Generation Kill
Stay frosty [1].
La seconde guerre du Golfe restera comme le conflit où les médias, surtout américains, ont été le plus manipulé lors de la mise en scène destinée à la justifier, mais aussi la plus contrôlée lors de son déroulement. Et pourtant, Generation Kill, dans la présentation du début de cette tragédie, est impressionnant dans la vision sans concession qu’il nous en livre. Au point que l’on peut se demander jusqu’où l’écrivain et les responsables de l’adaptation ont romancé la vérité. Mais ne serait-ce pas là un juste retour des choses ?
Generation Kill est la transposition sous la forme d’une mini-série, de sept épisodes d’environ une heure, produite par la chaîne câblée américaine HBO, du livre éponyme écrit par un journaliste de Rolling Stone, Evan Wright. Ce dernier a vécu les trois semaines de l’invasion de l’Irak en 2003 au sein d’une section d’élite des Marines. David Simon, également responsable de The Wire, dont j’ai entendu le plus grand bien, est responsable du projet.
Evan Wright rejoint ce fameux bataillon de reconnaissance des Marines quelques jours avant l’assaut et va les suivre dans leur quotidien du Koweït à Bagdad, jusqu’à ce qu’ils soient sur le point de quitter l’Irak. Leur campagne a été des plus médiatisées, car le lieutenant Nathaniel Fick, commandant la compagnie dans la laquelle le journaliste a été intégré, a lui-même écrit un livre sur son expérience dans les Marines [2].
La série montre la vie quotidienne de ces hommes au niveau de l’essieu de leurs Humvee. Elle montre la guerre dans tout ce qu’elle a de plus prosaïque : l’attente, les ordres et les contre-ordres, une intimité très partagée... Elle convie aussi une vision non édulcorée de cette guerre éclair, bientôt embourbée, avec son lot de civils tués par erreur ou même lorsque la procédure opérationnelle standard (SOP) est appliquée, car elle n’est pas adaptée. La façon dont cette guerre est menée suscite des doutes chez les plus lucides lorsqu’ils réalisent que certains des fédayins de Saddam sont d’anciens étudiants syriens arrivés en Irak, après eux... Mais certains soldats semblent avoir trouvé leur voie. L’un des membres de la section où Evan Wright est embedded est clairement caractérisé comme un psychopathe...
Mais le plus surprenant est l’image qui est donnée de cette unité ; loin du monolithisme du soldat qui obéit aux ordres sans broncher. Le portrait dressé est d’autant plus étonnant qu’il s’agit d’une unité d’élite. On y observe des lieutenants et des capitaines incompétents, dont les subordonnés refusent d’obéir aux ordres pour ne pas mettre en péril la vie de leurs hommes. Le colonel, alias the godfather en raison de sa voix rauque, est dans son trip. Il veut faire plaisir à son supérieur, le général Mattis. Il semble prêt à tout pour appliquer sa stratégie de la violence de l’action, quitte à faire prendre des risques inconsidérés à ses soldats comme lors de l’assaut de l’aéroport.
Paradoxalement, l’homme le plus sage semble être le sergent Brad Iceman Colbert, dans le Humvee duquel voyage le journaliste. Respecté par tout le monde, il est le modèle du guerrier que demande les guerres actuelles, efficace dans l’action kinetique [3], mais pas seulement obnubilé par la destruction. Il se plaint du nombre trop élevé de civils tués car cela risque de leur aliéner la population qu’ils sont supposés libérer.
Si les réalisateurs arrivent bien à créer de la tension, ils ne donnent jamais de souffle à Generation Kill. Filmer les marines au plus près pour rendre leur expérience d’autant plus réaliste pour le spectateur n’aurait pas dû être appliqué systématiquement à la mise en scène. Elle manque d’ampleur, comme lors de l’assaut d’un terrain d’aviation où est supposée se trouver une unité de l’armée irakienne. Si cette dernière avait été présente, cette mission dans des véhicules à peine blindés aurait pu être la version moderne de la charge de la brigade légère.
Generation Kill est disponible en DVD et en Blu-ray en France et dans le monde. En mars 2011, Play.com propose la version Blu-ray pour la modique somme de 21,49 euros.
[1] Reste calme et en alerte.
[2] One Bullet Away : the Making of an American Captain est considéré comme l’un des meilleurs livres de témoignage sur la guerre en Irak. Sa lecture est intéressante pour le regard très lucide porté par l’auteur sur son rôle d’officier, obligé, normalement, d’obéir à des ordres même s’ils lui semblent néfastes pour ses soldats et opposés aux buts poursuivis dans cette guerre.
[3] Utiliser la force dans le jargon militaire américain.




