Gong Tau
Rockman (Mark Cheng) est un detective taciturne, obsédé par son travail, et ce d’autant plus lorsque des policiers sont pris pour cibles par un mystérieux assassin. Lui et son partenaire Sum (Lam Suet) sont persuadés que leur coupable n’est autre que Lam Chiu (Kenny Wong), un voleur qui s’est pris une balle dans la tête de la part de Rockman, et qui, s’il a survécu, vit aujourd’hui une vie sans la moindre perception de douleur. Le truc, c’est que le dénommé Lam Chiu, d’origine malaisienne, est un adepte du « Gong Tau », la version orientale du vaudou. Aussi lorsque le bébé de Rockman est assassiné dans des circonstances atroces, pendant que sa femme se met à souffrir d’un mal inguérissable, Sum est-il persuadé que la magie noire est à l’œuvre. Rockman lui, doute, et concentre sa haîne sur Lam Chiu. Pourquoi ne le ferait-il pas, puisqu’il n’a jamais rien fait qui justifie une telle malédiction... Pas même en Thaïlande quelques années auparavant, au cours d’une longue enquête en solitaire ?
Yau !
Dis comme ça, cette exclamation ressemblerait presque à un cri de douleur. Comme celui que l’ont produit lorsque l’on se retrouve nez à nez avec l’infâme accessoire principal de Gong Tau, son défunt petit garçon. On rembobine légèrement. Cela fait des années que Herman Yau a délaissé les Cat III – comme tous les réalisateurs HK d’ailleurs, si l’on excepte quelques réussites violentes récentes, mais qui ne font pas partie des « mêmes » Cat III. Non, ici quand on parle de la fameuse catégorie aux milles excès, on pense à Ebola Syndrome et The Untold Story bien sûr, mais aussi à The Eternal Evil of Asia et autres Dr. Lamb, Red to Kill et j’en passe. Avec les deux premiers titres de cette liste, Herman Yau (Taxi Hunter) s’est imposé en son temps, comme le pape d’un genre sans la moindre restreinte, sans respect ou considération pour la race humaine. Pourtant Herman lui, est quelqu’un de gentil [1].
Il faut croire que cela lui manquait, ou qu’il attendait tout simplement que Saw et autres Hostel remettent la méchanceté graphique au goût du jour – accordons-leur au moins ça – pour convaincre un producteur qu’il était temps de s’y remettre, comme à l’époque où Anthony Wong, loin des nobles récompenses qui déforment aujourd’hui sa cheminée [2], posait avec des cadavres pour rigoler. Mais les temps ont changé ; et il ne suffit plus de s’arracher des bouts de peau et de cracher sur les passants en hurlant « Ebola » pour se distinguer (encore que, j’ai essayé l’autre jour dans la rue et ça fonctionne encore)…
Pushing the envelope : l’art de la dissuasion.
Alors voilà, pour frapper vite et fort, rien de mieux qu’éliminer de façon affreusement sale un bébé en plein écran dans les cinq premières minutes d’un film, puis d’étaler le cadavre sur une table d’autopsie désespérément froide, de détailler la centaine de coups de couteaux qu’il semble avoir reçu et de regarder des asticots s’épancher des dites blessures. A priori, ça fait fuir toutes les femmes de l’assistance, et même un paquet de gars, et cela laisse le terrain libre à un film plus calme pour les Grandes Personnes, certes gore mais en deça de cette première brêche émotionnelle. Plus fan service quoi : insectes régurgités, têtes défoncées, mains massacrées, fluides, viande, poils et chairs inclus.
Car au dela de ce tour de force insensé, Gong Tau est certes un thriller hard gore, mais tout à fait regardable. Pas que sa composante humour soit très explicite – quoiqu’avec Mark Cheng, surtout affublé grâce aux sous-titres du nom japonais de Mega Man, on est souvent dans le rire involontaire – mais tout de même. Sans vergogne, Herman Yau via Liam Suet, scande les mots « Gong Tau » comme Anthony hurlait en son temps « Ebola », passe de l’infanticide à la manipulation psycho-crade gratuite (amener un homme à faire frire des morceaux de gras de l’un de ses amis par exemple), de la magie noire oppressante (le Needle Gong Tau) au fantastique à hurler de rire, même s’il est toujours sale (le Flying Head Gong Tau, un trick on ne peut plus balèze qui consiste à envoyer sa tête vampiriser les victimes de la malédiction, au risque de mourir et de les condamner éternellement), de la masturbation incantatrice aux multiples orgasmes en off. Pour récompenser les plus courageux, Herman Yau a de plus trouvé un cadeau de taille : la générosité de la magnifique Teng Tzu-Hsuan, pas farouche pour un sou et sincèrement envoûtante. A plus d’un sens, d’ailleurs.
Gong Tau, c’est un peu comme un voyage dans le temps vers notre enfance perverse, un sucre d’orge chargé de souvenirs délicats avec des lames de rasoir dedans. Herman Yau filme, comme toujours, cette improbable histoire avec applomb et talent, Lam Suet est, comme toujours, excellent, et Mark Cheng, comme toujours, peu crédible. Ce n’est pas du Ebola Syndrome mais l’idée est bien là : taper là où ça fait vraiment mal, pour offrir un spectacle démesurément adulte à défaut d’être mature. Le pire dans tout ça, n’en déplaise aux puritains, c’est que l’on se rend bien compte qu’une telle débauche est parfaitement inoffensive. Elle est même plutôt plaisante, et nous permet de caresser l’idée de jours encore meilleurs, où Herman poussera de nouveau le bouchon un peu plus loin, juste assez pour nous laisser jouir de son cinéma de détente vomitive entre personnes de goût, d’emblée triées sur le volet.
Gong Tau est disponible en DVD et VCD HK, sous-titré en anglais, chez Point of View. Le VCD est absolument magnifique.
[1] La preuve : il fut en son temps le premier à accorder une interview à notre site, réalisée par mail alors que Sancho n’existait que depuis quelques semaines et était pour ainsi dire, moche et vide.
[2] Pas tant que ça en fait, puisqu’il fut primé pour son infanticide pluriel de The Untold Story.




