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Japon

Fleur empoisonnée

aka Showa erotica : noble lady of roses - Shôwa erotica : bara no kifujin, 昭和エロチカ 薔薇の貴婦人 | Japon | 1980 | Un film de Katsuhiko Fujii | Avec Erina Miyai, Yuko Asuka, Junko Mabuki, Hiroshi Ichimura, Minoru Ôkochi, Nagatoshi Sakamoto

Double Jeu.

Katsuhiko Fujii, que nous vous avions présenté à l’occasion de la sortie du médiocre L’Épouse, l’amante et la secrétaire (1982), détournement érotique de Nine to Five (1980) de Colin Higgins, fait partie de la première génération des cinéastes du roman porno, réputée la plus intrépide et créative. À ce titre, il faut bien avouer que la filmographie du cinéaste, bien que riche d’une cinquantaine de titres, le cantonne à une place d’honnête artisan, à l’ombre des grands maîtres du genre. Il est pourtant un sous-genre dans lequel celui-ci excelle. Celui du SM à base de tortures militaires ; de l’aveu même du célèbre écrivain Oniroku Dan, grand propagateur de la littérature sadienne au Japon, que le cinéaste transposa à de multiples occurrences avec un certain enthousiasme à l’écran.

S’il avait déjà commis des exactions remarquées dans Cruelty : black rose torture (Zankoku : kurobara rinchi, 1975) sur la peau onctueuse et blanchâtre de la reine Naomi Tani et sa domestique Terumi Azuma, Fujii jette ici son dévolu sur une autre rose, au port de tête tout aussi altier mais à la fragilité plus prononcée, en la personne d’Erina Miyai. Reprenant en toile de fond l’ère Shôwa d’un Japon militariste à la veille de son entrée en guerre, il met en scène une héroïne tourmentée que l’on croirait volontiers échappée d’un roman du dix-neuvième. Aristocrate épouse d’un vicomte aux tendances sadiques, Kinuko (Erina Miyai) se conforte en prenant pour amant un jeune peintre qui, exécutant son portrait, finit par tomber amoureux de son modèle. Obligée par la volonté de son époux de se retirer dans leur villa, au cœur des montagnes de Nagano, celle-ci n’a d’autre choix que de couper court à cette passion bourgeonnante. Mais le jeune artiste, assidu, succombant à la tradition romantique, décide de partir la rejoindre dans l’espoir de la regagner.

Fleur Empoisonnée, à l’opposé de l’inconséquente légèreté de L’Épouse, l’amante et la secrétaire, offre un tout autre visage, plus cruel et ténébreux, tout en constituant à n’en point douter l’un des sommets de la carrière de Fujii. Loin de faire de l’arrière plan politique de son récit un instrument de subversion, à l’image de Chûsei Sone dans Graine de prostituée (1973), la toile de fond militaire du récit procure à l’auteur un prétexte à enrichir la matière visuelle même de ce conte sadomasochiste aux accents psychanalytiques. Filmé par le grand Shohei Andô [1], Fleur empoisonnée resplendit avant tout par la beauté de ses décors, conçus par Kazuo Yagyû, en particulier des intérieurs superbement éclairés. Le soin extrême apporté au choix des couleurs des décors de la villa, dont les teintes marron et beige s’harmonisent jusque dans les vêtements même des personnages, est aussi symptomatique du roman porno comme d’un genre qui, par la qualité de ses techniciens et ses ambitions plastiques, tente en quelque sorte de perpétuer la tradition de l’âge d’or du cinéma Japonais et des grands studios. On est en effet très loin d’un cinéma d’exploitation auquel l’occident l’a souvent réduit, aveuglé, incapable de voir au-delà du prisme de sa matière première érotique.

Si les décors font ici volontairement usage de teintes monochromes, créant un arrière plan à la coloration uniforme, à l’image d’un aplat en peinture, ce n’est que pour mieux faire ressurgir le rouge de façon vibrante à l’écran. Couleur iconique du roman porno autant que symbolique du désir, elle exprime ici toute la richesse d’un imaginaire érotique foisonnant. Ainsi Fujii compose dans le cadre de délicates correspondances entre objets métaphoriques. La rose rouge associée à l’héroïne, les fundoshi rouges des deux gardes Cosaques muets, ou encore le tourniquet cristallisant par sa simple présence le traumatisme à l’origine de la perversion de Kinuko. Le cinéaste privilégie ainsi adroitement l’image à la parole, aidé par les contraintes d’un format favorisant la concision narrative. Il fait d’un simple accessoire enfantin un objet transitionnel, lui permettant de plonger dans l’enfance de son héroïne torturée. Et livre à l’aide de flashbacks, qui s’entremêlent de façon fluide par de discrètes ponctuations, des fragments de mémoire, clés d’une énigme psychopathologique faisant de Kinuko autant une victime de sa sexualité qu’un bourreau féminin.

Conte au parfum mystérieux, Fleur empoisonnée déploie un double jeu pervers, à la manière d’un film noir - les vêtements noirs portés par Kinuko dans les premiers plans du film annonçant déjà la mort - dans lequel ses personnages font de leur duplicité le rouage implacable d’un piège mortel, éprouvé lors d’un twist final, où l’innocence et la sincérité de l’artiste n’ont plus leur place. Par sa mise en scène, Fujii construit un érotisme fondé sur le jeu du regard. Du voyeurisme omnipotent qui permet au couple d’espionner ses hôtes par l’entremise d’un miroir sans tain, à l’humiliation de l’infirmière dont l’intimité est violée sous l’œil impassible des invités, le regard participe activement de l’érotisation de ce drame. Mais il peut s’avérer aussi source d’angoisse, comme lorsque Kinuko aperçoit l’image de l’infirmière et du lieutenant Hattori faisant l’amour. C’est en jouant habilement de cette double dimension que le film parvient à maintenir une certaine tension tout au long.

Bien loin de l’imagerie trash d’un “nazisploitation” italien signé Sergio Garrone ou Bruno Mattei, genre le moins noble du cinéma d’exploitation occidental, Fujii démontre qu’il sait, sans vulgarité, déployer tout l’éventail du fétichisme militaire avec sophistication, servant autant l’esthétique que la narration de l’œuvre. Avec le personnage de Ryoko (Yuko Asuka), il nous gratifie d’une superbe virago experte en équitation. La scène au cours de laquelle elle se déshabille aidée de ses deux sbires est un régal. Fujii accompagnant le processus par des cadrages serrés, fétichisant l’uniforme et mettant en relief la croix de fer ornant la poitrine onctueuse de la garçonne au son d’une marche militaire. Ce décorum se transforme peu à peu en théâtre d’un jeu de rôle pervers, culminant dans la séquence de l’humiliation de l’infirmière, incarnée par la splendide Junko Mabuki, blanche colombe habituée des sévices corporels à base de cordes.

Au final Fleur empoisonnée s’éloigne d’une vision du SM à la Konuma, où des bourgeoises coincées libérées par le plaisir sous contrainte finissent en dominatrices. La sexualité n’y est pas libératrice mais source de psychose. Chez Fujii, moins léger et plus tortueux, l’on tend au contraire à l’infantilisation de la femme qui demeure, à l’image d’une poupée qu’elle finit par incarner, figée dans le temps, prisonnière de son passé traumatique. Ce portrait tragique à la beauté onirique d’une femme tourmentée, s’impose comme une œuvre importante de son auteur, échappant aux poncifs habituels du genre, signe d’une expression de la diversité du sous-genre SM au sein du roman porno.

Fleur empoisonnée est prévu en sortie DVD avec sous-titres français le 3 novembre 2010 chez Wild Side, au sein d’une collection intitulée l’Âge d’Or du Roman Porno Japonais, et qui comportera 30 titres. A noter que l’ensemble des films de la collection a fait l’objet d’une restauration numérique.
Remerciements à Benjamin Gaessler, Cédric Landemaine et Wild Side.

[1Considéré comme un des grands chefs opérateurs du cinéma Japonais, il entre à la Daiei en 1952, puis intègre la Nikkatsu en 1954, studio au sein duquel il fera l’essentiel de sa carrière. Il fait ses début de caméraman en 1967. Ayant étudié auprès du grand Shinsaku Himeda, technicien de légende alors chef op d’Imamura, son travail est étroitement associé au roman porno. Il tourne en effet le premier du genre, Le jardin secret des ménagères perverses (Danchi-zuma hirusagari no jôji) de Shôgorô Nishimura en 1971. Et collaborera auprès de cinéastes tels que Masaru Konuma, Toshiya Fujita, Kirio Urayama (La Chambre Noire), Kohei Oguri ou encore Mitsuo Yanagimachi.

- Article paru le mardi 12 octobre 2010

signé Dimitri Ianni

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