Dai-Nipponjin
Bigger scale, bigger problems.
Masaru Daisato vit dans une maison simple pour ne pas dire délabrée, dont les murs comme l’enceinte extérieure se recouvrent progressivement d’insultes. Pourtant cet homme semble bien banal, avec ses problèmes conjugaux et paternels – il est séparé de sa femme qui vit avec sa fille de 10 ans -, ses soucis de famille – son grand père malade fait des siennes dans sa maison de retraite – et autres préoccupations quotidiennes. Mais Daisato san voyez-vous, n’est pas un japonais comme les autres : il représente la sixième génération de « grands japonais », une lignée dont les membres sont capables de se transformer en géants pour combattre les kaiju qui, spontanément, terrorisent la capitale. Seulement le héros, timide, affublé d’un slip bleu et d’un bâton de taito, est en disgrâce auprès de la population, qui en a assez des dégâts, gènes et embarras occasionnés par ses combats maladroits. Du coup, l’audience de l’émission de télé réalité qui diffuse ses exploits ne cesse de baisser, et les sponsors sont de plus en plus durs à convaincre.
Hitoshi Matsumoto vous invite, dans son premier long-métrage, à découvrir les réflexions, plaintes et contentieux de ce héros iconoclaste, nostalgique et pince sans rire. L’auteur-réalisateur-interprète, s’il débute sur grand écran, règne sur le petit depuis plus vingt ans en tant que moitié du duo owarai [1] Downtown. Ses talents d’humoriste populaire s’expriment ici en douceur, dans une retenue saisissante, véhiculée par l’artifice remarquable qui construit la réalité improbable de Dai-Nipponjin : le faux documentaire.
Le film est en effet construit autour d’une longue interview de Daisato, complétée d’entrevues avec ses proches et collaborateurs, entrecoupée d’affrontements à l’échelle de géants. Daisato / Matsumoto occupe seul l’écran au cours de la longue introduction, et l’on s’installe dans son quotidien avec aisance, détectant dans son image, son environnement et les questions de l’intervieweur une irrégularité implicite : pourquoi cet homme fait-il l’objet d’un documentaire ? Pourquoi jette-t-on des pierres sur ses fenêtres ? Pourquoi reste-t-il impassible ? Quel est donc ce mystérieux travail qui le nourrit à peine ? Calme et posé, inhabituel dans sa banalité soulignée, Daisato affectionne les choses qui sont capables de changer d’échelle – son parapluie, des graines alimentaires – à la demande. Et l’on ne tarde pas à comprendre que ces affections lui ressemblent.
Les combats de Dai-Nipponjin ne tranchent pas vraiment avec le ton décalé des témoignages qui portent le film ; même s’ils sont mis en scène avec force musique et cartons de présentation des aptitudes des adversaires de notre héros, ils sont emplis du même humour tranquille, de simples jeux de tons (l’échange d’invectives avec le géant malodorant) ou de circonstances (le lâcher meurtrier d’un bébé kaiju, qui fait scandale), et bien évidemment de représentation. Ainsi croise-t-on Riki Takeuchi, ou plutôt sa tête, au bout d’un simple pied, un monstre hérité d’Evangelion doté d’une mèche rebelle, et autre créature capable de projeter son œil, appendice phallique qu’il manipule avec besogne et dextérité, sur Daisato.
Si ces scènes, réalisées en synthèse pour la plupart, constituent l’un des atouts du film, elles gagnent en consistance grâce aux réflexions du héros de croissance, persuadé de représenter la justice, qui se plaint de l’attitude de ses ennemis et regrette la noblesse des kaijus du temps de son grand-père. Dans ce portrait singulier qui n’est finalement que celui d’un japonais plus grand que les autres, Hitoshi Matsumoto aborde l’air de rien de véritables problématiques sociales : l’insertion et la différence, l’éclatement de la famille, les problèmes de filiation, l’honneur et le respect, la perte des traditions, la volatilité des modes et autres relations diplomatiques tendues avec la Corée et les Etats-Unis.
Ce dernier point, appendice en forme de conclusion presque hors-sujet, donne corps à la confrontation la plus remarquable du film : les Américains, sortes d’Ultraman brutaux, viennent à bout d’un Coréen que Daisato refuse d’affronter. Les CGI ne sont plus de la partie et laissent place à des costumes volontairement simplistes. La violence est tout aussi primaire, filmée sans apparat, et renvoie aux bases du comique cognitif. Notre rire, jusqu’alors contenu dans un authentique plaisir de spectateur, éclate et se prolonge, libéré avec inertie et talent, bien au-delà de la projection. Dai-Nipponjin est beau, drôle, pertinent et touchant, sans jamais oublier d’être respectueux, nostalgique et original ; un coup d’essai qui porte les traces d’une maîtrise, d’analyse et de caricature, travaillée pendant des années, libérée dans un coup de maître fulgurant de simplicité et d’humilité.
Dai-Nipponjin est disponible en DVD au Japon, sans sous-titres, ainsi qu’en VCD et DVD HK (tous deux sous-titrés en anglais).
[1] Appellation générique du comique télévisuel au Japon, empruntant au stand up et autres manzai.





