Africa addio
Adieu déontologie, veaux, vaches, et cochons. Bonjour sensationnalisme, outrances, et télévision moderne.
Sorti en 1966, Africa addio c’est juste du grand n’importe quoi, sans aucune retenue, sous couvert de reportage objectif. Il s’agit donc d’un « documentaire », tourné sur trois ans, sur l’état de l’Afrique non-francophone après la décolonisation (ainsi que sur l’Afrique du Sud qui connait une situation particulière, l’apartheid, et qui ne s’inscrit pas dans ce processus). Point très important spécifié dans le discours des auteurs ouvrant le film : étant donné ce que représentaient les colonies françaises, de par leur superficie et leurs populations, par rapport à l’ensemble de l’Afrique de l’époque, on peut déjà émettre un doute quant à la portée finale du « travail » qui va nous être présenté, concernant la situation de l’Afrique qui se veut générale, rien que par son titre. A partir de là, on assiste à un enchaînement de séquences, dans lesquelles les lieux sont rarement mentionnés de manière très précise. Pour ce qui est des dates des situations et des évènements qui nous sont présentés, c’est encore le plus grand flou. Leur contexte n’est jamais explicité dans le détail. On passe d’un endroit à l’autre, d’une situation (massacre de civils, braconnages, etc) à une autre, sans transition d’aucune sorte. Le recul n’est pas permis, on est toujours plongé dans le cœur de l’action sans explication. La réalisation y est pour beaucoup, avec une utilisation abusive de gros plans, rarement contrebalancés de plans larges. Parfois, on a même droit à des plans avec une photographie à la David Hamilton !! Est également employée de la musique sirupeuse à outrance, qui pourrait être extraite de je ne sais quel nanar, pour dramatiser encore plus le propos.
Séquence emblématique parmi d’autres, la première sur les massacres de la population arabe de Zanzibar. Après la vision d’un petit zèbre orphelin, qui s’en va au loin transporté par un hélicoptère sur fond de coucher de soleil, le tout sur de la musique qui n’en finit pas de vouloir nous attendrir, on nous montre un bout d’aile d’avion de tourisme qui survole une portion de côte que le commentaire nous dit être Zanzibar. Puis nous sommes dans le cockpit, le pilote appelle la tour de contrôle pour demander l’autorisation d’atterrir, qui lui est refusée. Les plans s’enchainent, notamment sur l’arrière de la tête du pilote, sur le haut-parleur, puis à travers la vitre on aperçoit un autre avion dans le ciel, tandis que le pilote décide quand même d’atterrir.
Le second avion est celui de collègues allemands qui ont volé avec le premier depuis le Tanganika (situé à environ mille kilomètres de Zanzibar). On voit l’avion allemand se poser d’abord, soi-disant, sur une piste au nord de l’aérodrome, en fait une piste de brousse quelconque qu’on ne peut situer. Dès que l’avion des allemands est immobilisé, une vingtaine de personnes, dont la provenance est inconnue, se précipite en sa direction. Là, c’est de nouveau le moment des gros plans sur le pilote de l’avion. Et lorsqu’il se pose, on aperçoit au travers de la vitre latérale un pauvre abri en bois, et des gens qui courent le long de la piste. Le commentaire nous résume le coup d’état à Zanzibar soutenu par les Russes. De nouveau, coupe. Un camion roule le long de la piste avec deux personnes qui brandissent ce qui semblent être des fusils (impossible de préciser, on ne voit pas assez bien). La voix off nous précise que les communications sont coupées, que pour savoir ce qui se passe à Zanzibar, il faut se déplacer en personne comme ils le font. Puis on repasse le long de l’avion allemand, ou l’on voit des gens censés être des insurgés embarquer les passagers. On les distingue à peine. Et là grandiose, on entend des coups de feu sans les distinguer à l’image, dont le son reproduit fidèlement celui d’un western spaghetti !!
Mouvement de caméra vers l’intérieur du cockpit, pendant que l’avion redécolle. Après une énième coupe, on aperçoit l’autre avion qui brûle, un groupe de gens au milieu de la piste qui ne leur tirent pas dessus. De nouveau, ils font un autre passage à côté de l’avion en flamme. Les gens au sol ne réagissent toujours pas. Le commentaire nous dit qu’il reviennent le lendemain, le 19 janvier [1], en agitant un drapeau rouge pour tromper les rebelles (au même endroit ? où ?) !!! On nous montre des images de gens qui courent sur un chemin ? Une piste ? Qui leur tire dessus ? Bref, il n’y a pas un plan qui dure plus d’une quinzaine de secondes, le tout est monté avec beaucoup d’images inutiles, qui ne montrent rien. La bande son est plus que douteuse. La vocation journalistique de ces images est une grosse arnaque.
Autre séquence mémorable devant laquelle les spectateurs ne peuvent s’empêcher d’éclater de rire, celle sur les lions qui ne savent plus descendre des arbres, qui sont devenus trop fainéants pour chasser ! Tout aussi grandiose est celle où l’on voit un couple de lions en train de se reproduire, cerné par les touristes blancs qui les regardent et les prennent en photos, avant d’enchainer sur les massacres de Stanleyville… C’est du grand n’importe quoi. Que penser du perroquet, qui lors d’un briefing de mercenaires, n’arrête pas de dire « merde » à son maître qui, penché sur une carte, lui répond tout de go « salope » ? Sans parler des pauvres pingouins ! C’est tout simplement surréaliste.
On ne peut s’empêcher de penser que certaines séquences ont été mises en scène, bien qu’il y ait sans doute certaines images authentiques d’exécutions, de massacres d’animaux. Que la bande son a été trafiquée ou refaite. Que la réalisation, le montage, la musique, concourent ensemble à un effet de « surdramatisation » : nous sommes dans l’artifice jusqu’au cou. Aucune précaution préalable à un travail de reportage journalistique sérieux n’est prise. Néanmoins, certaines séquences sont intéressantes, et on y voit aussi de belles images. C’est l’amalgame final et son discours qui posent problème.
Comme l’a précisé Nicolas Winding Refn dans sa présentation de la projection du film au cours de l’Etrange Festival 2010, dans le cadre de la carte blanche qui lui a été donnée, ce film est à considérer comme une installation artistique, tellement il va au-delà de tout. Mais surtout, il est précurseur de ce qu’est la télé-réalité aujourd’hui, de par les méthodes que ses auteurs emploient. On pourrait même ajouter qu’Africa addio est également précurseur du style docu-fiction. Si certains passages prêtent à sourire, le discours vaseux servant de prétexte à l’ensemble, certains points très ambigus, comme le racisme, font néanmoins froid dans le dos quand on pense aux crétins qui pourraient prendre tout ça au premier degré, sans aucune analyse. Il est par ailleurs intéressant de comparer ces images à celles d’autres reportages d’époque, afin de mieux percevoir la supercherie. [2]
Africa addio est un bel exemple de manipulation d’images choquantes, racoleuses, au service d’un propos qui ne l’ait pas moins. Finalement , c’est plus le fond qui choque que les images elles-mêmes. Qu’il soit devenu le plus culte des Mondo cane pour certains, me laisse pantois.
Diffusé lors de l’Etrange Festival 2010 dans le cadre de la Carte Blanche à Nicolas Winding Refn, Africa Addio est notamment disponible en DVD chez Blue Underground, dans la collection Monde Cane.
[1] Zanzibar est indépendant le 10 décembre 1963, et les troubles commencent le 11 janvier 1964. Bien sûr, tout ceci n’est pas mentionné dans le commentaire.
[2] Voici un petit lien vers le site de l’INA, « Bagarres au Congo belge ». Pour ceux que cela intéresse, à voir pour les images, dont une assez célèbre, utilisée dans le clip des Ludwig von 88, Les sentiers de la gloire.


