All About Women
L’homme qui aimait les femmes.
Depuis que la Film Workshop de Tsui Hark et Nansun Shi s’est aventurée sur le terrain des co-productions transfrontalières d’envergure avec Seven Swords (2004), le cinéma de Tsui Hark semble avoir changé de direction, lorgnant sur les potentialités mirifiques d’un marché chinois dont l’identité de son cinéma de divertissement reste à construire. Et semble ainsi s’être lancé de nouveaux défis dans un désir de constant renouvellement.
Fruit de sa rencontre avec le scénariste et réalisateur de la comédie romantique générationnelle My Sassy Girl, Kwak Jae-yong, All About Women représente une forme de retour aux sources pour celui qui, avec All The Wrong Clues (1981) contribua a façonner le succès et le style des comédies de la Cinema City. Comédie romantique contemporaine, le dernier opus du maître s’inscrit délibérément dans la ville du futur, Pékin, faisant ainsi écho à l’un de ses chef d’œuvres, Peking Opera Blues (1986), dont le sublime trio d’actrices se retrouve ici transposé, jusque dans les archétypes même de ses héroïnes, confiant qu’il est dans la matrice de son succès antérieur.
A l’image des trois protagonistes de The Eighth Happiness (1988) de Johnnie To, notre trio “trans-générationnel” est en quête d’un bonheur fugace face aux obstacles de la société contemporaine. Si suivant chacune, les moyens d’y parvenir divergent, pour l’auteur il s’agit véritablement d’un combat, à l’image du champ de bataille sur lequel Tang Lu repousse l’envahisseur masculin, dans lequel tous les coups sont permis. L’homme y est d’autant plus transparent qu’il y est malmené, parfois de façon violente face à ces nouvelles dominatrices à l’individualisme poussé. L’hystérie dans laquelle évoluent les personnages étant à l’image de la société urbaine chinoise dans son impitoyable schizophrénie compétitive. Mais si l’auteur parvient à refléter cette ambiance échevelée et trépidante grâce à une approche “cartoonesque” non sans talent, le film prenant parfois l’allure d’une comédie d’action loufoque, il échoue à faire transpirer l’émotion qui faisait la force de films tels que Peking Opera Blues. A l’image de l’artifice narratif de l’œuvre - les phéromones utilisées par l’intrigante Fanfan pour s’accaparer l’homme convoité -, l’alchimie entre nos muses peine à fonctionner. Pourtant, le cinéaste réussit de nouveau à transfigurer l’image de chacune de ses inspiratrices avec bonheur.
Derrière l’inconstance de sa fantaisie, All About Women ébauche les préoccupations de la femme chinoise moderne dans sa volonté d’émancipation au sein d’une société traditionnelle à l’hyper modernisme galopant. Quittant l’identité hong-kongaise au cœur de son œuvre, Tsui Hark tente d’en appréhender une nouvelle, par le biais d’un regard plein d’humour et de tendresse, de fantaisie et d’admiration pour ses égéries de la modernité. Exploitant l’architecture des gratte-ciels de verre, autant que les friches industrielles servant de squats d’artistes, l’auteur tente de rendre compte de la diversité des univers qui se côtoient au cœur de la cité tentaculaire. Grâce à un remarquable travaille sur la photographie, complétée par le stylisme du légendaire monteur et décorateur de Wong Kar-wai, William Chang, All About Women inscrit la modernité de Pékin au cœur du métrage. Mais All About Women, avant d’être une comédie déjantée aux accents féministes, reste la signature d’un homme passionnément épris des femmes.
Depuis ses débuts, la figure féminine est restée centrale à l’œuvre de Tsui Hark. Lui qui sut comme nul autre manier le “gender bending” ou mélange des identités sexuelles, l’un de ses motifs de prédilection, si caractéristique de la culture chinoise, et dont The Lovers (1994) demeure le point culminant. Traversé par la préoccupation de la place de la femme au cœur de la société chinoise, le cinéma de Tsui Hark a aussi permis l’épanouissement des plus grandes stars féminines du cinéma Hong-Kongais des années 80, de Brigitte Lin à Anita Mui, en passant par Joey Wong ou Maggie Cheung. Véritable révélateur, tel Pygmalion et sa Galatée, le cinéaste métamorphose littéralement ses actrices en se jouant de leurs habitudes pour notre plus grand plaisir.
Ainsi Kitty Zhang Yuqi passe de la charmante maîtresse d’école du CJ7 de Stephen Chow, à une voluptueuse et incendiaire patronne trentenaire d’un fond d’investissement chinois dans le rôle de Tang Lu. Alors que Kwai Lun-mei, après l’étudiante innocente et romantique de Secret (2007) se transforme en Tieling, boxeuse et rockeuse à la masculinité exacerbée. Et que dire de la lumineuse Zhou Xun qui, de la douce Xiao Wei de Painted Skin devient Fanfan, une piquante et espiègle docteur à la frigidité surprenante au contact de la gente masculine ? Cette débauche de style à travers un véritable déluge de couleurs, pourtant, ne parvient pas à masquer les faiblesses dont souffre le film.
Défauts récurrents d’un hyperactif compulsif, All About Women pêche par sa narration, dont les fils ténus ne sont maintenus que grâce à une accumulation de gags parfois poussifs, au détriment du développement des personnages dont les interactions sont insuffisamment exploitées. Le mode d’écriture du scénario n’étant sans doute pas étranger à cette déperdition [1]. Même si l’auteur démontre une faculté à exploiter ses idées les plus folles avec un sens visuel hors du commun, les longueurs du métrage - notamment dans sa conclusion interminable qui semble davantage servir de véhicule à la nouvelle scène pop-rock cantonaise matinée de sonorités traditionnelles à la mode - et ses carences scénaristiques n’échappent pas au final à une impression d’ensemble mitigée.
Loin d’être le chef-d’œuvre attendu lors de la diffusion des premiers visuels alléchants, All About Women n’en est pas moins une variation moderne sur le mythe de Cupidon, tout autant qu’une profession de foi à l’encontre des femmes qui n’ont cessé de faire rayonner le cinéma de Tsui Hark au firmament du 7ème art. A l’image de l’instrumentalisation des phéromones par Fanfan, l’auteur nous interroge sur le besoin de contrôle toujours plus prédominant qu’éprouve la femme moderne face à ses sentiments, au cœur de la nouvelle société capitaliste moderne chinoise.
Certes les enjeux de la modernité à l’horizon du 21ème siècle cosmopolite chinois ne s’apprivoisent pas aisément pour qui reste marqué par les spécificités culturelles de Hong Kong ; mais ce nouveau visage, tout comme les différentes facettes de ses héroïnes, contient néanmoins les promesses d’un renouveau, ouvrant une brèche inédite dans le cinéma de divertissement chinois.
All About Women a été présenté au cours de la 11ème édition du Festival du film asiatique de Deauville (2009).
Il est disponible en VCD et DVD HK avec sous-titres anglais.
[1] En effet, Kwak Jae-yong a d’abord écrit le scénario en coréen avant que celui-ci ne soit traduit en chinois afin que Tsui Hark puisse y apporter ses modifications, retraduites en coréen. Ce processus ayant fait l’objet de nombreux allers-retours dans le cadre de leur collaboration.




