Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Japon | Festival du film asiatique de Deauville 2010

All to the Sea

aka Subete wa umi ni naru, すべては海になる | Japon | 2010 | Un film d’Akane Yamada | Avec Eriko Satô, Yûya Yagira, Jun Kaname, Yuriko Yoshitaka, Yutaka Matsushige, Sakura Andô, Makiko Watanabe, Jun Murakami, Mina Fujii, Ryû Morioka, Tsubaki Nekoze, Akira Shirai, Alice Hirose

Apprendre à aimer.

Après la réalisatrice Nami Iguchi et son brillant Sex is no laughing matter (2007), c’est au tour d’Akane Yamada, débutante forte d’une vingtaine d’années d’expérience télévisuelle, de flirter avec le détournement de mineurs, plutôt inhabituel dans l’archipel, à travers l’inépuisable matière a romance que constitue le jun-ai (histoire d’amour pur). Mais à l’inverse des bluettes adolescentes envahissant les écrans nippons, la pureté habituellement conférée à l’adolescente fragile se retrouve ici masculinisée, alors que sa contrepartie féminine n’en est que plus sexualisée ; dans une œuvre inégale mêlant dysfonctionnements familiaux, ostracisme scolaire, tentation suicidaire et prostitution étudiante.

Davantage connue au Japon comme écrivain et essayiste, Akane Yamada franchit le pas de l’auto-adaptation [1], à l’instar d’illustres contemporains tels que Murakami Ryû ou Sion Sono. Narrant les tribulations affectives de Natsuki (Eriko Satô), responsable de rayon d’une librairie, qui après avoir interpellé une cliente (Makiko Watanabe) pour vol à l’étalage, fait la rencontre inattendue de son fils Koji (Yûya Yagira). Le jeune lycéen introverti entreprend de consolider les liens familiaux de son foyer alors au bord de l’implosion. Se prenant d’affection pour le garçon, elle décide alors de l’aider à surmonter ses difficultés familiales. Mais à mesure qu’une relation sentimentale semble s’esquisser entre les deux personnages, le passé trouble de la jeune femme, ajouté à ses fréquentations masculines, vont y faire obstacle.

On est loin ici du cadre original d’un Heaven’s Bookstore (2004) de Tetsuo Shinohara et son service de lecture à voix haute proposé par Yoshio Harada. Plus conventionnelle, la libraire abritant le rayon des livres destinés aux « gens qui ne comprennent rien à l’amour », consciencieusement agrémenté de petites chroniques par la délicieuse Natsuki, tiendrait plutôt de l’espace culturel Leclerc. Ah ! Si toutes les libraires étaient aussi avenantes, la pratique de la lecture ferait assurément un bond. S’il faut chercher une touche d’originalité à ce drame romantique acidulé, celle-ci tiendrait à mon sens davantage dans ses éléments périphériques, que dans le potentiel de l’affect naissant entre Koji et Natsuki, enjeu du récit. En effet, les personnages secondaires apportent ici du relief à un récit plutôt terne. De même la représentation de certains thèmes, qui devient kitsch et légère, lorsque le métrage évoque la prostitution lycéenne racontée par le prisme du roman - agrémenté de clichés navrants que l’on croyait dépassés sur la représentation des étrangers -, ou parfois grave, lorsque qu’elle dépeint le délitement familial et les brimades scolaires ; offrent des ruptures de ton bienvenues. Mais ce ne sont que des éléments d’arrière plan, contribuant à donner une certaine gravité au film, qui en leur absence, aurait fini par ressembler à un simple dorama télévisuel.

Le film commence d’ailleurs à prendre corps lorsque Natsuki, accompagnée de son patron, s’en va visiter le foyer de Koji pour la première fois. Yamada introduisant par quelques cadrages serrés, une tension qui ne manquera pas de se matérialiser au premier contact. D’un père violent aux goûts pour la littérature sadique (les tortures médiévales), à une mère cleptomane au mutisme angoissant, sans oublier une fille cadette rebelle ; Yamada est loin de s’en tenir à une simple crise de communication. Forçant volontairement le trait des dysfonctionnements, la cinéaste semble attirée vers une vision parfois excessive, réminiscence du cinéma de Sion Sono. Ils partagent d’ailleurs le même chef opérateur en la personne de Shôei Tanigawa responsable d’un magistral travail en caméra portée conjointement dans Noriko’s Dinner Table (2005) et Love Exposure (2008). Mais leurs affinités ne s’arrêtent là [2]. L’usage récurrent de la voix-off dans le mode de narration, le choix de Sakura Andô pour illustrer le prolongement littéraire de Natsuki, ou encore le rôle de Makiko Watanabe dont le contre-emploi - au regard de son rôle d’épouse délurée dans Love Exposure - affirme ici toute l’étendue de son talent, sans oublier le troublant gourou d’une secte dangereuse s’en allant draguer de nouvelles ouailles dans les rayons de la librairie ; constituent les indices d’une proximité réjouissante avec l’auteur de Love Exposure. Mais là où la sensibilité ero-guro de Sono l’entraîne vers le baroque et l’excès lyrique, Yamada s’assagit rapidement pour revenir aux émotions intimes de ses deux protagonistes, virant au sentimentalisme édulcoré. De plus l’auteur est loin de posséder l’audace et le talent d’écriture de son aîné. Ainsi l’on regrettera cette retenue adoptée dans les moments de tension, créant une sorte d’entre-deux. La violence latente qui menace parfois de basculer dans le tragique, reste finalement confinée en périphérie.

Si Yûya Yagira donne une certaine justesse à l’introversion de son personnage de jeune puceau, réussissant péniblement à se contenir lorsque Natsuki s’offre à lui de façon débonnaire ; Eriko Satô, au jeu unidimensionnel, tient davantage de l’appât commercial. La peste hautaine de Show Some Love, You Losers ! (2007), son rôle le plus convaincant à ce jour, est ici complaisamment filmée en nuisette de satin, recto verso, sans oublier un plan d’ensemble qui tient davantage du fan service. Mais nous ne sommes tout de même pas dans Cutie Honey (2004) !

All to the Sea trace finalement la trajectoire de deux êtres à la recherche d’une même chose : être aimés et compris pour ce qu’ils sont. Et, si l’un et l’autre s’égarent en chemin, Koji songe au suicide par désespoir, alors que Natsuki ne cesse de combler son vide affectif par une forme de prostitution déguisée, lui faisant entrevoir un avenir de chroniqueuse littéraire ; ces deux fragilités antithétiques finiront par s’accorder, sur la base d’une sincérité certes platonique, mais augurant d’une relation équilibrée.

Si l’optimisme final, non condamnable à priori, d’All to the Sea semble mièvre et quelconque, on le doit en partie à la mise en scène de Yamada, qui finit par s’éterniser inutilement dans un voyage épilogue à la symbolique lourde et maladroite. Ce manque de légèreté, ajouté à des pistes narratives insuffisamment exploitées, en font en dernier ressort une œuvre à survoler davantage qu’à contempler.

All to the Sea a été présenté dans la section Panorama au cours de la 12ème édition du Festival du film asiatique de Deauville (2010).

[1Celle de son roman éponyme publié en 2009.

[2À noter qu’ils ont tous deux collaborés à la deuxième saison de la comédie policière et série TV Jikô Keisatsu (2007). Akane Yamada comme scénariste (épisode 7) et Sion Sono comme réalisateur (épisodes 3 et 6).

- Article paru le lundi 22 mars 2010

signé Dimitri Ianni

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