Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Japon

Yurisai

aka Lily Festival - Lys en Fête | Japon | 2001 | Un film de Sachi Hamano | D’après le roman de Momotani Hoko | Avec Kazuko Yoshiyuki, Mickey Curtis, Utae Shoji, Kazuko Shirakawa, Sanae Nakahara, Chisako Hara, Hisako Okata

« À notre âge il n’y a plus ni mâles ni femelles, tout est possible. »

Sur la dizaine de réalisatrices que compte le Japon, pays où la perspective masculine est hégémonique, Sachi Hamano, avec près de 300 Pinku [1] à son actif, fait figure d’anomalie dans le paysage cinématographique nippon. Délaissant quelque peu le cinéma érotique, elle s’exprime depuis quelques années dans un cinéma d’auteur au point de vue féministe, dans lequel la sexualité joue toujours un rôle pivot. Après avoir dépeint la vie de Midori Ozaki [2], célèbre écrivain japonaise oubliée, dans Dai-nana kankai hoko : Osaki Midori o sagashite (1998) elle se tourne vers le 3ème âge avec une comédie subversive et pleine de vie, faisant voler en éclats quelques tabous bien ancrés dans la société japonaise.

Lorsqu’un homme d’âge mûr s’installe dans la résidence Mariko, une pension habitée par un groupe de femmes âgées de 69 à 91 ans, la quiétude quotidienne est quelque peu bouleversée. Les belles paroles et les sourires charmeurs du dandy Myoshi ne tardent pas à mettre ces femmes seules en émoi, et provoquer quelques frictions au sein de la paisible communauté. Découvrant le vrai visage de son pensionnaire masculin, ce réveil soudain sera plus qu’une émancipation pour certaines pensionnaires, libérant au passage des appétences cachées.

La seule évocation d’un sujet tel que la sexualité du 3ème âge, dans un pays où les personnes âgées ne trouvent leur place au cinéma que pour aller mourir au coeur d’une montagne, suffit à éveiller notre attention. Le point de vue de Sachi Hamano s’exprime avant tout face à un constat : l’espérance de vie des femmes atteint 87 ans, soit dix ans de plus que celle des hommes. Quelle place pour ces veuves qui ont chacune vécue une vie pénible, faite de sacrifices à la cellule familiale ? Pour la plupart rejetées par leurs enfants, marginalisées, elles retrouvent au sein de la pension Mariko un foyer dans lequel elles peuvent exister et se sentir moins seules. Néanmoins leur désirs ne sont toujours que de vieux souvenirs enfouis dans la monotonie quotidienne.

C’est alors que survient le gentleman Myoshi (Mickey Curtis), tel un Visitor Q, ou mystérieux étranger issu du Théorème Pasolinien, le dandy dragueur ouvre une boîte de Pandore en libérant ces femmes de leurs désirs. Instincts refoulés, pour la douce et pudique Miyano (Kazuko Yoshiyuki), ou gentiment pervers pour la plus âgée, Madame Kitagawa. Alors que le film débute dans la banalité d’un déménagement, l’imprévu pointe rapidement le bout de son nez. C’est d’ailleurs cet imprévu constamment à l’affût, qui donne tout son charme à cette comédie caustique. Depuis les révélations sur les aventures cavaleuses de Myoshi, jusqu’aux confessions des femmes lors de la fête célébrant le nouvel occupant, tout concourt à déjouer les apparences et mettre les héroïnes face à leurs désirs. Certaines réagissent avec la candeur d’adolescentes, alors que d’autres ne sont pas loin de la crise de jalousie.

Même si l’on a parfois l’impression que l’homme est une nouvelle fois au centre des attentions, position confortable, et moins sujet au ridicule, cette tendance s’inverse vers la fin du récit. Lorsque les occupantes se rendent compte que Myoshi restera finalement semblable à la plupart des hommes, cavaleur et coureur de jupons, elles décident, la sagesse de l’âge aidant, que cela ne les privera pas de s’épanouir pleinement dans leur sexualité.

Le sujet aurait par ailleurs pu tourner au burlesque et au ridicule, mais Sachi Hamano reste d’une touchante sensibilité et d’une réelle franchise. Le film évoque sans détours la sexualité des seniors par ses descriptions poétiques, comme Madame Miyano, qui compare le sexe de Myoshi à un coussinet ayant la douceur d’une patte de chat. Cette poésie sert aussi à évoquer, dépassant ainsi le propos du roman original de Momotani Hoko, sa bisexualité latente - qui s’exprimera lors d’un suprenant final - lorsqu’elle imagine Monsieur Myoshi en Blanche Neige avec les pensionnaires jouant les sept nains dans un tableau hilarant.

L’humour caustique présent tout au long du récit offre quelques moments jubilatoires, comme lorsque Madame Yokota explique que tromper sa femme peut être un remède contre les hémorroïdes. La sincérité parfois directe surgit avec étonnement, comme le salut de Madame Kitagawa, la doyenne, qui pose sa main sur la braguette de Myoshi. Ces femmes, qui se sentent enfin revivre et redevenir des jeunes filles batifolant et capables de toutes les audaces, se révèlent d’une touchante humanité, procurant toute sa fraîcheur au film. La vieillesse n’est plus une fatalité pour peu que l’on veuille rompre avec la tradition et le silence. Chaque personnage démontre une personnalité bien affirmée, dont les traits entiers se révèlent au contact de l’amour.

Sachi Hamano ne tombe jamais dans le sentimentalisme, aidée en ce sens par le point de vue narratif adopté. C’est au travers des mots d’une résidente décédée que nous est comptée l’histoire, procurant un certain détachement au spectateur. Sans moralisme, la réalisatrice offre une leçon de vie, ode à la liberté sexuelle, abolissant les barrières de l’âge. Généreuse et tolérante, la comédie est au service d’un discours qui va au-delà du féminisme. Depuis l’iconoclaste Imamura et son extravagant De l’eau tiède sous un pont rouge (2001), la représentation de la sexualité à l’écran n’avait rarement trouvé d’exemple aussi vaillant et sans fausse pudeur.

Soutenu par un casting des plus réussis, on ressent une réelle complicité parmi les actrices démontrant une rare énergie. La beauté sensuelle de Kazuko Yoshiyuki nous ferait presque oublier son âge, et l’on repense alors à Seki dans L’Empire de la passion (1978). Quant au Casanova de service, Mickey Curtis, on a peine à l’imaginer en Animaru, yakusa impitoyable de Kamikaze Taxi (1995), tant il est ici convaincant de charme et d’élégance.

Tel la fleur de lys, qui symbolise tout autant la pureté, par sa blancheur, que la sexualité débridée par la forme suggestive de ses trois pétales et de son calice, Yurisai confond les préjugés pour les enterrer de la plus belle des manières. Petite perle perdue dans un océan de masculinité, c’est un poème à la vie, à l’amour, à la sexualité sans âge, ni distinction de sexe.

Film présenté dans le cadre du 27ème Festival international des films de femmes de Créteil.

Site de Sachi Hamano (section en anglais) : http://www.h3.dion.ne.jp/ tantan-s/

[1En 1984 elle fonde sa propre société de production Tantansha, signant ses films sous le pseudonyme de Chise Matoba.

[2Écrivain du début du 20ème siècle (1896-1971) à la vie tragique, elle fût oubliée de la littérature japonaise au milieu de sa carrière, et récemment redécouverte par la critique littéraire féminine.

- Article paru le samedi 19 mars 2005

signé Dimitri Ianni

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