Dernier caprice
Film sur un Japon en proie à de profondes transformations économiques et sociales au début des années 60, Dernier caprice met à mal l’image réductrice d’un Ozu conservateur.
Manbei Kohayagawa est le propriétaire d’une brasserie de saké en difficulté. Veuf, le vieil homme est entouré de ses trois filles : l’aînée, Akiko, veuve et mère d’un petit garçon, qu’il souhaite remarier ; la cadette, Fumiko, dont l’époux gère l’entreprise familiale ; et la benjamine, Noriko, qui est désormais en âge de se marier. Depuis peu, Manbei rend fréquemment visite à une ancienne maîtresse, qu’il a revue par hasard. La fille de celle-ci fréquente des Américains et prétend être la fille de Manbei.
Dernière caprice s’ouvre sur une nature morte à la mode Ozu où les enseignes au néon ont remplacé les lampes japonaises. L’une d’entre elles annonce clairement la couleur : New Japan. Le cinéaste met en scène la fin du Japon de papa : Manbei va disparaître et laisser la place à la nouvelle génération, qui souhaite vivre différemment.
Le cinéma ne reste pas à l’écart de l’évolution de la société. La nouvelle vague japonaise commence à prendre son essor. Contes cruels de la jeunesse de Nagisa Oshima sort un an avant Dernier caprice. Changement également pour Ozu, qui pour son avant-dernier film fait une infidélité à la Shōchiku, où il a effectué toute sa carrière. Il le réalise pour la Toho, studio pour lequel il a déjà tourné Les Sœurs Munakata en 1950. Yasujirō Ozu décède deux ans plus tard après la réalisation d’une ultime œuvre, Le Goût du saké.
La traduction littérale du titre original, L’Automne de la famille Kohayagawa, correspond mieux aux thèmes du film. Il suggère une idée de transition et n’est plus centré sur une seule personne, mais sur la famille, qui par extension représente la société.
La santé financière de la brasserie familiale de saké est précaire car elle souffre de la concurrence des grandes entreprises. Une autre petite brasserie vient d’ailleurs d’être rachetée par un compétiteur plus important, mais Manbei ne souhaite pas céder son affaire. Le cinéaste japonais inscrit Dernier caprice dans le cadre de la modernisation du pays au niveau social, mais aussi économique. Stupéfaction d’entendre de la bouche de Setsuko Hara que le grand capital l’emporte toujours. (Ozu, marxiste !!!)
Ce cinquième film en couleur du maître est celui où l’américanisation/modernisation du Japon est la plus présente. La palette des images où les tons vert, gris, et marron prédominent est rehaussée par une touche de couleur rouge : étiquette Coca-Cola, bouteille de bière Kirin Ichiban. Si les enseignes au néon dominent la ville, l’ancienne maîtresse de Manbei vit dans le dédale des rues du vieux Kyoto,
Ce labyrinthe est lieu d’une séquence amusante où un des employés de la brasserie est chargé de le suivre pour savoir chez qui il va. Autre choc entre tradition et modernité : un immeuble de bureau et un château fort partage un même plan.
Le cinéaste associe les femmes à la modernité. Le mariage des deux sœurs les plus âgés ont été arrangés. La cadette Fumiko est marié au gérant de la brasserie et n’hésite pas à critiquer vertement les retrouvailles de son père avec son ancien flirt qu’elle juge déplacées. Sa sœur aînée, Akiko, est veuve et résiste à la proposition de son oncle de se remarier. Elle pose même un lapin à ce dernier venu en compagnie du prétendant, qui déçu verse sa bile. Il se ridiculise et donne a posteriori raison à Akiko de ne pas s’être déplacée.
Akiko a regagné sa liberté et n’a pas l’intention de la perdre. La troisième sœur appartient à la nouvelle génération : elle porte exclusivement des vêtements occidentaux et se mariera avec l’homme dont elle est amoureuse. Même si sa décision peut se faire au détriment des intérêts de la famille. Ce tableau de la condition féminine est complété par la fille de l’ancienne amante du patriarche, qui est la plus occidentalisée et la plus matérialiste. Faire de Manbei son père est surtout le moyen d’obtenir l’étole en vison qu’elle convoite.
Ce plus grand individualisme a pour but la recherche d’un plus grand bonheur personnel. En même temps, le cinéaste met une pierre dans le jardin de la famille traditionnelle. Manbei décède au domicile de son ancienne maîtresse.
Ozu laisse l’honneur à son acteur fétiche, Chishū Ryū, qui apparaît à la fin du film dans le rôle d’un paysan apercevant la fumée de la cheminée du crématorium où Manbei a été incinéré, tirer la morale du film. Le changement, la vie, la mort font partie intégrante de la vie.
Dernier Caprice est compris dans un coffret Blu-Ray édité par Carlotta Films en compagnie de 5 autres films d’Ozu : Les Sœurs Munakata, Récit d’un propriétaire, Femmes et voyous, et Il était un père.




