Battle Royale
Quelque part dans un futur proche, au Japon. Le système éducatif s’est écroulé. La discipline sur laquelle le pays a fondé sa puissance n’existe plus. Alors, le décret "Battle Royale" a bien fini par passer. Il paraît que ce n’était en fait qu’une question de temps, que tout cela devait bien arriver... mais où est le sens derrière tout ça ? Peu importe. L’essentiel, c’est que Kitano, un professeur en guerre contre ce manque de discipline, inscrit une de ses anciennes classes au programme Battle Royale. Une île déserte sous contrôle de l’armée. 42 étudiants. Un sac à dos chacun. A l’intérieur de ce sac, une arme au hasard, allant de la poêle à frire à la mitraillette automatique. 3 jours pour qu’il n’en reste qu’un. Sinon ? Et bien sinon, au bout des trois jours, tout le monde mourra, par le biais de l’explosion du collier que chaque élève s’est vu forcé à mettre autour du cou. Les règles sont posées, le massacre peut commencer...
Raconté de la sorte, on peut évidemment se poser la question de savoir quel est l’intérêt qui se cache derrière un point de départ aussi violent et amoral. Mais, quand on a soixante-dix ans (oui, vous avez bien lu) et une aussi longue carrière cinématographique derrière soi, comme c’était le cas de Fukasaku lorsqu’il a réalisé l’adaptation du livre à scandale de Koushun Tokami (inédit chez nous, malheureusement), on ne livre pas une œuvre aussi violente uniquement pour se faire plaisir ou pour se faire abattre par la critique. Il y a forcément une logique derrière tout ça. Et cette logique existe bel et bien. Et, comme tout ce qui nous vient du Japon depuis longtemps, elle est incroyable, percutante, intelligente et belle à la fois.
Battle Royale est donc un film ultra-violent, au point d’en être choquant, c’est vrai. Mais ce qu’il faut bien voir c’est que, contrairement à beaucoup de films qui montrent la violence pour la dénoncer sans que celle-ci serve véritablement leur propos, la brutalité de Battle Royale fait partie de la moelle épinière du film. Si on la retire, les sensations et la réflexion nécessaires à la cohérence du sujet traité disparaissent simultanément. Car, plus qu’une véritable réflexion sur la violence actuelle, au Japon ou ailleurs, le chef-d’œuvre hallucinant de Kinji Fukasaku est avant tout une parabole sur l’adolescence.
La plupart des films qui traitent de la cruauté de l’adolescence le font du point de vue d’un jeune qui étouffe sous la pression de son entourage directe. Mais qu’en est-il du groupe dans sa globalité, dans le milieu scolaire, par exemple ? Les bandes, les rivalités, les premiers conflits amoureux qui vous marquent à vie, les têtes de Turcs, le monde qui sépare les "beaux" des autres... Autant de concepts d’une violence rare, maîtrisés (ou admis comme faisant partie de la condition humaine) chez l’adulte, qui règlent le quotidien du microcosme d’une classe de collège ou de lycée, dans leur forme la moins réfléchie et, par conséquent, la plus dangereuse. En isolant 42 étudiants d’une classe sur une île avec une arme chacun, il est fort probable que, même sans "règles de jeu", la plupart finiront par s’entretuer. En offrant la possibilité aux enfants d’exacerber la multitude de sentiments qui les déchirent au quotidien, la boucherie serait déjà sans doute inévitable. Alors en les y poussant...
Battle Royale analyse donc avec une ironie douloureuse tous ces moments d’incompréhension qui ont rythmé notre vie un jour : la jalousie, la timidité, la déception, l’humiliation,... et n’offre qu’une voie de sortie pour reprendre le dessus - être le plus fort et éliminer la personne en face, ne serait-ce que pour éviter qu’elle devienne un jour un adversaire (plus qu’un véritable ennemi), plus fort à son tour.
La réalisation, parfaite, permet d’amener la mort comme conséquence directe et inévitable de tous les affrontements, et c’est bien ça qui doit déranger les "têtes pensantes" de nos pays. Pour couronner le tout, entre deux séquences barbares, le film s’offre des moments de poésie surréalistes (telle la séquence "Totoro", où Kitano vient offrir un parapluie dans la forêt à une élève qu’il apprécie particulièrement), en contre-pied saisissant avec le reste de l’imagerie de Battle Royale, et pourtant tellement cohérents au sein ce monde insaisissable qu’est l’adolescence.
Sur l’ensemble du projet, Fukasaku ne se permet jamais d’être moralisateur. Il ne fait que constater un état de fait qui intrigue aujourd’hui bon nombre de sociologue, en démonter les rouages et expliciter (en les exagérant) les conséquences inévitables sur l’ "écosystème" que ces mécanismes régissent.
Pour conclure, est-il besoin de préciser que Takeshi Kitano joue comme toujours à merveille ? Pour s’en convaincre, il suffit de voir la (quasi-) fin du film, encore une fois totalement irréelle, mais tellement parfaite et cynique dans son interprétation et dans son ultime message. D’ailleurs, qui de mieux approprié que Kitano l’acteur-réalisateur-comique-écrivain-présentateur pour symboliser la dualité de Kitano, figure d’autorité extrémiste et pourtant naïve au sein de cette œuvre inimaginable ?
On ressort peut-être de Battle Royale abattu, mais, quelque part, on se sent soi-même plus fort d’avoir survécu à tout ça, même sans les armes. Et puis tout ça est tellement juste et pertinent. Du grand art, dont on va bien finir par croire que seul les Asiatiques sont capables !
