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Japon

Porno jidaigeki : Bohachi bushido

aka Bohachi : Clan of the Forgotten Eight | Japon | 1973 | Un film de Teruo Ishii | D’après un manga de Kazuo Koike | Avec Tetsuro Tamba, Yuriko Otonashi, Keiko Aikawa, Rena Ichinose, Emi Katsura, Ruriko Ikeshima, Shiro Hisano, Kyoichi Sato, Keishiro Kojima, Chota Tamagawa, Kyoishi Hitoshima, Shogo Shinoe, Tatsuo Endo, Ryohei Uchida

Chambara sous acide.

Maître du grotesque, grand admirateur d’Edogawa Ranpo, et éternel inventeur du cinéma de genre, Teruo Ishii n’a cessé tout au long de sa longue et prolifique carrière de professer une foie sans pareille pour le détournement de genres, au service de l’appétit de studios (Shintoho, puis Toei, sans oublier l’intermède Nikkatsu) en quête de sensations fortes.

Toujours prêt à repousser les limites du bon goût, notre trublion de l’exploit s’attaque à la fin des années 60 à façonner la ligne “Pinky Violence” initiée par le légendaire producteur du bis made in Toei, Kanji Amao. De 1968 à 1973, le cinéaste réalise huit opus de nature inégale, plus connus sous la bannière des Joys of Torture dont la plupart se situent pendant la période Tokugawa (1603-1868), mettant en scène de façon fort documentée, les tortures les plus sadiques accompagnées de figures érotiques imposées, sans oublier une touche humoristique contagieuse.

Si Yakuza Punishment : Lynch (1969) fait quelque peu exception à l’ensemble de la série dans sa caractérisation d’un univers éminemment masculin, Porno jidaigeki : Bohachi bushido n’en est pas moins singulier à plus d’un titre. Réalisé sous l’impulsion d’un autre empereur du bis, le mythique acteur Tetsuro Tamba, totalisant un palmarès de près de trois cent participations, qui possédait à l’époque les droits d’adaptation du manga éponyme de Kazuo Koike (Baby Cart, Lady Snowblood, Hanzo the Razor, Demon Spies...), cet épisode qui connaîtra une suite moins glorieuse sous la caméra du tâcheron Takashi Harada (quelques opus de la série Blind Yakuza Monk et Killer Priest), réunit deux anciens compères qui firent jadis les beaux jours de la Shintoho.

Shiro, un ronin nihiliste sans foi ni loi doublé d’un sabreur hors pair, passe son temps à trucider ses ennemis. Trimbalant son mal-être, il tente de se suicider en se jetant d’un pont au cours d’une de ses nombreuses rixes sanguinaires. A son étonnement il se voit réanimé par le corps chaud et doux des prostituées du clan Bohachi, contrôlant le quartier des plaisir de la capitale, Yoshiwara. Ce clan aux stratégies machiavéliques et aux règles de vie des plus curieuses, se propose d’embaucher Shiro afin de débarrasser la ville de la concurrence déloyale de la prostitution qui fleurit librement. Mais ce dernier comprend bien vite qu’il est l’objet de manipulations.

A l’inverse de la plupart des films de la série Tokugawa, dont la forme omnibus servait de canevas, et qui s’attachaient principalement à la chronique historique, Bohachi bushido se concentre sur son personnage principal et ses vicissitudes existentielles. Shiro ne cessant de répéter « mourir c’est aller en enfer, mais vivre c’est aussi l’enfer ». Le caractère auto-destructeur de l’anti-héros reprenant ainsi la figure du ronin en déchéance, popularisé à l’époque par les chambara de Kenji Misumi (Baby Cart) ou de Kihachi Okamoto. Doté de l’accessoire de rigueur, un sabre décapiteur “Onibocho” que lui confie le clan, Shiro, cheveux au vent et calme olympien, tranche les têtes mâles ou l’oreille d’une femelle avec un égal sang froid. Tetsuro Tamba bien que n’ayant plus l’âge ni la fougue d’un jeune premier, campe son rôle avec gravité et conviction, voire religion tant il semble hanté par son mal-être, à tel point qu’un troupeau de femmes nues peuplant la pellicule semble à peine capable de l’émouvoir.

Ishii s’il respecte les règles du chambara, n’en réalise pas moins une oeuvre hybride et unique, détournant le genre et inventant le chambara érotique. Il parodie avec ironie le code du Bushido en introduisant les huit règles du Bohachi (tout membre se devant d’abandonner huit sentiments humain sous peine d’exclusion). La scène fort théâtrale pendant laquelle Shiro se voit mis à l’épreuve résume à elle seule la verve grivoise et délicieusement immorale d’Ishii. Comme à son habitude il nous gratifie de scènes de tortures sadiques, collant ainsi au cahier des charges de la série. L’érotisme de rigueur est souvent emmené par les prétextes les plus saugrenus, même s’ils semblent tellement assumés qu’ils passent comme une lettre à la poste ; comme l’extinction d’un incendie par les femmes de main du clan qui se transforme en un douche érotique pour remettre les corps à leur juste température ; sans oublier un combat entre les femmes du clan Bohachi et un ninja (Ryohei Uchida) à la solde du gouvernement, aux ralentis évocateurs constituant une sorte de négatif au générique de Female Yakuza Tale (1973).

Bohachi bushido, bien que sujet aux habituelles faiblesses scénaristiques du réalisateur, usant de facilités récitatives pour faire avancer son scénario, n’en demeure pas moins une authentique oeuvre Ishiienne. Même si le sujet principal apparaît comme une figure imposée, c’est dans le détail que le cinéaste imprime sa marque. On y retrouve ainsi l’humour cocasse qui le caractérise, lors de la scène de sarashi (humiliation publique) ou les deux notables sont attachés nus avec leur prostituée respective. La folie, récurrente chez l’auteur, est incarnée par la femme syphilitique, rappelant ainsi l’ouverture de L’Effrayant Docteur Hijikata (1969), alors que l’anachronisme se retrouve dans le pistolet brandi par le chef du clan, sans oublier les tenues bigarrées telle que la ridicule casquette du chef du clan (Tatsuo Endo).

A ces éléments viennent s’ajouter le caractère visuel et le sens théâtral du réalisateur, qui font ici à nouveau merveille. A l’aide d’un sens du cadrage unique conjugué à une utilisation personnelle du chromatisme et de la lumière, le cinéaste transcende l’exploitation de base pour atteindre l’onirisme et le surréalisme cher aux amateurs d’ero-guro. Film graphique étonnant, le générique comme souvent chez l’auteur est un petit concentré d’invention. Par ailleurs, la séquence où Shiro, drogué par le clan, est en proie aux hallucinations, démontre le côté psychédélique de l’auteur, qui fait du mauvais goût un art. Contrairement à ce que d’aucuns voient comme le signe d’une possible inspiration lorgnant du côté d’un Seijun Suzuki, les aplats de couleur utilisés ici par Ishii ne procèdent pas de la même approche. Seijun Suzuki travaillant par correspondances chromatiques alors qu’Ishii en maître du grotesque, joue la discordance et le goût criard volontaire.

Si la beauté du film tient également dans le lustre des décors des studios de Kyoto de la Toei, Ishii sait également jouer la sobriété graphique et démontre à travers un final crépusculaire et dantesque, aidé par l’interprétation toute en raideur de Tetsuro Tamba, qu’il est bien le maître de l’excentricité filmique qu’on connaît. A la vision de ce Bohachi bushido, on ne peut s’empêcher de verser quelques larmes de nostalgie face à la disparition récente d’un couple mythique [1] qui fit tant de bien au cinéma de genre nippon. A n’en pas douter, Bohachi bushido en est un digne hommage.

Disponible en DVD au Japon chez TOEI Video (format 16:9, NTSC, Zone 2 et sans sous-titres). Également disponible dans le box 5 DVD “Toei Kantoku Series DVD Box” consacré à Teruo Ishii.

[1Tetsuro Tamba est décédé le 12 août 2005 alors que Teruo Ishii nous a quitté il y a moins d’un an, le 24 septembre 2006.

- Article paru le vendredi 11 mai 2007

signé Dimitri Ianni

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