Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Japon | Nippon Connection 2010

Autumn Adagio

aka Fuwaka no Adagio, 不惑のアダージョ | Japon | 2009 | Un film de Tsuki Inoue | Avec Rei Shibakusa, Peyton Chiba, Rumi Tachibana, Kazuhiro Nakajima, Takuo Shibuya

Les feuilles mortes.

Alors qu’à peine une décennie passée seul le nom de Naomi Kawase témoignait de l’existence d’une génération de femmes cinéastes qui s’esquissait au sein d’une industrie traditionnellement masculine, ces derniers temps l’on ne compte plus les premiers films de réalisatrices, alors que des initiatives singulières telles que le Peaches Festival (Momo-matsuri) [1] témoignent de la volonté de faire émerger une minorité créative de plus en plus visible.

Le premier long-métrage de la réalisatrice Tsuki Inoue se situe dans un entre-deux mêlé de promesses autant que de frustrations, quelque part entre la confirmation d’un talent d’une Satoko Yokohama (Bare Essence of Life), et la déception des débuts fanfaronnant d’une jeune Momoko Andô (Kakera). Saluons néanmoins l’initiative des organisateurs de cette dixième édition du festival Nippon Connection, qui nous ont offert en guise de préambule la projection de son deuxième court-métrage, Mademoiselle Audrey (Odore, 2005). Un moment de cinéma touchant, incarné par la grâce de Rei Shibakusa. À travers ces prolégomènes illustrant un instant de vie fugace et symbolique, celui d’une étoile Japonaise de l’Opéra de Paris qui se prépare en loge avant d’entrer en scène pour son gala d’adieux, la cinéaste livre un moment d’une élégante concision. Moment de remise en question plein de contrariétés pour l’artiste autant que pour la femme, qui entraperçoit la fin d’un cycle et le début d’une vie nouvelle à construire. Mais cette étape délicate s’accompagne chez Inoue d’une inévitable souffrance teintée d’anxiété face à ce “bel âge” qui point. Mademoiselle Audrey constitue ainsi un trait d’union idéal, autant symbolique que thématique, pour accéder à la mélancolie intérieure de Soeur Maria, l’organiste d’une petite paroisse catholique qui accompagne avec rigueur et dévotion les messes dominicales rythmant sa vie monotone dans Autumn Adagio.

Réalisé en partie grâce aux émoluments récoltés lors de l’obtention du Grand Prix du Festival du Film de Yubari par son court-métrage La Femme qui martèle la Terre (Daichi o tataku onna, 2007), l’oeuvre d’Inoue poursuit un questionnement éminemment féminin face aux changements affectant la vie d’une femme et ses relations aux hommes. Sujet rarement abordé au sein d’une culture de la célébration perpétuelle de la beauté adolescente, le film traduit avant tout une préoccupation intime ; celle d’une femme ayant renoncé à l’amour charnel et qui perçoit les premiers signes avant-coureurs de la ménopause. Au contraire d’une remise en cause de la foi religieuse, la caméra pose ici un regard tout à la fois sensible, pudique et sincère sur l’angoisse ressentie par une femme face au deuil de sa sexualité, auquel elle ne peut finalement se résoudre à l’approche de la quarantaine. On y retrouve également l’univers de la danse classique, évoqué dans Mademoiselle Audrey et cher à l’auteur qui songea un temps à devenir ballerine. La rigueur et la pureté conjuguée à la sensualité des corps en mouvements offrent une passerelle harmonieuse à l’austérité de la vie monacale de son héroïne. Accentuant l’esthétique épurée du métrage, cet habillage occidentalisant renforce pourtant le pressentiment d’être face à une œuvre calibrée pour l’étranger. Pour autant son traitement n’en suggère pas moins une certaine sensibilité cinématographique.

Loin de l’esthétique du baroquisant et parfois criard La Femme qui martèle la Terre, la mise en scène d’Autumn Adagio est composée essentiellement de plans fixes, dont la dilatation parfois répétitive ou mièvre - l’insistance sur une nature automnale pour suggérer le changement - sert à mettre en valeur l’austérité de compositions parfois contemplatives, s’accordant en tous points avec leur sujet. On retrouve par ailleurs un univers musical prononcé (après la batterie dans son film précédent), à travers le piano et l’accordéon, qui traduit aussi chez Inoue le souci de filmer le réel à travers le jeu de l’actrice Rei Shibakusa, dont les talents d’instrumentiste [2] sont ici mis à contribution. Dans La Femme qui martèle la Terre, qui traitait de la violence conjugale, l’actrice et musicienne Grace, trouvait déjà dans la musique un prolongement à l’expression de sa souffrance intérieure. Avec Autum Adagio la musique et sa pratique, qui demeure centrale, dans le cadre des répétitions de danse, devient en plus un médium susceptible de traduire le désir naissant autant que les frustrations de son personnage.

La confrontation successive de Sœur Maria aux trois hommes qui croiseront son existence devient prétexte à traduire avec retenue l’appréhension d’une femme vis à vis de sa relation aux hommes, déjà hautement conflictuelle dans le précédent film d’Inoue. Cette confrontation épouse à chaque fois des formes diverses, allant tout d’abord du rejet, à travers la perversité du vieux Tatemoto qui souhaite lui confesser ses turpitudes, puis vers la séduction, opérée par la rencontre avec le beau professeur de ballet (interprété par le danseur Kazuhiro Nakajima), jusqu’à la violence de la “carnalité” ressentie au plus profond de son être à travers la défloration et le viol commis par le jardinier dépressif. Mais, fait plutôt inhabituel chez une femme, le viol n’est pas traité sous l’angle de la stigmatisation d’une violence sexiste ni même d’une culpabilisation. Bien au contraire, il devient, pudiquement suggéré, dans un acte d’une générosité sublime traduisant un humanisme profond, un véritable don de soi, essence même de toute sexualité, prenant ici des proportions quasi christiques. Dans cette scène cruciale et ô combien délicate à filmer, Inoue démontre un talent incontestable pour l’ellipse et le sens de l’économie du plan, qui permet au cinéma autant qu’à notre perception de respirer et vivre au rythme de son personnage. D’un autre côté, certains réprouveront l’absence de réelle narration qui finit par instaurer une monotonie donnant une certaine inconsistance à l’ensemble.

Entre contemplation maîtrisée et symbolisme fade, Autumn Adagio repose pour l’essentiel sur la subtilité et le jeu posé de son actrice lumineuse pour traduire le surgissement du désir, chez une femme qui ne peut se résoudre à le réprimer davantage malgré le carcan que lui impose sa condition. Ode à la vie d’une générosité inouïe, il traduit aussi avec sobriété et retenue la violence de ce désir autant que son acceptation naturelle dans une forme de touchante sérénité. Il reste néanmoins à Tsuki Inoue, pour s’affirmer définitivement en tant que cinéaste, à densifier son écriture qui ne peut se limiter à l’exploitation répétitive de quelques idées maîtresses, fussent-elles habilement mises en image.

Site officiel (en Japonais) : www.autumn-adagio.com

Autumn Adagio a été présenté dans la section Nippon Digital au cours de la 10ème édition du Festival du film Japonais de Francfort Nippon Connection (2010).

[1Festival dont le but est de promouvoir de jeunes réalisatrices. Fondé en 2006 par des diplômés de la Tokyo Film School il est organisé par Atsuko Ohno la productrice de Marebito. Site officiel du festival : http://www.momomatsuri.com.

[2L’actrice du film est par ailleurs pianiste, chanteuse et auteur-compositeur-interprète dans la vie. Le blog de Rei Shibakusa (en Japonais) : http://shibakusa.exblog.jp.

- Article paru le samedi 15 mai 2010

signé Dimitri Ianni

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