Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Hors-Asie

Amer

France / Belgique | 2009 | Un film de Hélène Cattet et Bruno Forzani | Avec Cassandra Forêt, Charlotte Eugène-Guibbaud, Marie Bos, Bianca Maria d’Amato, Harry Cleven, Jean-Michel Vovk, Delphine Brual, Bernard Marbaix

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La maison dans laquelle Anna débarque au début d’Amer, et se confronte à son premier cauchemar éveillé, pourrait être celle des Frissons de l’angoisse, autant que la Tanz Akademie de Suspiria. Au cours de cette première séquence, les références et emprunts à Argento sont légion, presque frénétiques, mais qu’importe : quoiqu’on ait pu dire, et qu’on dira encore, sur son rapport affiché au giallo, Amer n’est pas un film référentiel en tant que tel, tentative de mimétisme de ce genre italien qui se nourrirait simplement, plein de connivence, de sa propre cinéphilie. Plus que le terme hommage, c’est sa traduction anglaise (« tribute »), pervertie en faux ami, qui décrit le mieux sinon ses intentions, du moins ce qu’Amer dégage : un tribut. Un « patrimoine qu’une partie donne à une autre en signe de respect » [1], tout autant soumission et allégeance à l’empreinte que le giallo a laissé sur Hélène Cattet et Bruno Forzani, et que les réalisateurs restituent dans le parcours, onirique, menaçant et sensuel, d’Anna. Amer est une inversion, singulière et sublime, du flux du ressenti : les yeux, le regard, omniprésents dans le film, sont passés de récepteurs à diffuseurs. Autrefois imprimés, ils projettent aujourd’hui leurs propres images.

L’enfance, l’adolescence, la maturité : trois âges qui sont autant de rapports à la peur, à laquelle Anna se confronte au travers d’autant de séquences, évoluant dans un entre deux, d’attraction et répulsion, sans cesse plus érogène... De l’observation au contact, de la menace hors-champs à l’outrage d’une lame de rasoir en gros plan, de l’opacité d’une robe d’enfant à la transparence des apparats d’une femme débordant de désir, Amer, éminemment sexué, se déplace de la surface vers l’intérieur, prenant la forme d’une authentique pénétration cinématographique. Dénué de narration au sens propre, Amer évoque un traumatisme infantile, qui résonne dans l’éveil aux sens d’une adolescente et conditionne les fantasmes d’une femme. Rien d’étonnant finalement, à ce que le film s’achève dans la demeure où il a démarré, Anna tentant de s’immiscer sous un papier peint qui, contrairement à celui des Frissons de l’angoisse, ne dissimule rien d’autre que la frustration : Amer, par essence, est une œuvre qui se hante elle-même, son fond un écho insondable de sa forme.

Le parcours qui est celui d’Anna est aussi celui de ses créateurs, asservis dans leur jeunesse cinéphile à l’irréalisme pop du giallo. Débarrassé de ses investigations circonstancielles – prétextes qu’Argento notamment, subordonnait sans hésitation à ses impulsions de mise en scène – le genre s’étale ici dans son seul substrat sensoriel (au point de transformer chacun de ses rares dialogues en agression sonore), Hélène Cattet et Bruno Forzani retenant du genre ses illogismes et libertés, son goût du scope et des couleurs primaires, son amalgame d’érotisme et de violence. Amer n’oublie jamais combien, dans le giallo, le hors-champs – physique, temporel, émotionnel – aimait à cohabiter avec le champs, par les juxtapositions de couleurs, les contradictions musicales et le truchement de surfaces réfléchissantes. Ses deux extrémités incarnent très explicitement cette somme de dualités dans les règles de l’art (la première lorgne vers Suspiria, donc, rappelant que son scénario mettait à l’origine en scène des petites filles ; la seconde penche plutôt vers Ténèbres), tandis que son pivot adolescent, tout en chair de poule et lèvres en attente, trouve sa propre représentation, dans les tressaillements induits entre deux féminités – l’une adulte, l’autre pas encore – qui se disputent l’impression de l’image, en faveur de l’ambiguïté naissante d’Anna.

Moins qu’un giallo et en même temps beaucoup plus : en évoquant le genre par sa seule capacité, visuelle et sonore, à susciter deux émotions contradictoires – le désir et la crainte, piliers du cinéma d’horreur –, et conditionner un fantasme cinéphile qui justifie son existence, Amer est un film égocentrique et onaniste, qui parvient pourtant à être incroyablement généreux. Une dernière contradiction qui est à toute à l’honneur des réalisateurs : n’en déplaise aux détracteurs du film, qui n’y voient que prétention superficielle, Amer est l’écho on ne peut plus honnête des velléités, très personnelles, d’un genre aujourd’hui disparu. Il ne fait aucun doute qu’Argento y reconnaitrait, la passion déraisonnable qui l’animait il y a trente ans, mature – ou insolente, c’est selon - au point d’être débarrassée de toute considération commerciale. Amer est une expérience essentielle, réminiscence d’un genre unique qui se permet d’incarner l’amour du Cinéma tout entier. Il s’y abandonne, nous entraîne avec la lui dans sa chute fascinante et maitrisée. Hélène et Bruno, si jamais vous tombez sur ces lignes, ne faites pas trop attention à mes élucubrations, mais retenez simplement ceci : bravo, et merci.

Amer est disponible en DVD chez Wild Side depuis la semaine dernière. On regrettera l’absence de Blu-ray, mais qu’importe : ruez-vous dessus !
Remerciements à Benjamin Gaessler.

[1Cf. Wikipedia.

- Article paru le vendredi 5 novembre 2010

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