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Chine | La Chine à Chaillot en 100 films | Festival des 3 Continents 2013

La Divine

aka Shen Nü - The Goddess - Street-Walker | Chine | 1934 | Un film de Wu Yonggang | Avec Ruan Lingyu, Zhang Zhizhi, Li Keng, Li Junpan

La Fleur de Shanghai.

Référence au titre chinois et à l’actrice principale, la légendaire Ruan Lingyu, le titre français du film a été astucieusement choisi. N’a-t-elle pas été comparée à son époque à Greta Garbo, "la divine" ? Le titre chinois Shen Nü est un mot d’argot qui se traduit par ’déesse’, et qui fait référence à une prostituée au grand cœur. Un mot formé par l’inversion des deux idéogrammes constituant le mot princesse en chinois, ’nü shen’ ! La symbolique ne s’arrête pas là, ce glissement sémantique fait référence à la mythique Yao Ji qui mourut vierge et revint hanter sexuellement les empereurs [1]. Un mythe quasi-universel, celui du dieu ou de la déesse qui perd ses pouvoirs et est exilé parmi les mortels.

Le réalisateur Wu Yonggang ne s’appesantit pas sur le plus ancien métier du monde, exercée par le personnage joué par Ruan Lingyu : quelques vues du Bund de nuit, les filles qui déambulent sur le trottoir la cigarette aux lèvres, le ballet du client et de la prostitué, le "couple" passe le seuil de l’hôtel, avant de le quitter au lever du soleil. Ce qui intéresse Yonggang, c’est le combat d’une mère pour son fils.

Mère célibataire, la prostituée sans nom doit faire face à ceux qui comme elle appartiennent au monde interlope de Shanghai, mais également aux honnêtes gens - du moins qui se définissent comme tels. Le vieux Zhang la rackette sous le fallacieux prétexte de la protéger, alors que le conseil d’administration de l’école veut renvoyer son fils afin de protéger la bonne réputation de l’établissement.

Le film repose dans sa totalité sur les épaules de Ruan Lingyu qui a l’occasion au cours des 77 minutes du film de faire la preuve de son talent. Il s’exprime en particulier lors de la dernière partie du film, dans laquelle elle est la plus expressive. Poussée dans ses ultimes retranchements, elle finit par se révolter... A mon avis, le plus touchant dans le jeu de Ruan Lingyu est la faille, la tristesse que l’on surprend parfois dans son regard même lorsqu’elle sourit. Fêlure qu’il est trop facile de lier a posteriori à sa fin dramatique.

Si la réalisation est sobre et au service de l’actrice, le metteur en scène nous offre cependant quelques bonnes idées de plans. On peut citer celui où Ruan Lingyu accroupie sur le sol et tenant son fils dans ses bras, est encadrée par les jambes du vieux Zhang qui la menace. En une image tout est dit.

La Divine s’inscrit dans la tradition des films de critique sociale de l’époque, mais celle-ci est toutefois moins marquée qu’à l’habitude. Une nuance qui vaut parfois au film d’être taxé de simple mélodrame.

Son talent, sa beauté, mais également son destin ont fait entrer Ruan Lingyu dans la légende. A l’image d’autres mythes qui vont éclore après le sien, elle va mourir au sommet de sa gloire dans des circonstances tragiques. Objet d’une campagne de calomnies, elle met fin à ses jours dans sa vingt-quatrième année.

Dans la courte, trop courte liste des stars du muet dont l’aura a survécu jusqu’à nous, Ruan Lingyu est la seule actrice asiatique citée qui n’a pas travaillé à Hollywood.

Sa destinée fascine toujours. L’hommage le plus connu est celui de Stanley Kwan dans Center Stage sous les traits de l’irrésistible Maggie Cheung. Un tribut à Ruan Lingyu qui a permis que pour la première fois en Europe une actrice asiatique soit primée ; hommage posthume à la star du cinéma chinois des années 30 au travers d’une de ses plus brillantes héritières actuelles. En 2003, le réalisateur Lee Ming Sum a également mis en scène la vie de cette actrice dans Stage Play.

Lorsque les classements faisaient florès à l’orée du XXIème siècle, La Divine était cité comme l’un des 100 meilleurs films chinois du siècle.

Diffusé à la Cinémathèque Française (Paris) dans le cadre de la rétrospective "La Chine à Chaillot en 100 films".

[1Lin Qingxia in Swordsman II The Book, the Goddess and the Hero : Sexual Politics in the Chinese Martial Arts Film

- Article paru le lundi 22 décembre 2003

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