Bare Essence of Life
The miracle of love.
Grâce à German + Rain, un premier long plein de promesses, Satoko Yokohama franchit le cap de l’auto-production, garante d’indépendance, pour s’affirmer dans le champ du cinéma commercial. Une étape décisive pour la jeune cinéaste, épaulée par un casting attractif, dans l’affirmation de la singularité de son geste cinématographique. C’est par le biais on ne peut plus neutre d’une histoire d’amour, aux attributs certes “miraculeux”, qui constitue le terreau fertile de ce récit bucolique enraciné dans la campagne, que l’auteur exprime toute son originalité.
Yojin (Ken’ichi Matsuyama), un jeune fermier simplet frappé d’une légère déficience mentale, vit seul avec sa grand-mère. Il tente péniblement de cultiver un potager sous les instructions prodiguées par une “méthode Assimil de l’apprenti paysan” léguée par son grand-père disparu. Lorsqu’un beau jour il fait la connaissance de Machiko (Kumiko Aso), une jeune Tokyoïte fraîchement débarquée pour remplacer une institutrice d’école maternelle, son cœur ne fait qu’un tour. Mais le passé douloureux de la jeune femme, ajouté à l’assiduité maladroite de Yojin, mettent en échec toute ébauche sentimentale.
Depuis ses débuts, Satoko Yokohama s’est prise d’affection pour ces personnages en inadéquation avec le monde environnant. De la jeune effrontée de German + Rain, interprétée par Yoshimi Nozaki qui fait ici une brève apparition, à Ken’ichi Matsuyama en idiot du village agité, la parenté semble évidente. Absence de cellule familiale directe (les parents du jeune homme ne sont jamais évoqués), liens prégnants avec le monde de l’enfance (la présence récurrente de très jeunes enfants), ou leurs maladresses respectives à exprimer leurs émotions ; sont autant d’éléments qui les rapprochent tout en les singularisant de façon touchante. Infirmes de l’affect et marginaux de la société, leur univers devient un lieu propice au surgissement de l’inouï, de l’étrange, et d’une douce folie ordinaire. La cinéaste prend heureusement soin de ne pas verser dans l’excès qui surcharge parfois les comédies fantaisistes Japonaises à la Satoshi Miki, dont les contorsions décalées deviennent postures plus que l’expression profonde d’une lucidité face au réel.
Dans Bare Essence of Life, les événements surréalistes et “nonsensiques”, tels que l’apparition de l’ex-fiancé qu’on croirait tout droit sorti du court de Juan Solanas L’Homme sans tête (2003), à la résurrection temporaire de Yojin ; font écho de façon suggestive à la gravité et au trauma dont souffre Machiko, incapable de surmonter sa douleur. Plutôt que d’affronter la réalité de façon directe, Yokohama préfère non pas s’en détourner, mais la filtrer par le prisme d’une poésie décalée du quotidien, emprunte d’humour noir. Ce qui était déjà le cas dans son précédent métrage qui allait même plus loin ; à l’image de Yoshiko visitant son père alité comme si elle allait au zoo. L’auteur s’attache à filmer avec une certaine distance les émotions sourdre sous la carapace d’êtres vulnérables, dont la dissonance finit par s’accorder, refusant de se plier à la volonté cruelle du réel. La naïveté enfantine et brutale de Yojin, face à l’intériorité réprimée de Machiko, nous offre aussi quelques moments cocasses de séduction manquée. Intelligemment sevré de sentimentalisme, Bare Essence of Life interroge l’essence de la vie autant que du cinéma.
Moins brouillon et plus maîtrisé que German + Rain, Yokohama fait preuve d’une réelle écriture cinématographique. La narration minimale y est certes parfois elliptique, fragmentée et rarement explicative, préférant laisser libre court à l’imaginaire du spectateur. Mais pour autant la cinéaste sait filmer les moments décisifs dans leur continuité, à l’image des deux longs travellings montrant Yojin raccompagner Machiko de l’école à son domicile. La mise en scène n’omet pas non plus de laisser ses acteurs occuper librement l’espace du cadre lors de plans d’ensemble fixes adroitement composés. De même, le choix judicieux de l’avant-gardiste trafiquant de sons Otomo Yoshihide [1] pour la musique, apporte une voix subtile, jamais envahissante, juste propice à égrener des sonorités inquiétantes, accentuant le caractère insolite du récit.
A cette singularité du film répond aussi un élément essentiel : celui de la campagne naturaliste et des décors champêtres de la région d’Aomori, d’où sont natifs Yokohama et Ken’ichi Matsuyama, qui adopte pour l’occasion les accentuations marquées du Tsugaru-ben (le dialecte régional). Matsuyama, dont Nami Iguchi avait auparavant (Sex is no laughing matter) pressentit la versatilité [2], lui offrant l’occasion de quitter le formatage d’un cinéma de divertissement (Death Note) pour fréquenter un cinéma d’auteur au travers duquel celui-ci confirme aujourd’hui tout son potentiel. Aussi, loin du bruissement sourd et organisé de la métropole Tokyoïte, c’est aussi le caractère spirituel et fantastique de cette région aux pratiques chamaniques ancestrales que célèbre avec humour l’auteur, notamment à travers la présence d’une itako [3]. On retrouve également ce délicat mélange entre acteurs professionnels et enfants, qui faisait tout le charme naturel de German + Rain, lors des scènes d’école ; apportant une dimension ludique et légère à l’austérité rustique.
Libre dans ses gestes autant que dans sa manière d’affronter le réel, Bare Essence of Life s’affirme comme une tentative franche et originale, empruntant des chemins détournés, pour traduire l’indicible en images. Franchissant un cap, celui de la production commerciale, en y intégrant les contraintes tout en y conservant âme et authenticité, Yokohama éprouve la vitalité du jeune cinéma Japonais qui, malgré une année médiocre, ne demande qu’à s’épanouir.
Site officiel (en japonais) : www.umls.jp
Bare Essence of Life est disponible en DVD Japonais chez l’éditeur VAP, malheureusement sans sous-titres.
[1] Voir sa présentation sur le site Japanimprov : http://www.japanimprov.com/yotomo/
[2] Notons néanmoins que c’est Kiyoshi Kurosawa qui lui offrit son premier rôle au cinéma dans Jellyfish (2003).
[3] Les itakos sont une tradition de femmes médiums et guérisseuses, généralement aveugles, résidant dans la préfecture d’Aomori.







