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Japon | Festival des 3 Continents 2006

Criquets

aka Koorogi - Crickets | Japon | 2006 | Un film de Shinji Aoyama | Avec Kyoka Suzuki, Tsutomu Yamazaki, Masanobu Ando

Kaoru emménage avec un vieil homme, aveugle et muet, dans une maison de vacances située dans une petite ville portuaire du Japon. Difficile de déterminer si le vieil homme et la femme sont amants, ou si Kaoru s’occupe simplement de lui lorsque Criquets démarre ; toujours est-il que, pour Kaoru, cette relation est un accomplissement, puisqu’elle a trouvé en son compagnon, quelqu’un qui a besoin d’elle pour vivre. Est-ce pour mettre cette certitude à l’épreuve qu’elle s’éloigne chaque jour un peu plus de l’aveugle, se rendant dans un bar mutualiste de pêcheurs, attirée par un couple de jeunes gens ? En créant le besoin chez le vieil homme, n’est-elle pas en train de ressentir ce même besoin vis à vis des autres, se développer en elle ?

On ne peut pas dire que je sois particulièrement familier de l’univers du réalisateur Shinji Aoyama ; peut-être est-ce pour cette raison que la vision de Criquets, son dernier film en date, m’a été quelque peu compliquée. Compliquée oui, car si Criquets semble beau, il semble froid, distant, insaisissable. Tout à l’image de son héroïne, incarnée par la magnifique Kyoka Suzuki. Car Kaoru, dans sa supériorité sinon réelle, du moins affirmée, est une femme d’une beauté saisissante, froide au point d’en paraître frigide. Quelque chose en elle attire l’attention en même temps qu’elle la repousse ; cette frigidité se retrouve de plus dans les relations « sexuelles » qu’elle entretient avec son compagnon vieillissant, qui interviennent sous couvert de repas filmés en gros plan - la forme la plus « grand public » de la pornographie au cinéma. Kaoru maintient une distance, se conforte dans un certain dégoût, semble s’interdire le plaisir partagé. La seule véritable affirmation de plaisir sexuel, elle la vivra d’ailleurs seule dans son lit, autosuffisante.

Criquets donc, est à l’image de cette femme, persuadée de n’avoir besoin de rien ni personne mais désireuse d’être indispensable, ne serait-ce que pour un homme. N’est-il pas ironique toutefois, que l’heureux élu soit privé de la moitié de ses sens ? Car ceux qui, dans Criquets, ne le sont pas - Masanobu Ando et son amie, charmants catalyseurs de liberté - voient clair dans le jeu prétentieux de Kaoru. Dotés en tant que spectateurs, de deux sens sur cinq, Kaoru demeure pour nous, pendant longtemps, un mystère. Un mystère qui trouve écho dans l’autre dimension du film d’Aoyama, le travail quasi-mystique qui entoure la découverte du passé des lieux, de la relation des habitants de la région avec la fin du crypto-christianisme amené par les Portugais au Japon, telle qu’explicitée dans les premières images du film. Dans sa façon de mettre en scène cette sous-couche de Criquets, superbement cadré dans un format 1 :33 de plus en plus rare en salles, Shinji Aoyama se rapproche presque du film d’horreur. Tout est ambiance, doute, appréhension. Une crainte qui fait écho à celle de Kaoru de se découvrir, autre que celle qu’elle souhaiterait être, plus faible, nécessiteuse et non indispensable.

Rien de surprenant à ce que les plus belles images de Criquets naissent de la rencontre des deux couches du film, de celle de Kaoru et des vestiges d’une religion, autrefois dénigrée, aujourd’hui partie intégrante de l’identité de la région au point que les autorités en recherchent encore les vestiges essentiels. Dans ces instants de confrontation, mystérieux et indéfinis à l’écran - Kaoru faisant en réalité face à sa véritable nature dans l’obscurité -, Aoyama parvient à s’affranchir du temps et de l’espace : Kaoru, entrant dans le tunnel, semble marcher au ralenti, d’un pas félin et craintif, faite Femme, belle et fragile, par les plissements de la jupe qui dessinent ses contours.

Criquets est l’histoire d’un glissement, d’une volonté vers le réalité, serait-ce par le biais d’un fantastique light. Ce glissement finalement, apparaît de façon explicite dans le film, lorsque Kaoru entend la musique du bar de pêcheurs pour la première fois et que la caméra s’éloigne d’elle, comme libérée, en translation vers le port. Criquets est un film déroutant, et il a fallu moi-même que je m’en éloigne pour mieux y pénétrer, a posteriori. Mais je crois que, en réalité, comme Kaoru une fois de plus, cette oeuvre signée Shinji Aoyala est d’une beauté bien plus simple et accessible qu’il y paraît.

Criquets faisait partie de la sélection officielle en compétition de la 28ème édition du Festival des 3 Continents (Nantes).

- Article paru le lundi 4 décembre 2006

signé Akatomy

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