Gakidama
Une faim dévorante.
Morioka (Kyôzô Nagatsuka), un reporter accompagné de son ami photographe Kitayan (Ichirô Ogura), se rend en pleine forêt sur le lieu d’une apparition de feux follets (hitodama), que leur a signalé un couple de campeurs apeurés. Spécialisés dans les reportages sur les fantômes les deux collègues attendent la nuit tombée espérant débusquer et capturer l’apparition sur pellicule. Grâce à des appâts de viandes suspendus aux arbres, et à leur grande stupéfaction, ils aperçoivent de vives formes luminescentes la nuit venue. S’approchant d’un peu trop prêt, Morioka ne remarque pas une larve tombée sur son épaule, et s’insinuant discrètement dans l’un de ses orifices auditifs. Dès le lendemain celui-ci est prit d’un appétit frénétique. Son visage se tuméfie de jour en jour alors que son estomac grossit, à la grande inquiétude de son épouse Michiko (Kazuyo Matsui). C’est alors qu’une nuit, il est pris de spasmes violents au ventre...
Si l’évocation du fantastique nippon renvoie immanquablement à la tradition de l’image fantomatique féminine, celui-ci s’est progressivement nourri des figures de style occidentales pour les assimiler tout en se les appropriant de façon unique ; depuis les vampires dont le chef d’œuvre Kyuketsuki Gokemidoro (1968), aux plus récents recyclages de zombies (Junk, Versus, Stacy...). Avec Gakidama, Masayoshi Sukida semble vouloir conjuguer l’horreur organique “Cronenbergienne” au film d’Alien.
Cette adaptation d’une nouvelle de Baku Yumemakura - auteur de SF plébiscité ayant déjà à son crédit moult déclinaisons (séries TV, direct-to-vidéo ou manga) dont les transpositions cinématographiques populaires du récent Taitei no ken (2007) sans oublier le très esthétique Onmyoji (2001) - est pourtant loin de n’être qu’imitative. Cachant dans sa forme qui tient davantage du moyen-métrage, une curiosité telle qu’on en rencontre parfois sur les sentiers chaotiques et non balisés du cinéma d’horreur.
Portant les stigmates du milieu des années 80, tournant qui verrait progressivement la vidéo s’imposer et garnir des étagères pleines de V-cinéma, l’œuvre de Sukida offre pourtant une photographie soignée, usant de lumières bleutées aux contrastes marqués, optant pour un réalisme dont la qualité des effets spéciaux parfois inattendus, accentuent l’impact horrifique de certaines séquences (l’éclosion du monstre étant la plus marquante). Nulle étonnement alors de constater qu’ils sont signés par la prestigieuse Tsuburaya [1].
Au-delà de qualités purement techniques, cette curieuse fantasmagorie peut aussi se lire comme une lointaine et symbolique évocation du mythe de Cronos et de son appétit cannibale. A moins que cela ne soit une variation de l’ogre de nos chers contes de fées. En effet, le titre japonais Gakidama/餓鬼魂 (qui signifie ogre de l’âme) est composé du mot Gaki/餓鬼 (ogre) auquel s’adjoint le mot Tama/魂 (âme). Ceci confortant également l’origine du monstre, comme puisant vraisemblablement dans le bestiaire nippon des yôkai. Car comme nous le signale Shigeru Mizuki [2] un Gaki n’est autre qu’un fantôme errant dans les montagnes, prenant possession des humains affamés.
Le cinéaste développe ici un récit dont la breveté empêche tout développement de personnages mais dont le parti pris conduit le spectateur sevré d’explications, vers une énigmatique fin non dénuée d’ironie. Dans un climat glauque et inquiétant, les tableaux parfois surréalistes - tels que le festin auquel est convié Morioka par l’étrange inconnu - s’enchaînent à mesure que la faim gagne les protagonistes possédés par la chose aux allures de fœtus agressif, parfois un tantinet trop “caoutchouteux”. Une poésie étrange, due à la présence saugrenue d’un mystérieux inconnu en imper noir trimbalant une cage à oiseaux, teintée d’érotisme, se dégage de cette œuvre modeste mais généreuse. Qualité à laquelle n’est pas étrangère la plume particulière d’Atsushi Yamatoya [3], scénariste et réalisateur à l’imaginaire fécond.
Tentative singulière destinée au marché vidéo, qui à l’instar du brillant Xtro (1983) de Harry Bromley Davenport, apporte en dépit de moyens limités, une curiosité savoureuse et insolite au genre, loin de se réduire à un simple ersatz. Son économie de texte confine volontiers le spectateur à s’interroger sur la nature de cette fable insolite... divertissement fantaisiste, ou métaphore sur l’irrépressible envie de consommer, jusqu’à sa propre chair... à vous de juger.
Gakidama est disponible en DVD japonais sans sous-titres chez Geneon (GNBD-1428). A noter que celui-ci contient également un Making of de 29 minutes, bien évidemment non sous-titré.
[1] Société de production fondée par le grand père des effets spéciaux nippons, Eiji Tsuburaya, responsable entre autres des SFX de la série des Godzilla. Son troisième fils, Akira également producteur de la célèbre série Eko Eko Azarak, signe par ailleurs la production de Gakidama.
[2] lire Yôkai - Dictionnaire des monstres japonais chez Pika Édition.
[3] Ancien scénariste à la Nikkatsu et membre du collectif Ôtani, il fût également un membre éminent de l’écurie Wakamatsu Pro, société de production de Kôji Wakamatsu, grâce à qui il réalisa son premier film, le splendide La Saison de la trahison (1966). Il est également l’auteur du scénario d’un des chefs d’œuvre du maître, La Vierge Violente (1969).





