Citizen Toxie : The Toxic Avenger Part 4
Un beau matin, vous décidez de lancer un énième site internet autour du cinéma ; ce n’est pas le premier mais cette fois c’est du sérieux : il ne s’agit pas de l’ouvrir, de l’alimenter avec deux-trois articles tous les deux mois, et de le laisser mourir sur la toile parce que vous avez perdu les codes ftp de votre hébergement gratuit chez free ou consorts. Non, cette fois vous allez faire un vrai site, un qui va tenter d’apporter quelque chose, sur le cinéma coréen par exemple - histoire de délimiter un cadre et de définir une charge acceptable de travail. En même temps, difficile de se restreindre à un seul pays asiatique, et puis vos amis sont plutôt calés en cinéma HK et japonais, autant travailler avec eux sur un projet plus gros, non ?
Bon, maintenant le site tourne bien, les articles tombent régulièrement, et pourtant il manque un petit quelque chose, une tribune libre pour s’exprimer sur le cinéma qui ne rentre pas dans le cadre du projet initial, c’est plus fort que vous. Alors le site principal se voit augmenté d’une extension conséquente, dans laquelle s’exprimera une passion pour un certain cinéma, parfois grand public, principalement dégénéré. Là aussi les articles s’enchaînent, et pourtant il manque toujours quelque chose, des sujets non abordés ; difficile de mettre le doigt dessus tant que l’occasion de combler une lacune se présente de façon explicite, en attendant la suivante.
Pour appuyer cette théorie, prenons (au hasard, bien sûr) l’exemple de Sancho does Asia, qui s’est retrouvé affublé de façon opportuniste de la présente extension, Sancho goes Mondo [1], très orientée horreur et exploitation. Un univers libre pronant le fétichisme et la subjectivité comme mode d’expression caractéristique. On tente bien de se restreindre, de travailler sur le cinéma asiatique en grande majorité, mais comment oublier des films comme Six String Samurai ou Razor Blade Smile ? L’entreprise est à double tranchant : difficile en effet de garantir la valeur de nos articles sur SdA quand traînent à proximité des déclarations d’amour à Showgirls et Renny Harlin. Certains seraient certainement tentés de dire que nous sommes les architectes de notre propre destruction, qu’il ne tient qu’à nous de limiter notre enthousiasme, refouler notre intégrité, pour garantir la fidélité objective d’un lectorat exigeant. C’est vrai, je suis d’accord, et pourtant un nouveau pas est sur le point d’être franchi dans cette entreprise consciente de sabordage. Car l’heure est venue de combler l’une des fameuses lacunes mentionnées dans le premier paragraphe. L’heure est venue de rendre hommage à Lloyd Kaufman, et à la Troma.
Au début des années soixante-dix, Lloyd Kaufmann et Michael Herz, deux amis fraîchement sortis de Yale (si, si, je vous assure !!!) ont fondé la Troma. A l’époque, l’activité du studio se limitait à produire des films aux budgets plus que serrés, principalement des nudies pour adolescents attardés (il faut savoir que Kevin Costner a fait ses débuts dans l’un de ces films, Sizzle Beach, USA). Maintenant au fil des ans sa politique budgétaire, la Troma s’est volontairement spécialisée dans une branche malheureusement trop peu développée du cinéma : le Z haut-de-gamme. Généralement axés sur le fantastico-débilo-horrifique teinté d’érotisme sans poils ou presque (une règle toujours valable aujourd’hui), les films de la Troma ont acquis, depuis plus de 25 ans déjà, une réputation solide chez les spécialistes "bisseux", avec la série des Toxic Avenger, la trilogie des Class of Nuke’em High (dont le premier opus est sorti chez nous sous le titre Atomic College), Sgt Kabukiman NYPD, Tromeo & Juliet, Terror Firmer... Tous ces titres étonnants développent une cinématographie haute en couleur, en sexe et en hémoglobine, avec pour principal objectif d’emmerder le plus grand nombre possible de gens obtus, de ne respecter que quelques valeurs fondamentales, et de satisfaire le maximum de plaisirs coupables avec un minimum de moyens.
Pour ce faire, Lloyd et ses amis créent des univers auto-référentiels scatos et vulgaires, peuplés de Tromettes décadentes et merveilleuses, de super-héros improbables et de guest-stars hénaurmes de la contre-culture et de la pornographie. Car pour pousser le mauvais goût dans ses derniers retranchements, il faut savoir s’entourer des personnalités adéquates, et c’est sans doute là que réside le plus grand talent de Lloyd Kaufman, réalisateur volontairement bridé qui se plait à contraindre son intelligence difforme à l’indépendance la plus complète. On pourrait revenir sur de nombreux films sortis des étagères de la Troma, des premiers pas des créateurs de South Park (Cannibal the Musical) à la relecture du Romeo et Juliette de Shakespeare. Mais la salle Ciné Alternative nous a offert, le 31 octobre dernier, une merveilleuse opportunité de rattrapage avec la diffusion de Citizen Toxie - soit le quatrième opus du super héros difforme du New Jersey - qui constitue d’ailleurs l’objet de cet article.
Je pense que s’il y a bien un personnage de la Troma dont le nom s’est répandu jusqu’aux oreilles de nombreux spectateurs mainstream, c’est celui de Melvin Junko aka Toxie aka The Toxic Avenger. Le prégénérique de Citizen Toxie a le bon goût de nous remémorer la naissance du super-héros à la serpillère, en reprenant la chute du jeune Melvin dans le baril de déchets toxiques qui a entraîné sa transormation, dans le premier épisode de la série (qui remonte tout de même à 1985). Deux suites plus tard - dont le narrateur (Stan Lee, carrément !) nous prie de pardonner la médocrité - voici enfin arriver la véritable suite de The Toxic Avenger avec ce quatrième opus, sommet de la débauche Troma sous toutes ses formes.
Comme toutes les aventures du Vengeur Toxique, Citizen Toxie démarre dans les rues de Tromaville ("Toxic Capital of the World") : un endroit merveilleux où les gens sont libres de chanter, danser et faire tout ce qu’ils veulent de joli depuis que Toxie assure leur protection (cf. intro de The Toxic Avenger, Part 2), surtout en ce jour non moins merveilleux de "Bring a Mexican to Lunch Day". Une journée de fête en l’honneur des "voisins du dessous", dignement célébrée dans les murs de l’école d’enfants "spéciaux" de Tromaville - jusqu’au moment où les membres de la "Diaper Mafia" (la mafia en couches-culottes) prennent la classe de Ms Weiner (Debbie Rochon) en ôtage. Les jeunes handicapés mentaux se voient contraints de lacher leurs tacos et autres fajitas pour satisfaire aux exigeances des terroristes : d’aucuns se font violer par des femmes hystériques pendant que d’autres, moins chanceux, sont éliminés à bout portant. Pendant ce temps-là, Debbie Rochon, enceinte jusqu’aux dents, s’apprête à devenir une "piñata" humaine... à moins que la police n’envoie la présentatrice de "Bikini TV" (comme souvent, tout est dans le concept) pour filmer les déclarations de Tex Diaper, chef de la bande armée. Heureusement, la présentatrice en question n’est autre que Toxie bien déguisé, et son caméraman son fidèle sidekick "Lardass" (Joe Fleishaker). La bagarre est rude et se solde par une explosion inévitable, après un compte à rebours mythique. Lorsque Toxie sort du bâtiment en flammes avec les quelques débiles encore vivants, il n’est pas accueilli en héros mais se fait tirer dessus par les forces de l’ordre ! Et oui, car l’explosion a eu lieu de façon parfaitement synchronisée à Amortville, version négative de Tromaville dans un univers parallèle, provoquant une déchirure d’un certain espace-temps. Toxie se retrouve donc projeté dans un monde plombé par le crime et la violence, pendant que son double maléfique, Noxie plonge Tromaville dans un règne de terreur...
Même pour un fan rodé aux productions Troma comme moi, difficile de ne pas être abasourdi par l’ampleur de Citizen Toxie. Autant vous dire qu’en salles - et en large en plus ! - le choc est encore plus énorme. Jamais on n’a vu autant de têtes éclatés, d’handicapés, d’enfants et de vieilles dames maltraités, de merde, de viscères, d’allusions hétéro et homosexuelles utra-subtiles, de blasphème et j’en passe, et ce en moins de deux heures !
Mais avant d’être un monument de mauvais goût, Citizen Toxie est surtout un véritable film de super-héros, dans la plus pure tradition des comics américain. Quelque part, le film est un peu l’équivalent des énormes réécritures d’univers qui secouent à intervalles réguliers les maisons d’éditions tel que Marvel et DC Comics - une espèce de Zero Hour, de Earth X de la mythologie Troma. L’exemple de Zero Hour n’est pas anodin, car on retrouve dans Citizen Toxie une collision d’univers qui amène Toxie à affronter les versions maléfiques de ses amis super-héros, comme le Sergent Kabukiman, NYPD. Au cours de cette collision, de nombreuses figures de la Troma sont rayées de la carte, comme le Mad Cowboy (déjà présent dans Terror Firmer), ou même le sidekick de Toxie, Lardass : on rentre alors dans des chamboulements mythiques d’une ampleur comparable à celui de A Lonely Place of Dying (incroyable mise en scène de la mort du second Robin - de Batman et Robin - par Marv Wolfman et George Perez). Comment ça je pousse un peu ? Je vous assure que non. Car derrière ses allures de film Z, Citizen Toxie - comme tous les films de Lloyd Kaufman - est un délire ultra-travaillé, riche en références en tout genre ; à commencer par celle, explicite, au Magicien d’Oz. On en profite au passage pour applaudir la fabuleuse prestation du nouveau venu Michael Budinger dans le rôle de Tito (et non Toto), le "Retarded Rebel"...
Dans le rayon des références d’ailleurs, Lloyd Kaufman tape vraiment de partout... La plus explicite est sans doute celle à l’Episode I de Star Wars, avec le combat final opposant Toxie à un Noxie équipé d’une "double serpillière", musique et bruitages à l’appui ! Au rayon des moins explicites, il suffit de signaler que ça va quand même jusqu’à l’hommage à une scène coupée de Fight Club (dont on sait que Lloyd est un très grand fan depuis la sortie du double DVD de Terror Firmer), avec la réhabilitation de l’immonde "I wanna have your abortion" par le double de Claire (la petite amie de Toxie), réduite à l’état d’esclave sexuel par le mutant racaille, Noxie.
Pour le reste, Citizen Toxie est un défilé non-stop de cameos de luxe, pour quiconque traine ses mirettes dans l’underground cinématographique ricain : l’inévitable Ron Jeremy (l’acteur porno le plus prolifique au monde - sa filmo sur IMDB, bien que certainement incomplète, compte à ce jour 732 films !!!) dans le rôle du Maire de Tromaville, Lenny de Motorhead dans le rôle de... Lenny tout simplement, Julie Strain en train de se taper... son mari, Kevin Eastman en personne !, Tiffany Sheppis en danseuse exotique, Corey Feldman (The Goonies, The Lost Boys, Stand By Me) dans le rôle d’un gynéco chef-d’œuvre, sans parler du martyre de Terror Firmer, le vénéré Yaniv Sharon... Un véritable gavage de figures mythiques du mauvais goût et de l’anti-puritanisme, complété notamment par l’intervention de Dieu sous la forme d’un nain du nom de "Hank the Angry Drunken Dwarf", mais aussi par le retour du véritable Melvin Junko, et l’utilisation toujours délirante de la seule cascade en voiture jamais filmée par les équipes de la Troma et replacée dans tous leurs films. Et que dire de cette utilisation toujours pertinente des bruitages, qui permettent à Lloyd de pervertir chaque image au-delà de son intention intiale : un régal, tout simplement ! Quelle finesse !
Je pourrais continuer encore longtemps à vous vanter les mérites de ce troisième chef-d’œuvre consécutif de Lloyd Kaufman après Tromeo & Juliet et Terror Firmer, vous mentionner la plus grande séquence en split screen de tous les temps (poussant le concept du multi-angle à son paroxysme en filmant le même personnage de quatre points de vues différents, tous présents à l’écran), m’épancher sur les combats dantesques qui opposent un Toxie plus poseur que jamais à des hordes de nazis, faire les louanges de Heidi Sjursen qui a enfin su donner une véritable dimension au personnage de Claire, jouir en repensant au combat intra-utérus qui oppose le bébé de Toxie à celui de Noxie et j’en passe ! Mais j’aurais peur de vous emmener au bord de l’indigestion ; aussi je préfère vous donner rendez-vous au moins de mars, date de la sortie tant attendue de ce mets délicat, film incroyablement repoussant, fascinant et, soyons clair : ULTRA BUENO en DVD. Toxie rules !!!
D’ici mars 2003 en DVD...
[1] Ancien nom de la rubrique "Hors-Asie"









