Dance, Subaru !
La passion de Subaru pour le ballet n’a rien de nouveau : petite déjà, quand son frère jumeau Kazuma était encore en vie, et quand la grâce des mouvements de la jeune enthousiaste autour de son lit d’hôpital aidait à atténuer la souffrance cancéreuse du petit garçon, les deux enfants rêvaient de rejoindre le cours de la mère de Mana, en dépit du refus de leur père, incapable de voir un quelconque intérêt dans ce rêve pourtant soutenu par sa défunte épouse. Aujourd’hui, Subaru paye ses leçons en dansant dans le refuge d’Isuzu Hibino ; cabaret baptisé le Palais Garnier dont la fréquentation s’accommode difficilement de l’esthétique trop habillée des prestations scéniques de l’adolescente. Au contact de Kohei et de Park Rizu, jeune coréenne-américaine dont Subaru ignore les compétences reconnues, Subaru s’ouvre aux danses de rue et contemporaines, et se laisse convaincre de quitter sa scène anonyme pour rejoindre une compétition internationale. Une épreuve au cours de laquelle elle devra ménager rivalités, amitiés, et son aptitude à danser comme aux frontières de la mort, abandonnée dans sa passion quelque peu dénuée de théorie...
Sans connaître le matériau d’origine, il apparaît rapidement évident que Dance, Subaru ! est l’adaptation d’un manga pour jeunes filles [1] ; pas seulement dans sa narration chapitrée, somme de récits courts aux enjeux propres qui ne perdent jamais de vue une histoire globale, mais aussi dans sa gestion des non-dits relationnels, des historicités de ses héroïnes, et ses élans graduels d’accomplissement, artistique et personnel. Aux commandes de cette adaptation pour le moins pan-asiatique – la production réunit le Japon, la Chine, la Corée du Sud, Hong Kong et Singapour autour du parcours de Meisa Kuroki et de sa rivale Ara – Chi-ngai Lee, réalisateur et scénariste hongkongais talentueux à qui l’on doit des perles de l’acabit de Tom, Dick and Hairy et Lost and Found, trouve un juste milieu, pourtant plus typiquement japonais, entre mercantilisme opportuniste, mélodrame et parcours initiatique, s’appuyant sur le talent pluriel de sa jeune actrice, danseuse et reine du R’n’B nippon dans la vraie vie.
Si l’on excepte son premier chapitre, récit délicat et juste du traumatisme infantile qu’incarne le décès de Kazuma, alors même que Subaru s’abandonne pour la première fois à son talent devant la jalousie, naissante et paradoxalement admirative, de Mana dans les couloirs de l’hôpital, Dance, Subaru ! repose tout entier sur les épaules pas si frêles de Meisa Kuroki. L’actrice, quelque peu délaissée dans les deux Crows de Takashi Miike, trouve ici un rôle à la hauteur de sa présence cinématographique, contradiction constante de fragilité et d’assurance, de timidité et d’insolence, de générosité et de froideur. Chi-ngai Lee cadre avec simplicité les changements de son visage, et sa beauté tour à tour quelconque et surprenante, exploite ses multiples talents ; et lui offre même habilement un espace approprié à sa célébrité hors-champ dans une battle de danseurs urbains. Si bien que rapidement, on est convaincu du potentiel du personnage, autant qu’on ressent les difficultés humaines du chemin qu’elle a choisi, aidés par la retenue faussement méchante d’une Kaori Momoi comme toujours remarquable, dont les réactions anticipent, à la force d’une vie vécue, les écueils et obstacles.
La réalisation découle naturellement de cette fascination, justifiée, pour une jeune femme en plein don d’elle-même, et les scènes de danse, nombreuses, évitent une sur-stylisation pour donner de l’authenticité à cet épanouissement recréé, que l’on pourrait imaginer biographique si l’on ne connaissait les rouages de l’idol system nippon. Certes, Chi-ngai Lee tombe dans l’écueil de quelques ellipses propres à l’adaptation d’une série graphique, mais son film s’articule remarquablement autour de quelques déclics, drames prévisibles et trahisons de rigueur ; sans jamais perdre de vue une notion de compétition saine qui n’est pas sans rappeler le message superbe du Ping Pong de Fumihiko Sori. Ainsi Rizu, dans ses manipulations formatrices, essaye-t-elle simplement de se créer une adversaire à sa hauteur, inversion des mécanismes des comics où le nemesis répond à l’existence du super héros : Rizu, elle, se cherche une héroïne.
Optimiste et généreux, Dance, Subaru ! est de ces réussites rares, à l’image du Give it All de Itsumichi Isomura, qui dépeignent la naissance d’une femme au travers d’une aptitude exceptionnelle, à s’outrepasser pour mieux offrir l’émotion. Jamais niais ni mièvre, ce parcours sans prétention polit une facette moins streetwise et racoleuse d’une Meisa Kuroki apte à émouvoir, séduire, et transporter dans un positivisme décidément bienvenu, étonnamment honnête et authentique.
Dance, Subaru ! est disponible en DVD HK, sous-titré anglais.
[1] Paru sous le titre Subaru, danse vers les étoiles ! aux éditions Delcourt dans l’hexagone.






