A Woman’s Work
Asami et Rina sont deux sœurs qui partagent la même passion et le même métier : joueuses de shogi. Elles font toutes deux partie de la ligue B, ce qui équivaut à un très haut niveau. Malheureusement pour Asami, depuis son mariage avec Kazuya, elle n’arrive plus à gagner et connaît une série de défaites qui risque de la faire rétrograder en ligue inférieure. De son côté, Rina, sa jeune sœur, ne cesse de changer de petit ami, tout en acquérant une maîtrise quasi parfaite du shogi. Un soir, Kazuya et Asami invitent à dîner Rina et Hiroki, son boyfriend actuel...
A Woman’s Work est un film dont la seule prétention est de nous démontrer que le manque de communication dans un couple ne peut entraîner que la destruction. Le risque d’avoir choisi un tel sujet était de sombrer dans le larmoyant ennuyeux et sans intérêt. Mais au lieu de filmer ce genre de spectacle, Kentaro Otani a préféré s’atteler à une décortication minutieuse des rapports humains. Pour ce faire, il part du principe que la communication est le ciment d’un couple mais aussi familial ; il n’y a qu’à voir toutes les scènes où Asami parle à sa mère. La mère, justement, un des trois personnages féminins du film, reste le rôle le plus communicatif du film.
Kentaro Otani n’est pas pour autant qu’un simple cinéaste de la femme, c’est surtout un sociologue incroyable et aussi un thérapeute d’envergure. Sa toile de fond et de départ reste bien sûr le relationnel de ces deux sœurs, dont les vies sont vouées au shogi. Mais très vite, ce relationnel va s’étendre jusqu’à se multiplier et devenir un système complexe de rapports humains. Dès lors, tous les personnages vont devoir "s’affronter" par couples interchangeables : Kazuya/ Asami, Kazuya/ Rina, Kazuya/ Hiroki, Asami/ Rina, Asami/ Hiroki, Hiroki/ Rina. Tout ce petit monde en conflit va suivre une véritable thérapie de groupe jusqu’à trouver enfin/à nouveau le bonheur. Asami dans son jeu et son couple ; Rina dans son couple, puis dans sa relation avec Hiroki et surtout sa sœur.
Au niveau casting, on a le droit à un quatuor d’exception. Tout d’abord, Asaka Seto incarne Asami, femme fragile et à la sensibilité à fleur de peau. Jeune actrice de 25 ans, Asaka Seto a, en plus de son métier d’actrice, sorti un album et plusieurs singles [1], et du fait de son immense talent et de sa très grande beauté, devrait devenir dans les prochaines années (mois) une actrice de premier plan. A ses côtés on retrouve, en salaryman stressé, Shinya Tsukamoto. A des années lumières de Tokyo Fist et de Bullet Ballet, il interprète avec brio ce mari tranquille (et employé passif) qui cherche, en dépit de ses propres soucis, à sauver son couple du naufrage. Face à ce couple d’acteurs magnifiques, un autre couple se dresse. Jun Murakami [2] est Hiroki, musicien non reconnu, fin cuisinier, et accessoirement bonne à tout faire de Rina. La sœur d’Asami est joué par Mikako Ichikawa, qui possède un charme tout particulier et une maîtrise de son métier telle, qu’il suffit que son regard s’illumine pour faire passer une quantité astronomique de sentiments.
Seul point noir au tableau : la musique. Musique dont les envolées sont parfois exagérées. Et quant à la chanson finale, outre le fait qu’elle arrive trop tôt et annonce la fin du film (alors que le besoin ne s’en ressent absolument pas), il me semble qu’elle est tout à fait mal venue et (oh grand dommage !!) nous fait sortir de notre torpeur tranquille. Mais bon ceci n’étant qu’un avis personnel et qu’un simple détail, il est inutile de s’attarder plus longtemps.
A Woman’s Work donne l’occasion au spectateur de connaître ce jeu d’échec japonais qu’est le shogi. Jeu où même le son des "jetons" sur le "damier" est important ; et dont le mouvement des "pièces" semble assez complexe. Mais le shogi n’est pas seulement un jeu dans ce film ; il a une toute autre signification. Le shogi est l’image même du conflit qui oppose Kazuya et Asami. En apparence, tout va bien dans leur couple. Pourtant chacune de leur discussion s’achève sur une violente dispute. De même, pendant une partie de shogi, le calme règne dans la pièce et sur les visages des joueuses ; alors qu’en fait intérieurement une lutte sans merci fait rage. D’un côté se trouve l’intimité du couple, en proie au conflit - interne - et de l’autre, une partie jouée en soi et/ou contre soi, puisqu’il s’agit de deux soeurs. C’est ce rapport de force que Kentaro Otani a su déceler et mettre en image. Et c’est ce qui fait de A Woman’s Work un très bon film.
Le film est passé au Festival Asiatique de Deauville en avant-première mondiale et n’est donc pas encore sorti au Japon.
[1] Rambling Dreamer ça c’est l’album. White et Hanasanai Hanasenai pour les singles. Elle a aussi joué dans la série télévisée Sayonara Ozu Sensei qui doit sortir en VHS au Japon le 17 avril de cette année.
[2] Formidable "assistant" de Ren Osugi dans Futei no Kisetsu de Ryuichi Hiroki.


