Exte
Quand Shion Sono liquide le J-Horror.
Après le succès fracassant de Suicide Club et son incursion singulière et originale dans le thriller horrifique à fort contenu social, le cinéaste-poète-écrivain-compositeur et ancien activiste s’est accordé une pause de six long-métrages, alternant œuvres à caractère expérimental (Yume no naka e), et projets plus personnels (Requiem pour Noriko, Strange Circus...), sans oublier une maigre contribution au J-dorama TV du vendredi soir [1], avant de s’acoquiner avec un grand studio, une trajectoire suivie par un certain nombre de ses contemporains, et signer pour la Toei une œuvre commerciale assumée, tout en apposant sa signature unique, singulière et définitive au J-Horror post-Ringu.
Alors que les autorités portuaires de Tokyo découvrent avec effroi l’existence d’un cadavre dans un container rempli d’extensions de cheveux, l’autopsie pratiquée par la police révèle que le corps a subi l’ablation de ses organes principaux. En lieu et place, les policiers stupéfaits découvrent d’épais et longs brins de cheveux. Yamazaki (Ren Osugi), un des employés de la morgue au fétichisme capillaire fort développé, se met en tête de subtiliser le corps afin de le préserver dans son repère. A son grand émerveillement, il découvre que le corps continue de secréter des cheveux en quantité abondante, qu’il s’empresse de couper pour en confectionner des extensions, qu’il revend aux salons de coiffure alentours. Mais les clientes qui s’en parent, admiratives de leur aspect naturel, commencent alors à être victimes d’étranges perturbations capillaires.
Le motif récurrent du cheveux gras et sombre à la longueur conséquente ornant le visage d’un esprit vengeur n’a cessé d’infester le cinéma horrifique nippon depuis 1998, débordant largement les frontières nationales comme le démontre pléthores d’exemples parmi lesquels : Phone (Corée), The Wicked Ghost (Hong-Kong), ou encore Shutter (côté Thaï). Même si pareille imagerie fait partie du folklore japonais traditionnel - il suffit pour s’en convaincre de réviser ses classiques, dont le chef d’œuvre de Masaki Kobayashi Kwaidan (1964) et son premier chapitre au nom évocateur : Kurokami, dans lequel des cheveux d’un noir de jais rampent sur une couverture rouge pour finir par stranguler leur victime masculine - sa réactualisation contemporaine depuis le succès de la trilogie Ringienne, semble aujourd’hui au bord de l’épuisement.
C’est alors que souvent, comme l’a montré l’histoire du cinéma de genre avec plus ou moins de succès, celui-ci finit inévitablement par s’auto parodier, et ainsi boucler la boucle. Si l’étonnement de voir Shion Sono aux commandes d’une production Toei avait de quoi nous intriguer, le voir revenir à l’univers horrifique ne saurait que réjouir les inconditionnels de Suicide Club dont je fais partie.
En premier lieu, Exte se veut un authentique film de divertissement assumant les codes du film d’horreur contemporain. Il suffit de jeter un œil au casting dont la seule évocation de Chiaki Kuriyama (Shikoku, Mail, Ju-on, MPD Psycho...) et du scénariste Misaki Adachi (Juon 1 & 2, Dark Water, Reincarnation) pour se convaincre qu’on est en présence d’un décor d’apparence formaté au genre. De plus Sono déroule un récit dont deux branches parallèles, à la manière de deux univers hétérogènes - celui feutré et très pop d’un salon de coiffure branché, et celui pervers et fétichiste de Yamazaki -, finissent par se rejoindre - de façon certes abusive - dans une linéarité parfaitement en phase avec son ambition narrative. Le réalisateur, comme à son habitude, privilégie l’ambiance au détriment de la facilité d’effets chocs, même si les séquences horrifiques de rigueur sont bien présentes, dont certaines référentielles (Hostel).
Mais au-delà de l’exercice de style, c’est dans la perversion même du genre et de son traitement que l’auteur impose sa griffe unique, signant ici une réussite incontestable. La perversité, au cœur de l’œuvre du cinéaste, s’assume ici au grand jour au travers du personnage de Yamazaki, trait d’union entre l’esprit vengeur et ses victimes. Il nous gratifie ainsi d’un monumental “Hentaï” qui restera assurément dans les anales du genre, incarné par le truculent Ren Osugi. Avec lucidité, dans son entreprise de détournement parodique du genre, il substitue à l’esprit vengeur habituellement au premier plan, le personnage de Yamazaki qui devient le véritable protagoniste du film en apportant toute la dimension caricaturale et décalée d’Exte, dont le second degré parfois douteux (l’enfance battue côtoyant le trafic d’organes), se fait ressentir à mesure qu’on approche d’un final aussi grandiloquent qu’hilarant. Et si cela ne suffisait à vous convaincre, Shion Sono croit bon de nous glisser d’autres indices anodins, tel que le nom très frenchy du salon de coiffure dans lequel officie Chiaki Kuriyama, au jeu sensible et posé, intitulé sobrement et en jolies lettres roses Gilles de Rais [2].
Pied de nez au genre, Sono superpose une violence quotidienne et réelle du monde, à l’univers fantasmatique de Yamazaki qui se nourrit symboliquement de la douleur de l’esprit vengeur à la capillarité meurtrière. Le cinéaste, en parfait manipulateur construit son récit sur cette perversion, se jouant du spectateur. Il brosse ainsi une tragique histoire d’enfant battu par sa mère que recueille l’apprentie styliste Yoko (Chiaki Kuriyama), à travers l’attendrissante Mami dont la douceur naïve et maladroite crée une empathie réelle avec le spectateur. Quant au corps meurtri de la victime du trafic d’organes incarnant l’esprit vengeur, de douloureux flash-back sur fond de cantique de noël nous rappellent la cruauté du monde.
La réalisation parfaitement maîtrisée, témoigne à certains égards de la personnalité de l’auteur, qui s’affirme notamment dans les plans séquence décrivant les relations conflictuelles entre Yoko et sa sœur, filmés en caméra portée, collant au plus près des personnages. Le sens du montage parallèle servant ici parfaitement la dichotomie des univers et leur contamination progressive. L’ironie du cinéaste s’exprimant également par moment dans l’expression d’une vision fantasmatique, d’une beauté onirique, lors des séquences horrifiques où les extensions s’attaquent à leurs victimes, comme pour les punir de leur futilité obsessionnelle.
A travers cette fable horrifique contemporaine, l’auteur n’oublie pas de tapisser son récit d’un arrière plan de critique sociale. De façon moins appuyée certes que dans Suicide Club, mais toujours aussi métaphorique. Il nous interroge sur la superficialité d’une jeunesse obsédée par son look, et sur un pays dont le nombre de salons de coiffure au kilomètre carré a de quoi rivaliser avec celui des cafés en France. L’instrumentalisation de l’être humain, qu’elle soit à travers un trafic d’organes, ou l’utilisation de faux cheveux, démontrant une conscience alerte des enjeux du monde moderne et d’une jeunesse urbaine, dont Sono sait comme nul autre transposer les états d’âme.
Après Exte, l’horreur post-Ringu n’aura plus la même saveur. Loin d’être un travail de commande consciencieusement exécuté, l’ouvrage s’avère un pied de nez original et salutaire vis à vis d’un genre qui, après avoir offert sa singularité aux yeux du monde, est devenu synonyme de stérilité. Shion Sono en y mettant un point final, nous prouve une fois de plus qu’il est un auteur à part entière, capable de s’affranchir d’un champ de contraintes aussi dense soit-il, pour en dépasser la forme, avec intelligence et ironie.
Exte est disponible en DVD HK avec des sous-titres anglais chez Universe Laser. Existe aussi en DVD japonais chez Toei Video mais sans sous-titres.
Site officiel (en japonais) : www.exte-movie.jp
Site web du réalisateur (en japonais) : www.sonosion.com
[1] Scénariste sur la saison 1 du J-dorama à succès Jikô Keisatsu (épisodes 4 et 6) pour TV Asahi, il est passé à la réalisation lors de la saison 2 (Kaette kita jikô keisatsu) lors des épisodes 3 et 6, son ami Joe Odagiri - accessoirement réalisateur de l’épisode 7 - n’ayant assurément pas été neutre dans ce choix.
[2] Figure historique (1404-1440) surnommée Barbe Bleue, Gilles de Rais est un personnage terrifiant dont la scélératesse de ses crimes pédérastes en font l’un des criminels les plus abjects de l’histoire. Lire Le procès de Gilles de Rais par George Bataille (1965).





