DumBeast
Shizuka, charmante éditrice, se rend dans un village voué à la pratique du Sumo au fin fond du Japon, pour tenter de retrouver la trace de son protégé Dekogawa, dont le roman DumBeast vient de recevoir un prix. Sur place, elle fait la connaissance d’un singulier quatuor : Eda, seul hôte du bar Super Heavy, sa compagne Junko, le flic Oka et la femme-enfant Nora. Leur histoire apparaît rapidement incongrue : non contents d’avoir causé la mort de Dekogawa dans leur enfance, Eda et Oka ont aussi tenté d’assassiner à plusieurs reprises, plus récemment, un autre Deko, ainsi surnommé pour sa prétendue ressemblance avec Dekogawa, pour l’empêcher de terminer son récit autobiographique sérialisé dans un hebdomadaire à grand tirage. Car sous d’autres noms qui ne trompent personne, Eda et Oka en sont les héros involontaires, leurs frasques la matière première, leurs brimades envers Dekogawa – à moins que ce ne soit Deko ? - le sel. Pourtant Deko, simplet redoutable, démentait être l’auteur de l’ouvrage...
Un éditeur qui se perd dans la folie douce d’un village reculé alors qu’il recherche son auteur perdu... Il y a bien quelque chose de L’Antre de la folie dans le premier long-métrage de Hideaki Hosono, mais la plume timbrée de Kankuro Kudo (Ping Pong, Drugstore Girl, Zebraman) remplace toute épouvante par l’absurdité d’une entreprise criminelle sans cesse mise en échec par la résilience benête de sa victime de choix. Deko, auteur-supposé, sujet de DumBeast mais rarement son objet, empreinte les traits d’un Tadanobu Asano qui a tôt fait de faire tomber les défenses du spectateur circonspect. Coupe au bol, veston sans manches, pantalon trop court et petit nœud-papillon, sourire perpétuellement vissé aux lèvres, Asano rayonne ici d’une candeur déconcertante, en toute circonstance, et porte DumBeast vers des sommets de cinéma non-sensique.
De sa séquence d’introduction onirique à ses motifs d’appréhension – l’ascenseur qui mène au Super Heavy dont les portes n’arrêtent jamais de s’ouvrir sur Deko (qui s’inquiète perpétuellement d’arriver à la fermeture du bar) alors qu’il vient d’être empoisonné ou même enterré – en passant par ses flashbacks animés par le Studio 4°C (Amer Béton, Princess Arete, Mind Game), DumBeast s’efforce de perdre le spectateur dans l’inconsistance de ses protagonistes, déployant couleurs et réalisation appuyée pour transcender la théâtralité de l’ensemble. Si le style semble ainsi l’emporter sur la substance, c’est parce que le rythme de DumBeast sied bien à l’ingénuité de Deko (voilà un homme qui, enterré vivant, s’imagine être tombé dans un trou par inadvertance pour se réveiller ainsi sous terre), qui agonise régulièrement en arrière-plan pendant que se jouent les disputes et complots de ses assassins devenus héros de roman. Hosono prend son temps, multiplie les redites et tourne volontairement en rond, pour mieux faire de Deko son héros, l’air de rien et au grand dam de ses bourreaux.
Derrière l’absurdité et un certain sens du pathétique – on retrouve bien là la plume à l’origine de Zebraman – Kankuro Kudo distille de pertinents messages, sur le passé que l’on ne saurait effacer, puisqu’il nous définit, autant que sur une historicité commune si forte, même tissée de tentatives d’assassinats et de résurrections improbables, qu’elle transcende toute logique pour se transformer en indéfectible et inexorable amitié. Tabanobu Asano, incroyablement drôle, est l’incarnation fantastique de ces deux facette complémentaires au cœur de DumBeast. L’optimisme unidimensionnel de son personnage est tel, comme le désir de transformation de Sho Aikawa dans Zebraman, que son caractère impossible devient bien réel dans les derniers instants du film, empreints d’une poésie loufoque et d’une résilience à même de renvoyer bon nombre d’increvables de Takashi Miike au placard. Ainsi, comme Deko, DumBeast s’affirme faussement bêta, porté par une volonté cinématographique certes simple mais ultra-positive, à même d’imposer sa bonne humeur décomplexée contre vents et marées.
DumBeast, disponible en DVD japonais sans sous-titres, avait été présenté au cours de la 11ème édition du Festival du film Japonais de Francfort Nippon Connection (2011) ; retard de traitement scandaleux de ma part que l’on pourrait appeler "rétro-réactivité"...
Remerciements à Dennis Vetter et Dimitri.




