le monde : ça joue très, très, très mal. En fait, non, ce n’est pas ça : CA NE JOUE PAS, tout simplement ! Andy On est le nouvel Empereur des Endives, et passe son temps à faire des cabrioles pour se déplacer (peu importe qu’elles soient utiles ou pas), Teresa Herrera est mignonne mais ridicule. Petite parenthèse : son personnage, le gentil Dr. Lang, souffre d’une maladie chef-d’oeuvre - dès qu’un homme la touche, elle est paralysée, devenant aussi raide qu’un morceau de bois. Ca ne sert à rien, mais c’est mortel ! Fin de la parenthèse... Retour au casting : Scott Adkins est pathétique, Jon Polito inégal à lui-même, et même "Blacky" Ko (Crime Story, Full Alert) est pathétique ("Okay it’s okay okay"). Profitons-en donc pour saluer la seule prestation digne de ce nom mais forcément trop courte : celle de Traci Lords, toujours aussi agréable à l’écran, même avec ses vêtements et autorisée aux moins de 18 ans...
Et oui, je pense que c’est cela qui tue Black Mask 2 : à force de s’attacher à livrer un délire démesurément assumé, Tsui a oublié de diriger ses acteurs, et prive son film d’un statut de chef-d’oeuvre barré potentiel. Pour le reste, il faut aimer les hommes en costumes d’animaux, bien sûr. Mais moi j’ai toujours été un fan de Screaming Mad George, alors vous comprenez...
Au final, en rédigeant cet article, je me rends tout de même compte que j’ai apprécié Black Mask 2 : City of Masks encore plus que je le pensais. J’oserais même dire que c’est un excellent délire par bien des aspects, et que j’ai passé un excellent moment à le regarder, vu que chaque instant me revient en mémoire en s’accompagnant d’un sourire !
Une dernière chose enfin : je suis persuadé que ce film fera le bonheur des cinémathèques et des festivals bis d’ici une dizaine d’années. D’ici là de toute façon, notre vision de ce semi-échec aura certainement été transformée rétroactivement par un nouveau geste sous acide de l’homme le plus fou de la Terre, Tsui Hark. Quelle chance, que cet homme ne fasse pas que des chefs-d’oeuvre !
Black Mask 2 : City of Masks est pour l’instant uniquement disponible en DVD zone 1 US, mais il ne devrait certainement pas tarder à sortir en VCD et DVD HK - toutefois redoublé en cantonais.





