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Japon

German + Rain

aka German + Ame, Jâman purasu ame, ジャーマン+雨 | Japon | 2007 | Un film de Satoko Yokohama | Avec Yoshimi Nozaki, Suzune Fujioka, Michio Hisauchi, Tatsunori Honda, Peter Hyman, Shûji Iijima, Daisuke Tajiri, Junji Tamura, Yûki Tokunaga

L’effrontée.

Ces derniers temps, la région d’Aomori semble être à l’honneur, attestant d’une fertilité artistique insoupçonnée et berceau d’un jeune cinéma indépendant en devenir. Après avoir découvert le jeune Kimura Bunyo avec Hebano (2009), une autre graine a éclos pour se frayer un chemin dans le méandreux ruisseau du jishu eiga. Il s’agit de Satoko Yokohama, aspirante réalisatrice à l’amorce d’une toute jeune carrière. Originaire d’Aomori, elle vient juste d’y tourner Bare essence of life (Urutora mirakuru rabu sutôrî, 2009) au casting confortable, entrant de plain pied dans le cinéma mainstream, et empruntant à sa consœur Nami Iguchi et son splendide Sex is no lauhghing mater (2007) son amoureux transi en la personne de Kenichi Matsuyama qui s’accorde ici avec la lumineuse Kumiko Aso. Mais si celle-ci en est arrivée là, elle le doit indubitablement à son premier long métrage German + Rain tourné dans la région de Shiga [1], une comédie aigre-douce dans laquelle la jeune cinéaste fait déjà montre d’une personnalité singulière.

Un temps office lady, elle fréquente la Tokyo Film School en 2004, et se fait remarquer par son premier moyen métrage Chiemi and Kokkunpatcho (Chiemi-chan to Kokkunnpaccyo, 2004), tourné dans la région d’Aomori et projeté lors de l’édition 2006 du Festival Nippon Connection. L’auteur se penchait alors déjà sur la distension des liens familiaux et les rapports père-fille. Grâce à la prime obtenue par ce dernier au Festival CO2 [2], elle se lance dans la réalisation de German + Rain, entièrement autoproduit. Celui-ci y sera d’ailleurs primé, attirant alors sur elle l’attention de la critique.

A l’instar du titre français d’un classique oublié du cinéma Japonais ressorti cet été en salle [3], c’est un peu « une jeune fille à la dérive » que nous dépeint Satoko Yokohama à travers son héroïne Yoshiko, une adolescente asociale et impulsive. Cette « oie sauvage », pour paraphraser le titre d’une œuvre de Shirô Toyoda, en rupture familiale et ayant quitté l’école, retourne vivre dans la maison décatie occupée par sa grand-mère qui vient tout juste de disparaître. Sa mère est décédée, et son père réduit à l’état de légume survit alité dans une clinique de la région. La jeune fille au physique ingrat trouve néanmoins une occupation comme aide-jardinier sous les ordres d’un patron déplaisant, afin de se rapprocher d’un jeune allemand sur lequel elle a des vues. Renouant avec son amie d’enfance, elle lui avoue qu’elle rêve de devenir chanteuse, mais l’apparence insouciante de sa vie de bohème se fissure peu à peu, laissant poindre une réalité plus sinistre à travers la douleur des souvenirs enfouis de son enfance.

Le portrait du délitement familial et ses conséquences sur l’adolescence est devenu d’une rare banalité dans le cinéma Japonais contemporain, tant les changements sociétaux de ces dernières décennies ont profondément affecté la jeunesse. A ce titre, Sion Sono semble être l’un des rares capable d’en restituer le malaise avec originalité et invention narrative. Mais pour Satoko Yokohama l’enjeu réside davantage dans l’approche singulière du traitement de son héroïne, prisonnière des cicatrices d’une enfance difficile, que dans l’exubérance d’effets de mise en scène ou de ruptures narratives audacieuses. Celle-ci adopte un ton réaliste, tantôt naturaliste ou poétique, en substituant habilement toute trace de sentimentalisme par un humour absurde, parfois froid et bourru, jusqu’à en devenir déconcertant ; quand celui-ci flirte avec la pédophilie d’un vieil égoutier du village ou le trouble de l’identité sexuelle d’un jeune enfant du primaire.

Traitant de sujets aussi graves que l’ostracisme, l’enfance battue ou le suicide, German + Rain emprunte un cheminement insolite par la voie de son héroïne hors norme, capable de se planter un clou dans la jambe pour attirer l’attention du garçon qu’elle convoite. Portrait autant attachant que déroutant, l’auteur a su concentrer à travers Yoshiko, les douleurs de ces accidentés de la vie qui ne parviennent à se reconstruire dans un monde adulte qu’ils préfèrent rejeter ou quitter. Avec son physique disgracieux et légèrement enrobé, sans oublier ses manières sans-gêne, l’actrice Yoshimi Nozaki incarne avec perfection la maladresse et l’inadéquation de celle qu’on surnomme narquoisement “Gorilla Man” [4]. Celle qui aspire à devenir chanteuse ou avoir dix enfants pour prolonger la lignée familiale dont elle est l’unique dépositaire, se constitue ainsi un univers à part, coupé des réalités et des contingences du monde adulte, à travers l’espace de liberté créé par ses cours de flûte qu’elle dispense à trois écoliers du primaire au naturel touchant.

L’auteur dépeint alors avec une affection mêlée de tendresse cet espace clos, dont la chambre de cours devient une sorte de divan de psychanalyse offerte aux enfants racontant avec candeur et simplicité leur traumatismes, afin que Yoshiko s’en nourrisse pour les transformer en d’amusantes ritournelles reprises en cœur par les enfants. Ces relations entre Yoshiko et ses jeunes élèves insufflent une légèreté au film fait de moments cocasses et drôles. Les plus belles scènes de German + Rain sont constituées par les séquences ludiques, traduisant la mise en scène aérienne et le montage fragmenté usant de plans serrés ou faux raccords, afin de capter les moments fugaces d’un bonheur de l’instant forcément illusoire dans son désir d’échappatoire. Que ce soit une partie de ballon prisonnier ou des enfants gribouillant sur un mur, ces espaces de vie et d’insouciance servent de coquille protectrice à Yoshiko, incapable d’affronter la dureté du réel ; auquel seules les lettres, l’informant de la situation précaire de son père malade par l’entremise d’une voix off, semblent la rattacher. Ainsi quand celle-ci se résout enfin à lui rendre visite, elle le surnomme “dangomushi” (le cloporte) et parle de visiter un zoo, comme si les mots eux-mêmes constituaient l’impossibilité d’une confrontation pourtant nécessaire. Ainsi la chanson et titre du film, déclamée par Yoshiko à son ami allemand résonne t-elle comme une tentative de résilience face aux souvenirs tourmentés de l’enfance.

La vigueur du cinéma de Satoko Yokohama, qui ne cherche pas l’originalité à tout crin, réside avant tout dans son traitement décalé de la personnalité atypique de son héroïne marginale. En évitant l’écueil du mélodrame, elle parvient à créer un portrait sensible et attachant, par un réalisme poétique utilisant avec bonheur les attributs de l’enfance, comme paravents pour panser les cicatrices intérieures de son adolescente perturbée. Désamorçant la sècheresse du monde adulte par un humour absurde et singulier, German + Rain traduit une conscience lucide du réel, autant qu’un optimisme emprunt d’un attachement nostalgique au royaume de l’enfance, doublé d’un indéniable amour de la vie. Encore une preuve de l’immensité du vivier créatif du jeune cinéma Japonais.

Site officiel du film (en japonais) : http://www.littlemore.co.jp/movies/german-ame

German + Rain est disponible en DVD Japonais chez VAP, uniquement sous-titré en Japonais.

[1Région située au centre de Honshû.

[2CO2 ou Cineastes Organization Osaka, est un Festival fondé en 2005 avec le soutien de la ville d’Osaka. Lors de ses deux premières éditions il est organisé en collaboration avec Studyo Planet +1, une salle spécialisée d’Osaka dédiée à la promotion du jeune cinéma indépendant régional, dont le programmateur Kunihiko Tomioka est alors aussi directeur artistique du festival (lire l’interview en anglais de Kunihiko Tomioka sur Midnight Eye : http://www.midnighteye.com/interviews/kunihiko_tomioka.shtml). Le festival a la particularité de soutenir de jeunes talents en produisant leurs films, destinés par la suite à y entrer en compétition. Il est aujourd’hui dirigé par le cinéaste Hiroshi Nishio, un de ses anciens lauréats.

[3Il s’agit de Hikô-shôjo (1959) de Kirio Urayama sorti en salle le 22 juillet 2009 sous le titre français « Une jeune fille à la dérive ».

[4Du nom d’un personnage de manga créé par Harold Sakuishi paru en dix-neuf volumes de 1988 à 1993.

- Article paru le mardi 1er septembre 2009

signé Dimitri Ianni

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