Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Chine | Festival du film asiatique de Deauville 2010

Chengdu, I Love You

aka Chengdu, wo ai ni, Guo qu wei lai, 成都,我愛你| Chine | 2009 | Un film de Cui Jian et Fruit Chan | Avec Huang Xuan, Tan Weiwei, Guo Tao, Anya Wu

Empruntant son concept à la série des « Villes d’amour » lancée par le producteur Emmanuel Benbihy [1], l’omnibus Chengdu, I Love You se veut un hommage à la ville meurtrie de la province du Sichuan [2]. Financé en partie par la ville, le projet initial comportait trois segments, illustrant chacun trois âges fictifs : passé, présent et futur. Respectivement confiés à trois cinéastes différents, dont le revenant Fruit Chan qui signe ici sa première collaboration avec la Chine continentale, le cinéaste Coréen du mélodrame amoureux Hur Jin-ho (April Snow, One Fine Spring Day, Christmas in August), sans oublier l’icône du rock indé chinois Cui Jian pour ses débuts cinématographiques ; l’œuvre s’est retrouvée amputée de son segment central lorsque le producteur Chen Weiming, flairant bon l’impact commercial d’une romance délicate, décide en cours de chemin de le convertir en long-métrage, pour une sortie en salle plus médiatique et profitable sous le titre de A Good Rain Knows (2009).

C’est donc amputé d’une perspective temporelle essentielle (le présent) que Chengdu, I love you connut sa première mondiale, en clôture de la dernière Biennale de Venise, repris cette année dans une exécrable copie vidéo par le Festival du Film Asiatique de Deauville - il n’y a pas de petites économies - faisant cette année la part belle à la Chine, entre films de propagande et hommages consciencieux (Lou Ye et Lu Chuan). Film hanté par la mémoire de la catastrophe humaine, parcouru par deux histoires d’amour dissonantes, l’œuvre s’avère au final d’un intérêt proportionnel à l’expérience respective de leurs auteurs.

La rencontre des deux protagonistes de 2029 de Cui Jian se produit lors d’une performance musicale. Une battucada aux accents hippie bohème, dont l’ambiance se révèle discordante vis à vis du contexte futuriste du métrage. Qu’importe, se dit de toute évidence le cinéaste en herbe assumant sa vision disparate et creuse, celle-ci traduit la dimension musicale et physique insufflée par la rock star à son métrage. Une dimension corporelle qui trouve son prolongement dans la pratique des arts martiaux par le jeune héros (Huang Xuan). Récit de désirs contradictoires qui s’entrechoquent de façon simpliste, entre haine et désir de pardon, 2029 met aux prises Lin Miao (Tan Weiwei), jeune danseuse percussionniste jadis enfant rescapée du séisme, qui recherche autant le jeune garçon qui l’a sauvée des décombres il y a plus de vingt ans, que l’homme responsable de la blessure récente de son cousin lors d’une altercation au sortir d’une boite de nuit. Le dilemme se noue rapidement, lorsqu’elle découvre que c’est une seule et même personne.

Dans sa volonté de concilier la thématique amoureuse individuelle tout autant que l’hommage collectif rendu aux disparus du cataclysme, Cui Jian s’empêtre dans la platitude narrative d’un récit tarabiscoté, dont le simplisme et le caractère hétéroclite n’ont d’égal que son improbabilité, bien que toute symbolique. A l’image de son flash-back poussif recréant le souvenir du sauvetage de la jeune fille dans les ruines et les décombres de la ville, la figuration plate du traumatisme collectif, autant que le tourment individuel des personnages, ne convainquent guère. D’un côté comme de l’autre la lourdeur des métaphores englue le récit, ne parvenant jamais à impliquer son spectateur. La passion l’emporte pourtant dans un final d’une rare ingénuité, flattant naïvement la mémoire des disparus autant que les bons sentiments du public.

Si 2029 traduit la pauvreté d’un langage cinématographique s’en remettant à de banals effets numériques suggérant un futurisme “Matrixien” éculé à base de réalité augmentée (le portable 3D ou la console DJ), 1976, le segment de Fruit Chan, démontre en revanche une grâce plus majestueuse dans la mise en scène en esquisse poétique de cette rencontre improbable entre une jeune serveuse d’une maison de thé, interprétée par la délicieuse Anya Wu (Naked Weapon), et un fou extravagant (Guo Tao) maîtrisant l’art de manipuler les théières à long bec. D’une évocation futuriste ,on passe alors à un portrait nostalgique d’une Chine aux prises avec la révolution culturelle. Si le Sichuan, région abritant la ville de Chengdu, est plus connu pour ses pandas ou son opéra typique à base de “changement de visages” [3], ses maisons de thé et leur ambiance décontractée et conviviale en sont une des richesses culturelles essentielles. Recréant les décors pittoresques d’une maison traditionnelle, mêlant imagerie maoïste ornant les murs et traditions ancestrales dans la manipulation des théières, filmées tantôt comme des séquences de kung-fu, Fruit Chan décrit avec malice et non sans humour et ironie la perpétuation d’une tradition allant à l’encontre de la doctrine dominante et répressive. La figure du fou incarnant autant la fantaisie de son auteur que la satire politique d’une époque des plus funestes pour l’expression artistique.

Fruit Chan démontre par son sens de la suggestion, la passion amoureuse qui se cristallise entre le maître et l’élève autour du maniement de la théière, dont les séquences semblables à des ballets chorégraphiques sont brillamment mises en mouvement, tantôt au travers de surcadrages esthétisants (l’ouverture d’un vieux mur décati). Si la fragilité de l’amour se heurte au contexte politique tout autant qu’au traumatisme du tremblement de terre, celui de Tangshan [4], le réalisateur manifeste une certaine retenue inhabituelle dans le traitement de la thématique politique, privilégiant ici la romance, bien que tragique, au risque d’appuyer là où ça fait mal, et heurter les sensibilités toujours sourcilleuses des autorités. Ainsi son esquisse critique - à travers l’opposition entre le fou et le peuple, ou le motif de la dénonciation - fait pâle figure aux côtés d’œuvres majeures telles que Made in Hong Kong (1997) ou The Longest Summer (1998) et leur point de vue tranché vis à vis de la rétrocession.

Si d’un film à l’autre le spectre d’une mémoire douloureuse plane sur les destinées des deux couples protagonistes, leur articulation se révèle de façon contraire d’un segment à l’autre. Avec maladresse chez Cui Jian et plus subtilement chez l’expérimenté Fruit Chan. L’un comme l’autre recyclent la mémoire du peuple et de la catastrophe pour en extraire avec plus ou moins de réussite matière à émotions. Mais ces émotions cohabitent de façon trop chaotique pour convaincre réellement de la probité artistique des intentions d’un tel projet, davantage enclin à la promotion touristique de la ville martyr qu’à l’affirmation d’un quelconque discours cinématographique.

On remarque pourtant une certaine analogie entre les deux segments, qui s’accordent à travers le mouvement et l’espace (les arts martiaux, l’art du maniement de la théière), épousant le cadre et déplaçant les corps en rythme, restituant ainsi une cinématographie, certes vaine mais visuellement plaisante et divertissante, à ces peinture amoureuses convenues. Du sentimentalisme d’un rocker à l’impertinence satirique d’un auteur injustement privé de son art depuis Dumplings (2004), Chengdu, I Love You aurait sûrement gagné en équilibre à reposer sur sa béquille Coréenne. Mais il s’avère au final trop inconsistant pour ne susciter un intérêt autre qu’anecdotique. Pour une évocation moins complaisante de la ville, on lui préfèrera 24 City de Jia Zhang-Ke et son incantation brillante et ambitieuse de la mémoire collective de ses habitants au cours du temps.

Chengdu, I Love You a été présenté dans la section Panorama au cours de la 12ème édition du Festival du film asiatique de Deauville (2010).

[1Série de films omnibus autour du thème de l’amour au cœur des grandes métropoles, dont deux opus ont déjà vu le jour : Paris, je t’aime (2006) et New York, I Love You (2009).

[2La ville de Chengdu fut dévastée par un séisme de magnitude 7,9 sur l’échelle de Richter le 12 mai 2008. Les autorités retrouveront 87 149 personnes mortes dans le tremblement de terre qui fit près de 380 000 blessés.

[3Art mystérieux datant de la dynastie Qin également appelé art du Biànlian. Voir le superbe Le roi des masques (1996) Wu Tianming.

[4Le séisme de Tangshan date du 28 juillet 1976. C’est l’un des tremblements de terre les plus meurtriers de l’histoire chinoise qui a tué selon certaines estimations près de 655 000 personnes.

- Article paru le jeudi 18 mars 2010

signé Dimitri Ianni

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