Dragon Tiger Gate
Les 2Be3 contre Belphégor.
Même s’il ne possède pas l’aura d’un Jet Li, son contemporain, la reconnaissance internationale mais tardive de l’acteur, chorégraphe et réalisateur Donnie Yen, est une preuve que l’ancienne colonie reste toujours à la pointe du cinéma d’action mondial. Tout auréolé du succès mérité du splendide SPL, le duo Donnie Yen/Wilson Yip rempile et poursuit sa collaboration en quête d’une modernisation d’un genre pillé jusqu’à la moelle par Hollywood : le film d’arts martiaux.
Si les japonais sont bien les champions des adaptations de mangas à l’écran, les Hong-Kongais ne sont pas en reste avec leurs manhuas locaux qui donnent parfois d’honnêtes surprises (Young And Dangerous, The Storm Riders...). Pour son dernier opus, le versatile Wilson Yip (Bullets Over Summer, Skyline Cruisers, Bio-Zombie), s’attaque à l’adaptation - on devrait plutôt parler ici de transposition, tant la tâche d’adapter une oeuvre se déroulant sur 35 ans s’avéra impossible - d’un des manhuas d’arts martiaux les plus populaires de Hong Kong : Dragon Tiger Gate (aka Oriental Heroes, Lùhng Fú Mùhn) de Wong Yuk-long [1].
L’histoire imaginée de toute pièce par le scénariste Edmond Wong est centrée sur l’école Dragon Tiger Gate, fondée par deux maîtres d’arts martiaux, et prodiguant des valeurs de loyauté et de justice en ce bas monde corrompu par les triades. Tiger Wong (Nicholas Tse) et Dragon Wong (Donnie Yen) sont tous deux les fils des fondateurs, mais se retrouvent sur des chemins opposés suite au vol accidentel d’un médaillon par Dragon Wong. Cette amulette gravée par Shibumi le chef du clan Lousha, puissante organisation criminelle, assure à son détenteur la protection du clan, et devient l’objet d’intenses convoitises, forçant Tiger Wong, travaillant pour le chef de gang Ma Kun (Chen Kuan-tai) à choisir son camp.
L’adaptation de manga est assurément l’un des exercice les plus périlleux pour un cinéaste et créateur d’univers. Si la contrainte d’un cadre associé à un genre peut être stimulante et source de créativité pour certains, la rigidité imposée par des codes esthétiques donnés pousse parfois certains cinéastes à une trop grande timidité. N’étant pas familier de l’oeuvre d’origine, on ne tirera pas de conclusions hâtives, quoi qu’il en soit, l’ambition du cinéaste était clairement affichée : donner un nouveau souffle au film de kung-fu. Si le virage opéré par SPL est une réussite formelle étonnante, il n’en va pas de même pour Dragon Tiger Gate.
Wilson Yip adopte ici une démarche différente. Alors que SPL s’appuyait sur le réalisme pour y introduire de la fantaisie, Dragon Tiger Gate s’appuie sur l’imaginaire et le surréalisme pour produire du réel. En effet, les pouvoirs démesurés que développent chacun des trois héros au cours de leur apprentissage sont au service de combats illustrant les prouesses chorégraphiques de Donnie Yen, tout en ayant l’objectif d’adopter le rationalisme et le réalisme des combats de rue contemporains. Cette hybridité aurait pu fonctionner, si l’auteur avait davantage cherché à s’appuyer sur la grandiloquence et la violence démesurée de l’oeuvre d’origine, quitte à virer quelque peu de catégorie, sans atteindre l’extrémisme d’un Riki-Oh : The Story of Ricky (1991), mais qui aurait permis de désamorcer la prétention du film et sa sériosité, en y introduisant davantage le second degré. Alors qu’ici manifestement il s’englue dans des personnages stéréotypés et trop lisses - même si ce n’est pas en soit une tare - virant au ridicule, sans oublier l’enduit sentimental de rigueur médiocrement appliqué, comme pour colmater les brèches laissées ouvertes entre chaque combats, et moments de bravoure mettant en relief nos 2Be3 locaux.
Certains se plaindront peut-être avec raison d’un sarcasme mal venu, tant le cinéma de l’ex-colonie est avare en réussites du genre ces dernières années. Certes, mais là on franchit les limites ! Que les acteurs se travestissent comme des chanteurs de hip-hop à la mode, passe - on drague la jeunesse ado branchée jeux-vidéo -, mais qu’on les affuble d’une coiffure permanentée que même Jean-Louis David trouverait ringarde, sans oublier la teinture blonde de Shawn Yue dont on se gaussera encore dans vingt an, non. Enfin bref, le jugement a beau être sévère, l’esthétique clinquante, si elle s’assume dans certains cas, s’avère ici maladroite, sans compter la piètre lumière de Ko Chiu-lam - ayant pourtant officié sur Green Snake & Time and Tide -, dont les contrastes chromatiques volontaires sont parfois hideux, sans parler du choix des couleurs qui manque cruellement d’unité, à l’opposé de SPL dont l’économie des teintes parvenait à donner une ambiance unique et caractéristique à chaque scène.
Vous l’aurez compris, Dragon Tiger Gate, en tentant de réconcilier le film de Kung-Fu contemporain et une certaine tradition théâtrale du film en costumes échoue vainement, faute de cohérence artistique. Les combats offrent pourtant une certaine variété, autant dans les décors que dans leur exécution, de la magistrale scène d’ouverture du restaurant, au combat nocturne sur le terrain de base-ball. La créativité de Donnie Yen s’exprime pleinement, même si aucun des sept combats que compte le métrage ne laissera d’impression inoubliable. Leur rythme est enlevé, le montage précis et efficace ne tentant jamais de masquer les carences techniques éventuelles des acteurs dont la qualité du travail préparatoire est manifeste (surtout pour les non spécialistes que sont Nicholas Tse et Shawn Yue). En revanche le travail aux câbles et au trampoline est bien présent, sans oublier une sur-utilisation des effets numériques dans le combat final et climax du film.
Un climax qui résume à lui tout seul le ratage de ce Dragon Tiger Gate. Le méchant Shibumi, au charisme inexistant, est sous-exploité, n’apparaissant que rarement avant le final, si ce n’est pour fracasser le maître de l’école, Wong Jianglong (Yuen Wha), en brisant la plaque de l’école - clin d’oeil appuyé à La Fureur de Vaincre - et ne livrant au final que peu d’éléments sur son identité. Mais le ridicule l’emporte en le voyant grimé d’un masque et d’une cape singeant notre Belphégor national (à moins que ce ne soit Vidocq !). Le combat final abuse des effets numériques, masquant ainsi les piètres qualités martiales de la doublure de Shibumi.
Les personnages secondaires souffrent aussi - en particuliers les personnages féminins quand ils ne servent pas de support de pub à Nokia - d’un sous-développement, notamment celui de Ma Kun, interprété par nul autre que Chen Kuan-tai [2](Le Justicier de Shanghai, 1972), et qui aurait mérité développement plus fouillé. Le métrage s’appuyant par défaut sur des flash-back engourdissant le récit dans un sentimentalisme plat et sans intérêt. Parfois mieux vaut simplicité maîtrisée que complication inutile. Au titre des idées dignes d’intérêt, la séquence tout en symbolisme onirique décrivant Ma Xiaoling, la fille de Ma Kun, ramassant les perles d’un chapelet dévalant les interminables marches d’une pagode, comme l’illustration de la futilité de son action à vouloir sauver Tiger frappé d’un mal incurable. Sans oublier la scène où le maître Wong Jianglong corrige l’ego de Turbo, blondinet peroxydé fan de nunchaku, à l’aide de sa seule savate, traduisant bien le règne de l’apparence et de la superficialité qui pollue la jeunesse contemporaine.
Car finalement si Dragon Tiger Gate devait laisser un message, ce ne serait certainement pas celui d’un ordre juste prôné par l’école en question, pour paraphraser notre Ségo nationale, mais bien celui du règne des apparences, à l’image du look de gravures de modes arboré par notre trio virevoltant, et qui transpire si bien dans l’entertainement contemporain.
Allez les gars, quittez vos sapes branchouilles, sortez dans la rue et venez vous bastonner pour de bon à l’instar d’un The City of Violence (2006). Et si vous voulez savoir l’effet que ça fait, matez vous Dog Bite Dog, et laissez Dragon Tiger Gate à vos mômes. Ne reste plus qu’à attendre la suite de SPL, à moins que Flash Point (City With No Mercy) le prochain métrage du duo ne bouscule tout sur son passage.
Dragon Tiger Gate a été diffusé au cours de la 9ème édition du Festival du film asiatique de Deauville, dans le cadre de la compétition Action Asia.
Disponible en DVD HK chez Deltamac avec sous-titres anglais.
[1] Datant de 1970 et initialement intitulé Little Rascals, la série racontait des histoires de jeunes vivant dans des citées HLM de Hong-Kong et luttant contre des gangsters locaux. La violence graphique était telle que le gouvernement, légiférant à l’époque pour interdire les publications incitant à la violence, obligea l’auteur à transformer son histoire et à en atténuer la violence. Le manhua reprit en 1975 sous le titre de Dragon Tiger Gate, restant toujours réédité de nos jours.
[2] L’un des rares acteurs de la Shaw Brothers à avoir été un authentique champion de Kung-Fu.




