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Charisma

aka Karisuma | Japon | 1999 | Un film de Kiyoshi Kurosawa | Avec Koji Yakusho, Hiroyuki Ikeuchi, Ren Osugi, Yoriko Douguchi, Jun Fubuki, Akira Otaka, Yutaka Matsushige, Sachiko Meguro

Le détective Goro Yakuibe (Koji Yakusho) apparaît comme quelqu’un de relativement acharné dans l’exécution de ses fonctions. Ainsi enchaîne-t-il les affaires sans rentrer chez lui, se contentant d’un simple coup de fil à sa famille lorsque l’un de ses collègues lui conseille de le faire. Un jour, il se voit confié la négociation d’une prise d’ôtage ; un moment d’inattention du criminel, qui lui tend une feuille de papier, lui permet de dégaîner son arme de service ; pourtant Yakuibe ne tire pas. Sur le papier, un message manuscrit : "Rétablissons les règles du monde". Yakuibe quitte la scène, laissant un député se faire tirer une balle dans la tête. Le détective revient et abat le criminel, mais c’est déjà trop tard.
Yakuibe décide alors d’aller prendre l’air, n’importe où, pendant quelques jours. Ca tombe bien puisque, rapidement, son supérieur lui annoncera que ses vacances ont été prolongées de façon illimitée. L’ex-détective, qui a refusé de tirer sur un criminel dans un désir de le sauver au même titre que son ôtage, erre dans une dense forêt. A proximité de celle-ci, après s’être fait dérober ses affaires et avoir échappé à un incendie, Yakuibe découvre un arbre mystérieux, Charisma, protégé par un jeune homme solitaire et déterminé du nom de Kiriyama (Hiroyuki Ikeuchi). Au fil de ses contacts avec une nature en lutte contre elle-même, complétés/perturbés par autant de rencontres humaines aussi complexes qu’iconoclastes, Yakuibe va devenir le "gardien" de Charisma...

Les films de Kiyoshi Kurosawa ont une force absolument unique, insaisissable et évidente à la fois. Que ce soit la violence, physique et psychologique de Cure, ou l’horreur, virtuelle et pourtant bien réelle, de Kaïro ; les deux films les plus connus en France du "petit Kurosawa" partagent cette même force hypnotique, née d’une frontière très ténue entre le cauchemar et la réalité. A la force du montage, et d’une mise en scène qui joue sur la disparition incessante de la délimitation du champ et du hors-champ, le jeune réalisateur parvient à "contaminer" le quotidien de sa narration, de telle sorte à rendre le fantastique indissociable de notre perception de la réalité. D’une certaine façon, pour résumer et reprendre le slogan de l’un des nombreux chefs-d’oeuvre de John Carpenter [1], après le passage de Kiyoshi Kurosawa, "la réalité n’est plus ce qu’elle était".

Charisma, oeuvre ouvertement conceptuelle s’il en est, parvient à la fois à s’inscrire dans, et à se démarquer de cette approche, commune aux deux cauchemars sus-cités du réalisateur. En effet, les premières scènes du film paraissent s’enchaîner de façon désordonnée, s’affranchir d’une ligne cohérente de narration, d’une unité de temps commune. La répétition de certaines scènes, la cohabitation de deux vitesses de défilement de l’image au sein d’un même plan (sur le pare-brise de la voiture au milieu de la forêt, un artifice qui reviendra à chaque étape importante du voyage de Yakuibe), l’ambiance surréaliste de l’exécution de l’ôtage, les protagonistes qui semblent naître de zones d’ombre à l’intérieur de l’image... autant d’éléments qui, rajoutés à la présence de Koji Yakusho (déjà héros de Cure) dans le rôle du détective Yakuibe, pourraient mener à croire que Charisma se présente comme une suite officieuse de Cure.
Pourtant il n’en est rien ; rapidement ces éléments qui paraissent épars et indépendants trouvent une explication, au fur et à mesure des rencontres effectuées par le personnage de Yakuibe - toutes reliées à l’arbre éponyme du film. Ainsi, si le film s’ouvre sur un fonctionnement très similaire, visuellement à celui de Cure et Kaïro, son évolution se fait sur un schéma quelque peu différent. Plutôt que de noyauter complètement notre réalité, pour priver à la fois son protagoniste et ses spectateurs de leurs repères habituels, violemment réinterprétés, le réalisateur s’amuse à s’éloigner d’une conception de la réalité pour mieux lui revenir, en l’ayant détruite et reconstruite un certain nombre de fois en cours de route. Ainsi, l’on comprend que le chemin parcouru par Yakuibe n’est pas tant celui d’une découverte que celui d’une reconnaissance, à la fois du monde et de lui-même.

Au cours de la narration, Yakuibe devient Charisma. Symbole de la Nature qui est au centre du film, le détective incarne les nombreux paradoxes qui font sa réalité.
La Nature doit-elle ou non obéir aux règles de la société, puisque l’homme tente de la maîtriser ? Quoiqu’il arrive, quelle que soit la réponse que chacun décide d’apporter à la question, la Nature reprend son droit et continue son cours (voir la petite pousse qui naît de la destruction de l’arbre mort à la fin du film). La réponse aux interrogations de Yakuibe - que les personnages qui gravitent sans cesse autour de lui tentent constamment de parasiter - est justement qu’il n’y en a pas. Quel que soit le mode de vie retenu, c’est la vie elle-même - avec la part de mort qu’elle implique - qui garde la main. Il n’y a donc ni justice ni injustice, ni bien ni mal : il existe simplement un ordre dans lequel chacun s’inscrit, la seule différence tenant au fait que l’on soit capable de s’y assumer ou non. Yakuibe, lui, décide justement d’assumer le paradoxe cyclique qu’il incarne - et qu’il incarnait déjà au début du film, au moment du choix qui allait coûter la vie à un homme politique -, et qui fait de lui l’incarnation de cette Nature par essence duale, créatrice et destructrice à la fois. Yakuibe (re)devient alors un "ecosystème moral" à lui tout seul. Sans doute est-ce pour cette raison qu’il paraît si à l’aise, la vie d’un homme entre ses mains, dans les derniers instants superbement apocalyptiques de Charisma.

Charisma est disponible dans un double DVD Zone 2 (PAL) édité en France par Arte Video, et comprenant aussi Kaïro.
Il est par ailleurs disponible en DVD Zone 2 (NTSC) au Japon, sous-titré en anglais. Si l’on en croit Kuro et Takeuchi, ce dernier (muni de 32 minutes de suppléments - making of, trailer, TV spots) est pour une fois particulièrement vilain - gardez donc précieusement votre galette tricolore, quant à elle très réussie ! ;-)

[1L’Antre de la folie (In the Mouth of Madness).

- Article paru le lundi 21 avril 2003

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