Doomsday
Eighties to the (hard)core.
2008. L’Ecosse est ravagée par le Reaper Virus (« virus de la faucheuse »). Incapable de contenir l’épidémie, le pays se voit isolé par les autorités britanniques, par un mur dressé à la frontière avec l’Angleterre. Les côtes sont surveillées et l’espace aérien interdit. Au cours de l’évacuation des forces de l’ordre, la jeune Eden perd un œil et sa mère ; celle-ci confie en effet la petite fille au dernier bataillon de soldats à s’échapper par hélicoptère. Des propres mots du narrateur, le pays appartient désormais à l’histoire, ses habitants à l’oubli.
2035. Eden Sinclair, major de son état, l’une des figures de proue du Department of Domestic Security, s’accroche à l’adresse de sa mère dont elle a oublié le visage, vestige de l’existence de Glasgow. Lors d’une descente de routine dans les ghettos de Londres, ses collègues trouvent un charnier de victimes du virus supposé disparu. L’alerte est donnée ; avant de condamner Londres et ses habitants, le Premier Ministre et son infâme second, Canaris, abattent une carte honteuse. Depuis trois ans, les satellites braqués sur Glasgow ont repéré des traces de vie : l’épidémie du Reaper aurait donc fini par être enrayée... Sinclair est dépêchée sur place avec une équipe de soldats et de scientifiques, pour retrouver la trace du Dr Kane, candidat probable à la découverte d’un remède à même de sauver l’Angleterre...
Il aura suffit de deux films au réalisateur anglais Neil Marshall pour s’imposer comme l’un des piliers du cinéma fantastique contemporain. Un seul même ; car si Dog Soldiers a été unanimement reconnu comme une réussite hautement agréable, c’est The Descent qui a été qualifié, d’un accord quasi-universel rare ces dernières décennies, comme un véritable chef-d’œuvre de l’horreur, claustrophobe et barbare, au féminin. Sorti discrètement sur nos écrans il y a quelques mois après son échec au box-office américain, Doomsday est loin d’avoir bénéficié des mêmes faveurs critiques que son prédécesseur. Ambitieux et jouissif, il s’agit pourtant du prolongement logique de la filmographie de son auteur, plus hybride et référentiel que jamais, toujours féminin, foncièrement barbare, globalement exceptionnel. C’est dit.
Les films de Marshall à ce jour, sont des entités hybrides sans jamais être schizophrènes. Ainsi Dog Soldiers revisite-t-il le mythe du loup-garou à la lumière de l’actionner guerrier, Southern Comfort lycanthrope ; The Descent quant à lui, comble les lacunes narratives de The Thirteenth Warrior – cf article dans ces pages – dans un survival tour à tour humain, fantastique, et enfin fantastiquement humain. Nombreux sont ceux à ne voir dans la palette de barbaries – et non de barbarismes textuels – de Doomsday, un patchwork inconséquent ; pourtant l’univers pluriel du film est culturellement cohérent, tout à l’image de la beauté changeante de sa magnifique interprète, Rhona Mitra, dont le visage évolue sans cesse en fonction de l’angle d’approche de la caméra.
Comme l’indiquent les patronymes de deux de ses protagonistes – Carpenter et Miller – Doomsday est un film volontairement référentiel. Escape from New York est le premier titre à venir à l’esprit du spectateur au cours du prologue du film, et l’allusion est plus que volontaire : le mur autour de l’Ecosse, présenté dans une animation épurée, ou encore le bandeau sur l’œil d’Eden. Mad Max 2 ne tardera pas non plus à s’immiscer dans votre esprit, via les véhicules des punks qui tiennent Glasgow – littéralement – entre leurs dents. Entre les deux, la transition culturelle est fluidifiée par le contexte, visuel et musical : la bande-son empreinte intelligemment aux hits des années 80 (les biens choisis Fine Young Cannibals), les punks et leurs armes de fortunes, éminemment cloutées, font le lien entre les guerriers urbains qu’affronte Snake Plissken et la horde aux trousses de Max Rockatansky. Au sein de cet univers qui multiplie les possibles de l’anticipation (les guerriers punk sous les ordres de Sol face au revival médiéval de la bande à Kane), l’icône pluri-culturelle qu’incarne Eden Sinclair renforce la cohérence de l’ensemble dans son incarnation protéiforme, intemporelle, de la femme guerrière.
Dans ce voyage contre-culturel, les modes de transport jouent un rôle essentiel de transitions et de juxtapositions - spatiales, narratives, temporelles - : les tanks empruntés aux space marines d’Aliens, le train des débuts ferroviaires, les bus et voitures relookés et enfin la Bentley qui permet à Eden de se confronter (au cours d’une excellente poursuite au son de Frankie Goes to Hollywood) aux incarnations originelles de la technologie. Dans son appropriation de la Bentley, symbole d’une évolution technique assimilée, Eden affirme la survie de l’indépendance de la culture punk, qu’elle choisira de mener, conjointement à cette évolution. Doomsday s’affirme donc comme un survival culturel ; car au terme de son périple, même s’ils ne sont jamais prononcés, ce sont ces mots que l’on entend dans la bouche d’une Rhona Mitra rangée du côté de l’essence humaine, primitive et authentique : Punk not dead. Tout au plus le mouvement a-t-il changé de visage.
Premier titre édité par Universal sur le support Blu-ray après la défaite de son concurrent haute-def, l’édition Unrated de Doomsday est une merveille technique, d’une telle résolution que le film paraitrait presque à l’étroit, même sur un écran raisonnable. Edité aux USA dans une édition toutes zones, c’est le support idéal pour une séance de rattrapage – d’autant qu’il est sous-titré en français.



