Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Japon | Nippon Connection 2010

Island of Dreams

aka Dream Island, Yume no Shima, 夢の島 | Japon | 2008 | Un film de Tetsuichirô Tsuta | Avec Ren Kido, Ikurô Kuraoka, Tatsurô Nakamura, Makoto Adachi, Toshio Andô, Kakeru Hirasawa, Shigetaki Katayama, Shigeru Morita, Atsushi Okuda, Hisae Tanakadate, Hiroko Uchida, Ako Wakamatsu

Exercice de style.

L’une des raisons qui font du festival Francfortois Nippon Connection le vecteur de diffusion le plus en pointe du cinéma contemporain de l’archipel est indubitablement sa section Nippon Digital. Inaugurée en 2002, elle est un espace de liberté salutaire pour celui qui ne perçoit que la face immergée d’un iceberg constitué des films regroupés habituellement sous la bannière Unijapan [1]. On y trouve ainsi pêle-mêle, une sélection des dernières productions issues du jishu eiga, des documentaires, des œuvres expérimentales, sans oublier des films de genre fauchés mais non moins créatifs, émanant principalement de l’entité prolifique du festival international du film fantastique de Yubari.

C’est donc vierge de tout préjugé et informations que je me suis rendu à la projection d’Island of Dreams, long-métrage de fin d’études auréolé du prix du public au 31ème PIA Film Festival, réalisé pour le club de cinéma Niko Niko Film de l’Université Polytechnique de Tokyo par un jeune cinéaste alors âgé d’à peine vingt-quatre ans. L’étonnement survient alors, lorsqu’apparaît au cours du prologue, l’image granuleuse, tantôt entachée d’aspérités et de striures, affectant habituellement une bobine mal conservée datant au mieux des années 60. La photographie en noir et blanc au format cinémascope, et son lettrage typique au générique, ajoutent à notre perplexité. Mais non, il s’agit bien d’un film tourné en 2008 et en 16 mm, développé par l’équipe du film, principalement constituée d’étudiants. Au delà de l’aspect authentiquement rétro du métrage, geste consciemment assumé par son réalisateur Tetsuichirô Tsuta, ce thriller dans la veine Nikkatsu noir, aux préoccupations écolo environnementalistes, décrit le parcours tragique d’Alan (Ren Kido), un jeune étranger employé d’une décharge à ciel ouvert, qui se met à commettre des attentats à la bombe sur d’anciennes usines désaffectées de la capitale. L’inspecteur Terayama (Ikurô Kuraoka), assisté de Nomura (Tatsurô Nakamura), jeune lieutenant dévoué, se met alors à enquêter sur l’affaire. Les soupçons se concentrent peu à peu sur le jeune homme, mais le mobile demeure flou.

De toute évidence le geste cinématographique entrepris par le cinéaste vise un pari audacieux ; celui de concilier deux éléments, volontairement conçus de manière antinomiques : la forme et son contenu. La première appartient de toute évidence au cinéma des années 50/60, traduisant un hommage conscient, dont l’esthétique aux ombres prononcées évoque aussi bien les policiers de Seijun Suzuki période pré expérimentation chromatique, que les films noirs sur fond de critique sociale d’Akira Kurosawa, dont Chien enragé (1949) et Entre le ciel et l’enfer (1963) rappellent chacun à leur façon, par leur usage de la figure du criminel miséreux vivotant à la marge, les laissés pour compte de la société, dont le personnage d’Alan sert de porte voix. À moins que celui-ci, maniant les explosifs avec une conviction jusqu’au-boutiste, ne sorte tout droit d’un brûlot terroriste des années rouges signé Kôji Wakamatsu, qui serait passé chez les verts par opportunisme. Alors que de l’autre, le sujet qui sous-tend l’intrigue, s’ancre délibérément dans les préoccupations écologistes contemporaines. C’est donc ce grand écart, entre ancien et moderne, que tente de résoudre de façon inédite Tetsuichirô Tsuta.

Du côté formel, l’œuvre impressionne par sa maîtrise, au regard de son budget dérisoire et de la brièveté de son temps de tournage. La course poursuite le long de la rivière entre Alan et Terayama est parfaitement mise en scène, grâce à un montage efficace et un usage classique du suspense musical, sans oublier le sens du mouvement insufflé à sa caméra par Yutaka Aoki, chef opérateur du brillant Yellow Kid (2009). On a de même rarement la sensation de l’anachronisme, comme c’est parfois le cas d’œuvres se risquant à la reconstitution ; tout juste l’écran d’un ordinateur affichant une fenêtre Google transparaît à l’écran dans le bureau de l’inspecteur. Ainsi l’illusion fonctionne grâce à un travail sur la matière même du film, à laquelle s’ajoutent des choix formels, plutôt que sur ses décors, et l’on oublie vite, grâce à la magie du cinéma, que toutes les séquences sont filmées en décors naturels à notre époque. L’objet filmique devient alors un terrain d’expérimentation pour tenter de restituer le charme oublié d’un fragment de mémoire cinématographique collective.

Quant à son arrière plan social, là encore le film regorge d’idées intelligemment exploitées. L’auteur se concentre avant tout sur la narration, dont le rythme contracté tient parfaitement la distance. Privilégiant l’exercice, les motifs ultimes de l’écolo criminel ne sont jamais approfondis, même si l’on perçoit les blessures d’une enfance ayant vécu la transformation et la destruction d’un milieu naturel au profit du progrès industriel. Le cinéaste se sert en outre de la figure de l’étranger, pour attirer l’attention de ses compatriotes sur des préoccupations vitales de nos sociétés post-modernes ; comme si les Japonais eux-mêmes demeuraient désespérément aveugles aux transformations écologiques dont ils sont responsables, tant qu’une source extérieure ne les pointe du doigt. De même, il use avec talent de la topographie des lieux dans lesquels travaille le jeune héros, contextualisant encore davantage le propos et l’impact du film. Et fait le choix de filmer sur “L’Ile de Rêve” appelée “Yume no shima”, offrant son titre à la symbolique évidente à l’œuvre. Majestueuse étendue emplie de détritus, il s’agit d’une véritable île artificielle de la baie de Tokyo entièrement constituée de déchets ménagers, créée dans les années 70. Ce symbole de la surconsommation érigée en modèle, dont les réalisateurs de We Don’t Care About Music Anyway... (2009) avaient fait le symbole d’une critique du surdéveloppement en y organisant une performance musicale décalée par le concept band Umi no yeah !!, concentre ainsi les frustrations du jeune terroriste, désireux de sensibiliser ses compatriotes aux problématiques environnementales de l’archipel au péril de sa vie.

Si au final Island of Dreams relève davantage de l’exercice de style que d’une œuvre forte et aboutie, c’est en partie par l’application parfois trop consciente de son processus d’hommage avoué envers l’esprit nostalgique d’un cinéma aujourd’hui disparu. Mais en conjoignant préoccupations sociales et écologiques contemporaines, divertissement haletant et formalisme mimétique, Tetsuichirô Tsuta parvient néanmoins à accoucher d’un essai original se démarquant des productions de ses contemporains, augurant d’un talent à suivre.

Site officiel du film (en Japonais) http://2525film.web.fc2.com

Island of Dreams a été présenté dans la section Nippon Digital au cours de la 10ème édition du Festival du film Japonais de Francfort Nippon Connection (2010).

[1Organisme de promotion du cinéma Japonais à l’étranger.

- Article paru le jeudi 22 avril 2010

signé Dimitri Ianni

Japon

Kyôfu joshikôkô : bôkô rinchi kyôshitsu

Thaïlande

Saving Private Tootsie

Japon

All to the Sea

Hong Kong

All About Women

Japon

Naoto Takenaka | Masatomo | Riko Narumi | Ikki Sawamura

Chine

Chengdu, I Love You

articles récents

Japon

Dernier caprice

Japon

Fleur pâle

Japon

Godzilla Minus One

Japon

Tuer

Japon

L’Innocence

Japon

Récit d’un propriétaire