Chameli
Chameli (« fleur de jasmin ») est un film atypique de Sudhir Mishra (et Anant Balani, le premier ayant remplacé le second, décédé après une semaine de tournage). Pour commencer, il ne dure qu’1h40. Pour un film indien, il pourrait donc être qualifié de court métrage. Et pourtant ce film, qui est passé inaperçu aux yeux du public européen, en développe plus que ces longues comédies de 3 heures qui ont fait le succès de Bollywood.
Et pour cause, le sujet principal est un thème pourtant déjà bien abordé dans le cinéma indien mais qui, sous la direction de Sudhir Mishra, reprend son sens le plus noir : la prostitution. Oubliez Chandramukhi et Umrao Jaan. Oubliez les prostituées de luxe au grand cœur. Dans Chameli, le réalisateur a voulu remettre les pendules à l’heure.
Il nous fait découvrir l’univers de la prostitution à travers les yeux d’Aman Kapoor (joué par Rahul Bose, plutôt habitué au cinéma d’auteur). Un homme désabusé par son présent et hanté par son passé, qui se retrouve malgré lui à partager un hall avec une prostituée du nom de Chameli. L’homme n’a apparemment jamais fréquenté de prostituées (le film n’aurait pas d’intérêt sinon, il faut bien un innocent pour conduire le spectateur).
Le rôle de Chameli est tenu par Kareena Kapoor. Choix crucial et judicieux à mon sens. Dernière génération de la grande lignée du cinéma Kapoor, elle a déjà à son actif une douzaine de films au moment de la sortie de celui-ci. Mais le public n’est pas convaincu car, malgré son physique, les seuls rôles qu’on lui propose sont ceux de jeunes filles vulgaires, écervelées et maquillées comme des prostituées. Et voilà que cette pensée latente se matérialise dans ce rôle qu’elle incarne et tout d’un coup, une grosse claque. On remarque que c’est une actrice incroyable. Jouer la vulgarité lui donne enfin de la classe. Voyez le comble.
Alors qu’il pleut à torrents, les deux personnages se retrouvent en huis clos. Pour leur première rencontre, Chameli craque une allumette pour Aman. Le fait que se tient entre eux cette petite flamme, symbolise le début de la passion amoureuse. D’ailleurs Aman reste subjugué trop longtemps, car l’allumette se consume et Chameli se brûle les doigts. L’instant magique se brise puisqu’elle le gratifie d’une insulte. On sourit, l’image est claire : non, ce n’est pas une princesse de conte de fée.
Toute la suite du film nous fera descendre dans les noirceurs du monde de la prostitution. La police corrompue, les proxénètes, le sida, les passages à tabac… Chameli ressortira comme la plus pure de tout cet univers, car la plus sincère. Ce qui nous rappelle que la grandeur vient du cœur et non de la condition. Voilà aussi pourquoi elle attire Aman, et le spectateur avec.
Côté musique, le film est très pauvre. Une seule musique est la bienvenue, celle qui accompagne la prostituée qui sous la pluie ondule des hanches innocemment. Les autres ne seront que des musiques simili pop dans des boîtes de nuit. Pourtant, la danse et les prostituées font bon ménage en général dans ce genre d’endroit. Mais surtout pas en chorégraphie Spice Girls. Ça sonne faux et la musique nous vrille les tympans.
Cependant le scénario nous offre des surprises et des réflexions telles, qu’il nous laisse un sentiment de « sans faute ». Notamment la scène de l’Hijra [1], ami de Chameli qui vit une histoire d’amour avec un de ses clients. C’est fort car l’homosexualité n’est pas vraiment le sujet phare des films indiens. Si les Hijras sont souvent représentés, c’est en effet plutôt dans un sens comique et nullement sexuel, alors que ce devrait être le contraire.
Les deux personnages principaux s’accrochent ainsi tout le long du film l’un à l’autre. Le film est parsemé de flashbacks d’Aman, qui tentent de nous expliquer le passé de ce dernier, jusqu’au dénouement final qui nous révèle ce qu’on avait deviné depuis le début. L’important du film étant que le personnage affronte son passé ; c’est pour cela qu’il a rencontré Chameli qui, elle, affronte sa destinée avec beaucoup de grandeur, aussi noir qu’elle semble être. Ainsi Aman peut-il regarder en face sa propre tragédie et retrouver encore la force de vivre. Comme le dit Chameli, « il faut tout affronter avec un sourire ».
La libération viendra aussi pour Chameli qui affrontera son proxénète. Il ne fallait pas que Chameli ait fait tout ce chemin (en une seule nuit certes) pour continuer à subir le système. De là à en sortir…
Malgré ma méconnaissance en la matière, j’aurais trouvé le film plus réussi s’il avait commencé du point de vue de Chameli, et si c’était elle qui rencontrait Aman. Les flashbacks autour de ce dernier ne sont pas importants, puisque Rahul Bose est très convaincant et véhicule seul la sensation d’un passé inavoué. La révélation finale aurait suffi à boucler la boucle. Et le film aurait gardé son astuce.
Ensuite pour le happy end, à vous de regarder le film pour le connaître !
[1] Le terme Hijra désigne une communauté de travestis, qui pour la majorité mendient ou se prostituent ; communauté à part entière dans la société indienne, avec sa propre déesse et ses propres codes. Les Hijra sont prisés chez les hommes, même hétérosexuels, pour les services qu’ils proposent.





