Gonin Saga
Le paradoxe comme jouissance.
Dix-neuf ans après Gonin, les enfants d’une partie des protagonistes d’alors se retrouvent, et décident de venger la mémoire de leurs parents autant que leur amour propre...
C’est de cette manière on ne peut plus simple (simpliste ?) et hautement subjective, que je résumerais la trame du dix-neuvième film réalisé par Takashi Ishii.
Les vingt premières minutes de Gonin Saga sont inutiles... enfin, je vais tenter d’expliquer cette phrase (injustement ?) expéditive.
Les degrés de la durée diffèrent selon notre implication dans ce que l’on fait... et par extension, voit, écoute, etc...
L’intensité de notre concentration se voit a priori décuplée par la découverte.
Les premières images qui ouvrent le dernier film d’Ishii ont vingt ans ; l’apparition à l’écran de personnages aujourd’hui "légendaires", de fragments de scènes qui appartiennent à "une" mythologie (certes personnelle) du cinéma japonais des années 90, la musique de Gorô Yasukawa... nous y (re)voilà ; un délice proustien, primitif, presque érotique - en tous cas masturbatoire. Ishii et nous ("moi"), en tête à tête. "Je" le comprends, je "sais" ; soyons élitaire.
Puis, ces "images-souvenirs" sont soudainement polluées ; de longs surtitres les violent. Des retours dans le temps tentent de raconter (je n’ose écrire "rendre accessible"), de manière superficielle, la mythologie Gonin. Le présent toise le passé... et cherche à le recréer. Le mythique souillé par la vulgate.
Les vingt premières minutes du film sont donc inutiles, car elles cherchent à faire de la "télé" là où il y a un besoin de cinéma. Expliquer l’épisode précédent. Ne surtout pas perdre le (télé)spectateur. Bien appuyer sur les explications, quitte à faire parler seuls les protagonistes, afin de répéter savamment une loquèle ; monologue sur-explicatif autant que superflu du personnage de Morisawa, interprété par Tasuku Emoto, à qui incombe la triste tâche d’être le chœur - solitaire - de cette tragédie Ishiienne.
Voilà pour les vingt premières minutes de Gonin Saga (véritable suite, contrairement à Gonin 2)... avant une prise de conscience, plutôt de l’ordre du laisser-aller, de l’abandon - encore une fois sensuel, voire amoureux - afin de redevenir chaste ; lutter contre soi-même, lutter contre ses idées concernant ce que pourrait être le cinéma.
Gonin Saga est avant tout un film produit par un grand studio nippon (Kadokawa), comme d’ailleurs la plupart des derniers films d’Ishii, ce qui rappelle que le cinéma est aujourd’hui principalement un divertissement (ce qu’il est d’ailleurs depuis ses débuts avec les frères Lumière...). Il faut donc l’accepter.
Takashi Ishii fait ici un - vrai - retour au film Noir grand public (incursion qu’il fit donc vingt ans auparavant avec Gonin). Il y laisse sa fierté pendant un bon moment... Le futur dira, si une éventuelle "director’s cut" voit le jour, si Ishii s’est effectivement aplati devant des producteurs pour cette version visible en salles, ou s’il s’agit d’un acte délibéré de sa part. L’homme a déjà surpris par certains choix, notamment lorsqu’il réalisa l’étrange quasi-suicide artistique que représentait Tokyo G.P.
Cette longue introduction passée, j’accepte l’axiome qui voudrait... que je me trompe, tout simplement. Ishii, c’est le réalisateur que j’idolâtrais ; un artisan dont l’œuvre est reconnaissable dès les premières secondes. Je dois donc admettre que le cinéma est aujourd’hui principalement une industrie avec des enjeux financiers, qu’Ishii n’est pas Bresson... et qu’il n’a aucune raison de l’être, ni de le devenir.
...de l’abandon (de soi). J’ai beau croire le contraire, Ishii fait du Ishii, et n’a jamais fait autre chose.
"Le paradoxe comme jouissance" dont parlait Roland Barthes, trouve ici un écho ; "La jouissance, ce n’est pas ce qui répond au désir (le satisfait), mais ce qui le surprend, l’excède, le déroute, le dérive." Cette phrase de Barthes, elle m’est revenue en pleine figure au beau milieu de la projection. J’étais condescendant avec le (mon) passé. Outrecuidance inutile ; je voulais lui donner la superbe qu’il n’a (peut-être) jamais eu.
La mise en scène d’Ishii est excessive ; sur-fragmentée, sur-appuyée par des flash-backs - souvent - surfaits... mais c’est également ce qui la caractérise dans le meilleur, dans sa particularité intrinsèque. La musique, qu’elle soit "originale" (la bande sonore du film reprend note pour note la partition du premier Gonin de Gorô Yasukawa), ou agrémentée de chansons (voix féminines - et divines - de Naomi Chiaki et Dôji Morita), est également vitale à sa réalisation.
Grandiloquence, folie, rage, énormités scénaristiques qui permettent d’ajouter des personnages surgit du (d’un ?) passé… mais il suffit d’accepter d’y pénétrer, pour finalement - enfin ! - s’y abandonner sans restriction, s’y adonner à cette jouissance purement cinéphilique (du cinéma de Genre), pour être secoué (et sincèrement ému), par cette fresque baroque, sale, et donc... jouissive. Les (anti)héros Ishiiens, sont beaux, Humains, faibles. En martyrs nus et sublimes, ils s’offrent à une tragédie absolue, où le déluge dantesque choisit même son décor, dans un maelström d’une violence inouïe. Théâtrale.
Le gros œuvre d’Ishii se façonne depuis bientôt trois décennies (en tant que réalisateur), avec quelques "chefs-d’oeuvres" taillés de ses mains de maître artisan (le dernier en date étant - très subjectivement - Hito ga hito o ai suru koto no dôshyô mo nasa en 2007, film qui ne se soucie pas d’un éventuel public).
Pour peu que l’on accepte de s’y perdre, Gonin Saga est un beau film… voire magnifique (même si agaçant par certains côtés) ; un de ceux qui hantent, qui poursuivent lorsqu’on ne s’y attend pas... D’ailleurs, plusieurs fantômes y rôdent... avant d’apparaître pour de bon, laissant le spectateur médusé et béat, entre l’incompréhension et l’exaltation nées de cette petite mort qu’est l’orgasme.
Gonin Saga est sorti en salles au Japon le 26 septembre 2015.





