A Touch of Sin
Jia Zhang-ke continue de prendre le pouls de la société chinoise, mais dans son dernier film, A Touch of Sin, celui de certains de ses membres s’accélère dangereusement, tant la société les pousse jusqu’au point de rupture. Jusqu’à présent, le réalisateur chinois montrait la violence de la société s’exerçant sur les individus. Dans son dernier film, cette violence est devenue trop forte pour que ceux-ci ne se rebiffent pas.
A Touch of Sin raconte quatre histoires de citoyens chinois qui n’ont d’autres choix que d’y faire appel pour résoudre leurs problèmes. Un mineur qui tente de dénoncer, sans succès, la corruption, donne lui-même le coup de balai à coup de décharges de chevrotines, un migrant ne trouve un sens à sa vie que grâce à son pistolet et devient tueur professionnel, une femme travaillant comme réceptionniste d’un salon de massage utilise la manière forte pour repousser les avances violentes d’un riche client, et un jeune homme ne supporte pas de ne pas pouvoir vivre une histoire d’amour car sa dulcinée est une prostituée de luxe.
Le titre fait bien sûr référence au film de King Hu, Touch of Zen. Les deux réalisateurs ont comme point commun de travailler avec une actrice fétiche. Zhao Tao se transforme ainsi pour l’occasion en une descendante moderne de Hsu Feng. Coiffée d’une queue-de-cheval, elle utilise une lame courte, comme les héroïnes du cinéaste hongkongais, pour faire rendre gorge à un gredin disposant de l’arme la plus létale du pays : une liasse de yuans !
Jia Zhang-ke n’avait jamais montré une violence aussi graphique dans aucun de ses films. Cette violence est brute, jamais magnifiée : une détonation retentit et dans le plan suivant apparait une tête sanguinolente défigurée par un coup de fusil.
En choisissant quatre chinois ordinaires, d’âges et de sexes différents et travaillant dans des régions chinoises distinctes, Jia Zhang-ke marque sa volonté de dresser un tableau global de son pays. Cette communauté de destin est aussi soulignée par la transition d’une histoire à une autre, via le croisement de deux personnages appartenant à chacune d’elle. Ce croisement de trajectoires s’effectue évidemment dans les transports puisque que Jia Zhang-ke est aux commandes.
Son film touche des sujets sensibles et très actuels. Le cinéaste montre rien de moins que la « stabilité sociale », si chère au parti communiste chinois (PCC) car condition nécessaire - mais pas suffisante - à la conservation de sa mainmise sur le pays, est sévèrement mise à mal.
Le parti communiste chinois en est conscient et a évidemment réagi via la répression. Il y a de cela quelques jours, il se réjouissait d’avoir nettoyé Internet après avoir passé une loi qui prévoit de lourdes condamnations pour ceux diffusant de fausses informations - lire des informations dérangeantes sur le parti - sur la toile. Comme celle de ce cadre du parti en possession de 130 sacs Vuitton, histoire dont des personnages du film prennent connaissance sur Internet.
Le PCC a également mis en place des mesures anti-extravagances (novlangue du Parti communiste pour parler de la corruption) destinées à limiter les dépenses ostentatoires de ses membres. Ces mesures, qui pour une bonne partie sont de l’affichage, ne s’attaquent pas au fond du problème : les richesses amassées par la nomenklatura et leurs familles. [1]
Cet accaparement des richesses est au centre de la première histoire du film, qui met en scène un vengeur, un des personnages emblématiques du Wu Xia Pian. Et ce creusement profond des inégalités est la racine profonde de la violence protéiforme montrée dans le film.
Pour toutes ces raisons, A Touch of Sin est l’un des films les plus intéressants de cette année, et son prix du meilleur scénario à Cannes des plus justifié.
A Touch of Sin sort sur les écrans français le 12 décembre. Selon un récent article de Libération, les chinois devront patienter, les autorités du pays ayant repoussé sa sortie.
Remerciements à Matilde Incerti.
[1] On pourrait multiplier les exemples. D’après une enquête du New-York Times, JPMorgan aurait passé un juteux contrat avec un cabinet de conseil, dont l’un des deux membres n’est autre que la fille du Premier Ministre alors au pouvoir, Wen Jiabao, et travaillant sous un nom d’emprunt. Dans un caméo en patron de bordel, Jia Zhang-ke achète une œuvre d’art par téléphone, un marché en plein boom ces dernières années. Comme les biens de luxe, certaines sont utilisées comme pot-de-vin. Toujours selon le quotidien américain une part importante des œuvres vendues seraient d’ailleurs des faux.




